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Aimer la science et militer pour le mensonge ? Par Alassane KITANE

Aimer la science et militer pour le mensonge ? Par Alassane KITANE

La méchanceté est certes une maladie, mais pas du cœur. C’est une maladie de l’esprit : celui qui est incapable de comprendre la position d’autrui sans la partager est le pire méchant.

C’est lui la cause et l’origine du mal dans le monde. La rancœur n’a pas pour domicile le cœur, sa véritable demeure c’est l’esprit. <<Pourquoi a-t-il l’outrecuidance de penser, de pratiquer, de prier, de croire différemment ? Pourquoi est-il autre ? Comment comprendre qu’on puisse voir les choses de telle manière ? Pourquoi lui et pas moi ? >>.

C’est dans l’esprit que naissent des pensées aussi moribondes, le cœur n’est qu’un lieu de transit. La haine naît dans l’esprit et est entretenue par lui. L’expérience montre qu’on éduque les gens dans la haine, qu’on en fait des porteurs du fardeau de la méchanceté par la nature des pensées qu’on développe en eux.

Détester une personne au point de mentir à son sujet, c’est de l’étroitesse d’esprit : toutes les sciences naissent et se développent dans la controverse, le débat contradictoire, la délibération selon les principes de la dialectique. C’est vrai que la science a toujours été utilisée à des fins idéologiques, qu’elle est même parfois investie d’idéologie, mais le vrai scientifique est celui qui mène une lutte acharnée contre ses convictions, celui qui est capable de se faire violence pour interroger ses certitudes. Un scientifique qui profite de son statut pour prêcher le faux n’est pas seulement un apostat, c’est un hérétique.

Le but ultime de la science est paradoxalement éthique : la vérité est au-dessus de nos convictions et de nos postures partisanes. Celui qui n’est pas capable de s’élever au-dessus des contingences relatives à sa personne, à ses croyances et à ses intérêts n’a pas l’âme d’un scientifique. Si par hasard un tel individu réussit par quelque moyen que ce soit à devenir scientifique, il ne le sera qu’en tant que répétiteur de découvertes scientifiques, il ne sera jamais un innovateur.

L’esprit de la science et l’esprit de la démocratie ne font qu’un : si les hommes ont érigé le principe de l’avis majoritaire c’est parce qu’ils n’ont pas de meilleur critère de la vérité que le consensus à défaut de l’unanimité. Pourtant l’unanimité n’est pas le critère de la vérité, mais pouvait-on exiger de l’opinion commune qu’elle en trouvât meilleur ?

Le grand paradoxe de notre démocratie, c’est que les hommes de <<science>> en sont les véritables fossoyeurs. Ils sont capables de théoriser sur la place publique le contraire de ce qu’ils enseigneront le lendemain dans les amphithéâtres. Nous avons là tous les signes d’une société en décomposition et tous les symptômes de la crise politique.

La minorité pour un scientifique, ce n’est pas le fait d’être seul quand il est conscient de dire la vérité. La minorité la plus vile et la plus lâche c’est d’abandonner ce qu’on pense être vrai parce qu’on a peur d’être seul.

La malice technocratique tue la démocratie à petit feu : un technocrate aspire à compenser son déficit de légitimité populaire par la présomption de science dont il bénéficie auprès du public. Voilà ce qui explique sa morbide tendance à offrir sa science à l’humeur vagabonde de l’opinion, à en faire même le couronnement scientifique. Suivre l’opinion, c’est compréhensible quand on ne sait pas la vérité, mais la suivre parce qu’on ne peut faire face à sa force, c’est une forme de perversité intellectuelle.

Si la démocratie reste un idéal c’est justement par cette dialectique sans fin entre quête de la vérité et quête de grands consensus. La vérité ne s’impose pas toujours, elle ne gagne qu’après une lente et douloureuse odyssée. Les hommes sont donc obligés, dans l’attente de l’accès à la vérité de faire des compromis, de dialoguer jusqu’à l’atteinte du maximum de consensus.

La démocratie est rythmée par des alternances comme la science est jalonnée de rectifications. Dans l’absolu nous sommes le plus souvent dans la conjecture, ce qui nous oblige moralement à voir l’autre non comme un ennemi mais comme un partenaire dans la quête de la vérité. Mais combien sommes-nous à le comprendre de cette façon ?

Alassane Kitane 

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