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Le festival du Kankurang perpétue la tradition d’un rite séculaire

La foule s’écarte à son passage. Les percussions et les sifflets retentissent. Des cris accompagnent son entrée en scène. Ce soir, la ville de Janjanbureh, dans l’est de la Gambie, fait une ovation à son icône locale à qui elle dédie son festival annuel.

La rockstar du jour n’est pas celle que l’on croit. Un homme fait son apparition. Une coiffe cache entièrement son visage. Son corps est enveloppé dans une écorce. De ses bras et ses jambes pendent des feuilles qui lui donnent l’apparence d’une créature forestière sortie d’un conte fantastique.

Des machettes aux mains, il avance, fait peur aux femmes et hurle à l’approche des enfants.

Comme pris par une transe, il entame des pas de danse à une vitesse frénétique, s’arrête, balance ses bras d’une manière inquiétante.

A son passage, hommes et femmes lâchent des billets et invoquent sa mansuétude.

Cette émanation des esprits sylvestres porte le nom de Kankurang, une figure mythique de la société mandingue chargée d’éloigner les mauvais esprits des jeunes hommes initiés, de faire régner l’ordre et la justice et de renforcer la cohésion de la communauté.

Patrimoine mondial
Inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2005, le Kankurang – combinaison des mots mandingues « kango » et « kurango », littéralement « voix » et « force » – assure la transmission des valeurs et pratiques qui constituent le fondement de l’identité culturelle mandingue, un peuple d’Afrique de l’Ouest dont le foyer historique était l’empire du Mali.

Les Mandingues se sont installés dans les actuels Sénégal et Gambie au XVIe et XVIIe siècles, apportant leurs traditions. Leurs rites initiatiques sont associés aux cérémonies de circoncision, durant lesquelles les jeunes hommes apprennent les règles qui garantissent la cohésion du groupe, les plantes médicinales et les techniques de chasse.

Ils sont encore suivis dans certaines régions de Gambie, de Guinée-Bissau et dans le sud du Sénégal, notamment près de Mbour et en Casamance.

Ces pratiques sont menacées par l’occidentalisation des modes de vie, la raréfaction des surfaces boisées et la transformation des masques sacrés en objets décoratifs ou folkloriques.

Depuis 2018, le festival annuel de Janjanbureh, à environ 250 kilomètres à l’est de Banjul, cherche à donner un nouveau souffle à cet héritage, explique son directeur, Muhammed Sardykhan.

Pendant trois jours, des activités autour du Kankurang sont organisées dans cette ville qui se présente comme berceau et gardienne des traditions en Gambie, ancienne colonie britannique enclavée dans le Sénégal et devenue en 1965 le plus petit pays indépendant d’Afrique continentale.

Le vendredi soir, à la lueur de la lune et de quelques projecteurs, des Kankurangs de toute la sous-région défilent devant des centaines de spectateurs qui font cercle sous un vieux baobab sacré.

Au son des tam-tams et sous les applaudissements, ils effectuent des pas de danse à un rythme endiablé, rejoints par certains spectateurs.

Le lendemain, ils déambulent en ville sous le regard ahuri et souvent apeuré de jeunes enfants qui fuient à leur approche. Les femmes non plus ne peuvent les approcher de trop près. « Ce n’est pas un être humain comme les autres. Il est secret, surnaturel », dit Ndey Nichol, 30 ans.

Tradition menacée
Originaire de Janjanbureh, elle est venue avec ses deux enfants. « Je veux que mes enfants acquièrent ces connaissances, qu’ils puissent voir ce qu’est notre culture, qu’ils comprennent d’où ils viennent », confie-t-elle.

Lamin Jarjou, la quarantaine, ne voulait surtout pas rater ce festival.

Pour lui, c’est une manière de faire vivre cette tradition qu’il pense menacée.

« Les gens coupent même les arbres avec lesquels on fait les masques et les costumes. Préserver notre héritage, c’est aussi préserver nos forêts », estime-t-il.

Sur l’île où se trouve Janjanbureh, sur le fleuve Gambie, l’activité bat son plein ce dernier week-end de janvier.

Les hôtels sont pleins, les touristes affluent, les enfants du pays reviennent et toute la ville est de sortie.

James Goswell, 35 ans, avec son bonnet aux couleurs de la Jamaïque, en profite pour vendre quelques objets traditionnels et souvenirs : Kankurangs miniatures, savons, tee-shirts…

Pour lui, le festival est une chance de se faire un peu d’argent dans un quotidien qu’il dit difficile.

Le festival ne se déroule qu’une fois l’année et ne peut sortir à lui seul la ville de son marasme, rappelle Mariama Sambou, guide locale de 23 ans.

Les jeunes manquent d’opportunités. Beaucoup font le choix de l’émigration clandestine.

Mais le festival est une chance de montrer que sa ville, avec un riche héritage, est pleine de ressources et attractive, dit-elle.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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