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Quelle transition après le 2 avril au Sénégal ? Par Mamadou Oumar Ndiaye

Tout d’abord une question : le 04 avril prochain, jour anniversaire de notre accession à l’indépendance, le président de la République pourra-t-il tranquillement présider le grand défilé militaro-civil — ou la prise d’armes — de ce jour-là et, surtout, en sa qualité de chef suprême des Armées, passer en revue des troupes qui lui rendront les honneurs.

Ce tout en sachant, ces troupes, que cet homme à qui sont destinés ces honneurs a terminé son mandat deux jours plus tôt ? Si ça se trouve, Macky Sall ne sera là que par la seule volonté des députés de son camp et non par celle du peuple souverain, celui-là même qui est source de légitimité dans toute démocratie.

Gageons que les militaires regarderont d’un drôle d’œil ce Président qui était venu en grande pompe leur faire ses adieux aux Armées quelques mois plus tôt, ce président qui jouera à ce moment-là les prolongations et qui, toute honte bue et en se grattant la tête sans doute, reviendra lors de la prochaine Journée des Armées leur expliquer que « finalement dématouma fène » !

Ainsi, le Président Macky Sall a décidé de jouer les prolongations. Il ne quittera le pouvoir — auquel il tient tant ! — et ses délices qu’au début de l’année prochaine si bien sûr il n’invente pas de nouveau prétextes pour rester aux commandes de notre pays ad vitam aeternam. L’élection présidentielle qui devait se tenir dans moins de trois semaines est reportée au 15 décembre prochain au motif de risques de troubles et de la nécessité d’organiser un scrutin inclusif donnant la possibilité de réintroduire dans le processus électoral les candidats éliminés — ou spoliés — par le contrôle des parrainages au Conseil constitutionnel. Il s’agit surtout de remettre dans le jeu Karim Meïssa Wade, le candidat du Parti démocratique sénégalais (Pds).

Le parti au pouvoir de 2000 à 2012 a rué très fort dans les brancards après l’invalidation de son candidat pour cause de binationalité et a accusé deux membres du Conseil constitutionnel de « corruption », de « collusion » et de « conflits d’intérêts ». Il a réclamé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur ces soupçons. De manière fort étrange, le président de la République a demandé à ses députés godillots d’appuyer cette proposition qui a été adoptée en mode fast-track par l’Assemblée nationale.

Et puis ne voilà-t-il pas qu’il apparaissait de manière fort opportune que le Conseil constitutionnel avait laissé passer entre les fines grilles de son tamis une candidate qui disposait de la double nationalité franco-sénégalaise ? Sans compter qu’une quarantaine de candidats s’estimant injustement spoliés et regroupés dans un Collectif réclamaient à corps et à cris la reprise du processus électoral certains d’entre eux demandant même le report de la présidentielle.

Cela faisait beaucoup et le président de la République, prenant prétexte de ces graves dysfonctionnements du processus électoral à l’actif surtout du Conseil constitutionnel et des accusations de corruption contre deux magistrats de cette institution mais aussi de la crise institutionnelle ouverte par le refus des deux accusés de déférer à une convocation du Parlement, a décidé d’annuler le décret qu’il avait signé convoquant le corps électoral.

Soyons justes : ces dysfonctionnements sont réels et tout observateur de bonne foi se doit de les reconnaître. L’auteur de ces lignes lui-même s’était fendu d’un éditorial pour clouer au pilori le Conseil constitutionnel dans sa décision injuste et scandaleuse d’écarter Karim Wade sur des bases plus que légères. Avant même que le Pds ne formule de graves accusations contre deux de ses membres, nous avions dit son fait à cette institution. De même, l’élimination de certains candidats de poids et la validation d’autres qui n’avaient même pas pu atteindre le quotient requis pour disposer d’un député à l’Assemblée nationale avaient ajouté à la nébulosité et donné l’impression que le Conseil fonctionnait finalement comme une loterie au petit bonheur la chance.

Toutes choses qui font que, pour moi, franchement, le Conseil constitutionnel dans sa composition actuelle est disqualifié pour conduire le processus électoral. Il s’y ajoute que ses membres ont tort de refuser de déférer à la convocation de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale dans la mesure où, en démocratie, la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par l’intermédiaire de ses représentants. Or, où siègent donc ces représentants si ce n’est au Parlement ?

C’est donc à tort que les membres du Conseil constitutionnel, soutenus en cela par leurs pairs de l’UMS, veulent engager un bras de fer avec l’Assemblée nationale car eux ne sont pas élus mais sont des fonctionnaires nommés par le président de la République. Cela n’a rien à voir avec la séparation des pouvoirs puisque les juge eux-mêmes ont le pouvoir de convoquer et même d’écrouer des députés mais aussi n’importe quel citoyen !

Contrairement à ce qui se passe aux USA où les juges sont élus, et où la Justice est donc un Pouvoir, ici ils sont nommés et ne sauraient donc se soustraire au contrôle des représentants du peuple. Surtout qu’il ne s’agit pas de les juger mais juste de les entendre pour éclairer la lanterne du peuple sur des accusations gravissimes les visant.

Pour me résumer, oui donc à la disqualification du Conseil constitutionnel dans sa composition actuelle non pas pour corruption (parce que là je n’en sais rien) mais pour incompétence manifeste dans la conduite du processus électoral. Ce n’est pas pour rien que dans mon éditorial j’écrivais que le Conseil constitutionnel a foutu le bordel dans le pays. Oui aussi pour le report de la présidentielle pour permettre à certains candidats recalés et surtout à Karim Wade de faire partie de la compétition.

