Nanor Abachian attendait avec impatience son vol pour Chypre. Comme elle, des centaines de Libanais se ruent depuis quelques mois vers l’île méditerranéenne, située à 200 km à vol d’oiseau, afin de s’y installer, ne serait-ce que temporairement, pour fuir l’enfer des pénuries dans leur pays.
« Ma souffrance est énorme. J’ai dû quitter mon pays et mes parents pour offrir un meilleur avenir à mes enfants », confie à l’AFP cette Libanaise de 30 ans, après avoir atterri à Larnaca avec son mari, leurs deux enfants, et sept valises bien remplies.
Le Liban est en proie à l’une des pires crises économiques de l’histoire depuis 1850, selon la Banque mondiale. A court de devises étrangères, le pays connaît de graves pénuries de carburant, de pain et de médicaments, tandis que les coupures de courant atteignent plus de 22 heures par jour.
Depuis le début de la crise en 2019, plusieurs milliers de personnes ont quitté le pays dont beaucoup à destination de Chypre. Impossible toutefois d’évaluer leur nombre exact en l’absence de données officielles.
Selon l’ambassadrice du Liban à Chypre, Claude el-Hajal, le nombre de familles libanaises installées sur l’île méditerranéenne a connu « une hausse importante » depuis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a fait plus de 200 morts.
Sauver l’année scolaire
Mais ce n’est pas la première fois que les Libanais trouvent refuge sur l’île voisine. Dans les années 80, en pleine guerre civile (1975-1990), « environ 100.000 familles libanaises » avaient été accueillies à Chypre, selon Mme el-Hajal qui précise qu’un grand nombre d’entre elles étaient rentrées au pays à la fin des combats.
En 2006, lors du conflit entre Israël et le Hezbollah, Chypre a servi de base de repli pour évacuer près de 60.000 civils du Liban.
Georges Obeid, la quarantaine, a lui aussi opté pour Chypre pour sauver l’année scolaire de ses enfants.
« Il n’y a pas d’espoir pour l’année scolaire au Liban », dit-il à l’AFP, évoquant les coupures d’électricité et la pénurie de carburant qui paralysent les services et les activités des écoles.
Mais il y aussi « la peur » face l’insécurité croissante liée à la paupérisation, ajoute-t-il. Selon l’ONU, 78% des Libanais vivent désormais sous le seuil de la pauvreté –contre moins de 30% avant 2019.
A Nicosie, l’école franco-chypriote a été inondée de demandes d’inscription pour des enfants libanais. Leur nombre est évalué à 250, selon des sources proches du dossier.
« Un deuxième pays »
L’île attire aussi de plus en plus d’investisseurs libanais.
Chypre « a mis en place en octobre une procédure accélérée pour l’établissement des entreprises étrangères sur l’île », a expliqué à l’AFP Constantinos Karageorgis, haut fonctionnaire au sein du ministère du Commerce et de l’Industrie. Depuis, sept compagnies libanaises s’y sont installées avec près de 200 salariés accompagnés de leurs familles.
Ce nouveau mécanisme a permis de réduire le délai des procédures à dix à quinze jours contre deux à trois mois auparavant, précise Mme el-Hajal.
Le secteur de l’immobilier est également très sollicité par les Libanais en quête de stabilité.
Interrogé par l’AFP, l’homme d’affaires libanais Georges Chahwan, propriétaire de dizaines de projets immobiliers à Chypre, affirme avoir « vendu près de 400 appartements à des Libanais entre 2016 et 2021 (…) dont une centaine au cours des six derniers mois. »
Le pays, qui est membre de l’Union européenne, « offre la résidence permanente à toute personne qui investit dans l’immobilier », explique-t-il. Et « les banques chypriotes facilitent l’obtention d’un prêt pour les Libanais dont le salaire est versé en dollars », ajoute-t-il.
« L’île est à deux pas du Liban. C’est un endroit stable et sûr » et pour les Libanais c’est comme un « deuxième pays », estime-t-il.
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