Des années de discussions et d’ultimes tractations jusqu’au bout de la nuit : les eurodéputés et les représentants des 27 États membres ont trouvé mercredi un accord sur la réforme du système migratoire européen, vivement dénoncé par les défenseurs des droits humains.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a salué cet « accord historique » sur le Pacte migration et asile. La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a estimé qu’il s’agissait « probablement de l’accord législatif le plus important de ce mandat ».
L’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas se sont félicités, tout comme l’Italie, pour qui la réforme permet aux pays en première ligne aux frontières de l’UE de ne « plus se sentir seuls ».
A l’inverse, la Hongrie, opposée aux mesures de solidarité prévues, a rejeté « avec force » cet accord, qui ne requiert toutefois qu’une majorité qualifiée pour être adopté.
Hasard du calendrier, cette percée est intervenue peu après l’adoption en France d’une loi controversée sur l’immigration, qui a provoqué une crise dans le camp du président Emmanuel Macron en raison du soutien apporté à ce texte par l’extrême droite.
Le pacte migratoire, présenté par la Commission en septembre 2020, consiste en une refonte des règles européennes, après l’échec d’une précédente proposition en 2016 dans la foulée de la crise des réfugiés.
Il prévoit notamment un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l’UE, des centres près des frontières pour accueillir et renvoyer plus rapidement ceux n’ayant pas droit à l’asile et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des États soumis à une pression migratoire.
L’accord politique obtenu sur les cinq textes de cette réforme devra encore être officiellement approuvé par le Conseil (États membres) et le Parlement européens. L’objectif est une adoption finale avant les élections européennes de juin 2024.
« Dangereux »
Si le chef de l’Agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, s’est réjoui d’une « étape très positive », la réforme suscite en revanche les critiques des organisations de défense des droits humains.
Un collectif d’ONG de secours en mer a fustigé un « échec historique » qui « causera plus de morts en mer ». Amnesty International a estimé que l’accord allait « accroître les souffrances » des exilés, Oxfam évoquant un « démantèlement dangereux des principes clés des droits humains et du droit des réfugiés.
« On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle (…). On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe », a déploré l’eurodéputé français Damien Carême (Verts), dénonçant un pacte « qui fait honte aux plus belles valeurs de l’Europe ».
La réforme conserve la règle actuellement en vigueur selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE d’un demandeur d’asile est responsable de son dossier, avec quelques aménagements. Mais pour aider les pays méditerranéens, où arrivent de nombreux exilés, un système de solidarité obligatoire est organisé.
Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile (relocalisations) ou en apportant un soutien financier au pays confronté à une pression migratoire.
La réforme prévoit aussi un « filtrage » des migrants à leur arrivée et une « procédure à la frontière » pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile : ils seront retenus dans des centres pour pouvoir être renvoyés plus rapidement vers leur pays d’origine ou de transit.
« Respect des valeurs »
La réforme « respecte pleinement nos valeurs », a affirmé l’eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe, centristes et libéraux). Elle a précisé que le Parlement européen avait obtenu des garanties notamment sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux, et assuré que des mesures restrictives de liberté alternatives à la détention étaient possibles dans le cadre de cette procédure.
Le vice-président de la Commission, Margaritis Schinas, s’est réjoui de « voir les trois grandes familles politiques derrière cet accord » : le PPE (droite), les Socialistes et démocrates (S&D) et Renew Europe. « Qui ne va pas suivre ? L’extrême droite. Cela ne nous gêne pas », a-t-il dit.
Autre texte agréé : un règlement sur les situations de crise et de force majeure, destiné à organiser une réponse en cas d’afflux massif de migrants dans un État de l’UE, comme au moment de la crise des réfugiés de 2015-2016.
Il prévoit là encore une solidarité obligatoire entre les États membres et la mise en place d’un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile que les procédures habituelles, avec un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures de l’Union.
L’UE connaît actuellement une hausse du nombre des arrivées irrégulières, ainsi que des demandes d’asile. Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’agence Frontex a enregistré plus de 355.000 traversées des frontières extérieures de l’UE, une hausse de 17%. Les demandes d’asile quant à elles pourraient atteindre plus d’un million d’ici à la fin 2023, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA).
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