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Loi sur l’immigration : une rupture politique et morale

Pour faire voter à tout prix son projet, l’exécutif a multiplié les concessions à la droite, aboutissant à un texte dont certaines mesures, dignes d’un tract du Rassemblement national, mettent en cause des principes républicains fondamentaux comme l’égalité des droits sociaux et le droit du sol.

Une loi inspirée par l’extrême droite, votée en panique sous la pression d’un exécutif qui prétendait incarner la modération. Depuis quarante ans que le débat politique français s’est emparé du thème de l’immigration, rarement un gouvernement avait manifesté un tel degré de compromission avec les forces qui prospèrent sur la désignation de l’étranger comme bouc émissaire.

Jamais un exécutif n’avait accepté qu’un projet de loi sur l’immigration conçu par lui-même pour tenter de rallier la gauche et la droite finisse en catalogue digne d’un tract du Rassemblement national (RN). Sans même, au surplus, que ce dernier y ait été associé, sinon lors du vote final. Jamais un gouvernement n’avait été à ce point, et le pays avec, à la merci du RN.

Le texte auquel a abouti, au forceps, la commission mixte paritaire (CMP), mardi 19 décembre, et qui a été ensuite adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale ne rompt pas seulement avec l’équilibre du projet initial défendu pendant plus d’un an par le gouvernement. Il retient aussi des mesures qui mettent en cause des principes républicains fondamentaux comme l’égalité des droits sociaux et le droit du sol.

Alors que le projet de loi initial, soutenu par l’opinion publique, alliait une série de dispositions répressives ou restrictives – destinées à faciliter les reconduites à la frontière, à accélérer les décisions sur l’asile, à exiger un niveau minimum de français pour obtenir un titre de séjour – et une mesure libérale inédite depuis des décennies – un droit à la régularisation pour les sans-papiers travaillant dans les métiers en tension –, cette dernière a pratiquement été effacée.

« Victoire idéologique » de Marine Le Pen
En revanche, une série de dispositifs piochés par Les Républicains dans le programme du Rassemblement national et complaisamment acceptés par le gouvernement ont finalement été incorporés au projet de loi : la restriction de l’accès aux prestations sociales à des étrangers en situation régulière, la fin de l’acquisition de la nationalité de plein droit pour les enfants d’étrangers nés en France, mais aussi l’exclusion des sans-papiers de l’hébergement d’urgence et la promesse d’une réforme de l’aide médicale d’Etat (AME).

Autant de mesures sans grand effet attendu sur les problèmes auxquels elles prétendent s’attaquer, mais qui constituent des signaux validant les discours vindicatifs de l’extrême droite, marquant de fait la « victoire idéologique » de Marine Le Pen, selon sa propre expression.

L’exécutif, qui aurait dû renoncer à un projet hors de son contrôle, en a accepté la dérive. Le piège a débuté avec le vote, lundi 11 décembre, d’une motion de rejet par toutes les oppositions coalisées et s’est poursuivi lorsque la CMP, dominée par la droite, a été chargée de trouver un compromis.

Le gouvernement, pris en tenaille entre sa volonté d’aboutir à tout prix à une loi, et les manœuvres des élus Les Républicains, eux-mêmes à la remorque du Rassemblement national, a tout cédé : les valeurs qu’il prétend porter, la cohérence de sa démarche et l’unité de sa majorité, qui a volé en éclats lorsque Marine Le Pen, refermant la nasse, a annoncé dans l’après-midi qu’elle voterait en faveur du texte.

Le débat puis le vote de cette loi vont laisser de lourdes traces : près d’un quart des députés de la majorité, parmi lesquels le président de la commission des lois, Sacha Houlié, ont fait défection en se réfugiant dans l’abstention ou en votant contre ; plusieurs ministres, dont celui de la santé, Aurélien Rousseau, ont envisagé de démissionner. La rupture est à la fois politique et morale. 

Emmanuel Macron, qui, par deux fois, a été élu avec la promesse de faire barrage à l’extrême droite, s’est comporté en passeur de ses idées, mises en avant comme jamais au cours de ces joutes politiciennes dramatisées. Peut-il encore jouer ce rôle de rassembleur et de combattant contre l’usage politique de la xénophobie dont le pays a tant besoin ?

Le Monde

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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