Rester dans le temps règlementaire et ne pas permettre à Macky de jouer les prolongations
A partir de là, rien ne va plus car si le président de la République ne reporte le scrutin que pour prolonger son mandat, alors là je dis non. On me reprochera de vouloir une chose et son contraire ! Sans doute mais ce bazar est dû aussi en grande partie au président Macky Sall qui a quand même nommé ces juges constitutionnels incapables de conduire un processus électoral correct. Sans compter que certains le soupçonnent derrière cette profusion de candidatures qui frôlait la centaine au départ !

En réalité, il s’est saisi de ces prétextes nobles consistant à mettre fin à la crise institutionnelle, permettre à l’Assemblée de mener à bien les travaux de sa commission d’enquête et de donner une seconde chance aux candidats recalés, pour se donner le temps d’éliminer les candidats Bassirou Diomaye Faye et Cheikh Tidiane Dièye. Le premier, surtout, risquait de battre à plate couture son candidat visiblement à la traîne dans les intentions de vote. En réalité, la colère du président de la République contre le Conseil constitutionnel a surtout été provoquée par la validation de la candidature des deux porte-étendards du Pastef.

Ça, c’était la ligne rouge à ne pas franchir, les membres du Conseil l’ont franchie et se sont attirés les foudres du Président. Qui leur a donc déclaré la guerre et profité de l’occasion pour remettre à plat le processus électoral. Cela passera-t-il par la mise à l’écart d’Amadou Ba au profit d’un autre candidat.

Car en réalité, le plan de Macky Sall, c’est l’élimination de tous les candidats de l’opposition radicale au profit de profils « macky-compatibles » ou « benno-solubles ». Exactement comme en 2019 où tous les candidats validés étaient en réalité avec lui. De manière à ce que le bon peuple n’ait pas de véritable choix lors de la prochaine présidentielle.

Tout cela serait bien beau si ces manœuvres n’avaient pas pour but de permettre à Macky Sall de rester au pouvoir au-delà du 02 avril prochain, date légale de la fin de son mandat. Ce jour-là, à minuit, en effet, il ne sera plus président de la République et l’Assemblée nationale ne peut absolument pas prolonger son mandat d’une seule heure. Les députés représentent certes le peuple qui les a élus pour, en son nom, voter des lois, contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques mises en œuvre par ce dernier.

Seulement voilà : l’élection du président de la République au suffrage universel direct ne fait pas partie des mandats donnés par le peuple souverain qui a conservé pour lui ce pouvoir de choisir tous les cinq ou sept ans l’homme ou la femme chargé de présider aux destinées de la Nation. Et les députés ne peuvent pas se substituer aux Sénégalais pour opérer ce choix. Ce qu’ont fait les députés de la majorité soutenus par leurs collègues du Pds avant-hier lundi c’est donc de l’usurpation et ils ont été les instruments du président de la République pour faire son coup d’Etat lui permettant de continuer à conserver le pouvoir au-delà de la date d’échéance de son mandat.

Or, on sait tous qu’il ne faut jamais interrompre un processus électoral comme le disait le président François Mitterrand lorsque les généraux algériens conduits par l’alors chef d’état-major Khaled Nezzar avaient pris le pouvoir entre les deux tours des élections législatives de janvier 1992 pour s’opposer à la victoire annoncée du Front Islamique du Salut (FIS). Cela avait marqué le déclenchement de la « décennie noire » au cours de laquelle des milliers d’Algériens avaient été tués dans les affrontements entre l’Armée et les islamistes particulièrement ceux du GIA.

Eviter à tout prix une transition anti-démocratique
Fermons la parenthèse et retour au Sénégal. Même à supposer que le report de l’élection présidentielle voté en toute illégalité (en ce qu’elle prolonge de fait le mandat de l’actuel Président d’un an au moins comme l’avait réussi l’ancien président de la Rdc Joseph Kabila après l’accord de la Saint Sylvestre signé avec l’Opposition sous les auspices de l’Eglise le 31 décembre 2016 et qui lui avait permis d’opérer un « glissement » d’un an supplémentaire) à supposer donc que le report par l’Assemblée nationale soit acté, et qu’il faille mettre en œuvre des réformes du code électoral destinées à améliorer le processus électoral et à rendre le jeu plus inclusif, il reste entendu que l’actuel président de la République serait disqualifié pour conduire la période transitoire allant du 03 avril à l’installation de son successeur.

Par conséquent, l’idéal serait de trouver une personnalité civile consensuelle pour diriger le pays pendant cette période tampon. Pour rappel, en 1997, au Congo-Brazzaville, c’est à l’expiration du mandat du président Pascal Lissouba que Denis Sassou Nguesso, son prédécesseur, puissamment soutenu par le groupe pétrolier Elf et aussi la Françafrique, avait accéléré la cadence des affrontements et fait monter en puissance ses milices « Cobras ». Lesquels, avec l’aide décisive de l’armée angolaise, avaient fait fuir Lissouba. Aux yeux de la France, il n’y avait pas eu de coup d’Etat vu que le mandat de ce dernier avait expiré…

Bien évidemment, ma préférence va à une solution civile et je suis convaincu que, d’ici le 02 avril, la résistance des Sénégalais et les pressions internationales contraindront l’autiste Macky Sall à nous rendre bien gentiment ce pouvoir que nous lui avions confié en 2012 pour sept ans avant de lui signer un nouveau bail de cinq ans. Un pouvoir que nous lui serions reconnaissants de bien vouloir nous rendre gentiment…tchi njekk rek.

Mamadou Oumar NDIAYE

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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