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Une école de graffiti fait le bonheur de jeunes Sénégalais

Ibrahima Soumaré a la main hésitante. Crayon et gomme en main, il couche soigneusement quelques lettres sur une feuille blanche. Peu satisfait, il efface et reprend. Son exercice du jour: dessiner un graffiti avec le mot « top ».

« Ce n’est pas facile, surtout pour un nouveau comme moi », dit dans un sourire timide ce Sénégalais de 26 ans qui a abandonné ses études pour s’inscrire il y a deux mois dans une école de graffiti à Guédiawaye dans la banlieue dakaroise, le RBS Akademya.

Serigne Mansour Fall, alias Madzoo, un des 25 membres du collectif fondateur, assure que l’école créée en décembre 2021 n’a pas d’équivalent au Sénégal ni en Afrique. Elle se veut « un lieu de rencontre, d’échange, de partage de savoir-faire », explique-t-il.

L’objectif, « c’est d’apporter notre part d’héritage », « de former de jeunes professionnels » pour qu’ils soient « utiles » à la société et d’aider les gens à « prendre conscience des enjeux de leur époque ».

Les graffitis font partie du décor de Dakar et de sa banlieue où la culture hip-hop passionne de nombreux jeunes.

Le graffiti est apparu au Sénégal vers la fin des années 80 en même temps qu’un mouvement spontané de jeunes, « Set-Setal » (littéralement « propre et rendre propre »).

Ces jeunes combattaient l’insalubrité dans la capitale et sa banlieue et, après avoir nettoyé les quartiers, dessinaient sur les murs des images de marabouts afin de dissuader les habitants de jeter de nouveau leurs ordures dans la rue, raconte Madzoo.

Naguère considéré comme un « métier de paresseux qui ne fait pas vivre son homme », le graffiti gagne aujourd’hui en reconnaissance, croit Madzoo.

Tableaux et graffitis rivalisent de beauté et de couleurs dans les couloirs du bâtiment de deux étages qui abrite l’école.

Une peinture d’un vieil homme à la barbe blanche captive le regard, une petite plante aux fleurs formées de coquillages germe de son crane rasé. « Il symbolise le panafricanisme », explique Madzoo, l’auteur.

La salle de classe, un espace avec une longue table de travail et un tableau mural, n’est pas moins panachée.

De gros caractères roses et verts décorent le mur à l’entrée. Le mot, difficile à décrypter, c’est « style », décode Ibrahima Soumaré. « J’avais aussi du mal à le lire avant », sourit-il.

Patient et fort
Le cours du jour s’articule autour du « concept art » – comment exprimer, matérialiser une idée – et les couleurs, explique Chérif Tahir Diop, dit Akonga, graffeur, designer, et désormais professeur.

« On n’est pas dans une école conventionnelle. Tout se fait dans un esprit léger », dit-il au son des mélodies de reggae diffusées par son ordinateur.

Libasse Sarr, 18 ans, et Maurice Diouf, 25 ans, ont aussi arrêté les études pour s’inscrire au RBS Akademya (RBS pour RadiK-L Bomb Shot).

Ils y recevront pendant six mois trois cours par semaine de théorie et de pratique.

Ils sont quatre en tout à à constituer la troisième promotion de l’école. Ils repartiront avec une attestation, non reconnue par l’État du Sénégal.

« On a décidé de prendre un effectif réduit pour travailler dans les meilleures conditions », assure Madzoo.

Les élèves versent une inscription de 25.000 francs CFA (environ 40 euros) et payent 15.000 francs CFA (environ 23 euros) chaque mois.

RBS Akademya, très active sur les réseaux sociaux, sert aussi de résidence artistique.

Selon Madzoo, quelques artistes étrangers y séjournent de temps en temps pour participer à des expositions ou partager leur expérience.

Initié au graffiti dès l’âge de 7 ans par des aînés dans son quartier, Madzoo, 36 ans, lunettes noires sur les yeux, compte parmi les figures sénégalaises de cet art de la rue.

Il se dit panafricaniste, engagé au « côté du peuple », et n’hésite pas à prendre position.

En 2021, au lendemain d’émeutes qui avaient fait une douzaine de morts, une fresque murale qui portait la signature de son collectif avait été largement partagée sur les réseaux sociaux.

Elle représentait le président Macky Sall, manche de costume aux couleurs de la France, tirant à bout portant sur un jeune.

Le dessin avait vite et mystérieusement été effacé. Madzoo affirme depuis subir des pressions politiques du pouvoir.

Ses élèves se sont inscrits dans l’école par passion, conscients du peu de débouchés de leur activité. I

ls espèrent connaitre un jour le même succès que lui et rêvent de voyager pour exprimer leur talent. Mais il « faudra être patient et fort », prévient Akonga.

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