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« Les dieux de la brousse ne sont pas invulnérables. » Roman d’Ibrahima HANE

Ibrahima HANE ? Tiens, tiens ! Voici un attachant écrivain sénégalais que je découvre. C’est avec délectation que j’ai dévoré son roman qui, cette année (2023), a obtenu une Mention spéciale du jury du Prix Orange du LIVRE. L’auteur déclare que cette œuvre est le premier tome d’une trilogie intitulée « Le monde en gésine » sur laquelle il a travaillé pendant quatre ans. Son titre ? « Les dieux de la brousse ne sont pas invulnérables », est un aphorisme emprunté au Sage de Bandiagara, l’inoubliable Amadou

Hampaté BÂ dont les écoliers du monde retiennent la fameuse assertion : « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Qui sont les dieux de la brousse, me suis-je, de toute évidence, demandé ? Dans le contexte de l’Afrique coloniale évoquée par HANE, ce sont les envahisseurs blancs débarqués avec leurs canons et leurs missionnaires qui ont régné sur les pays apprivoisés comme des esprits à la fois bienfaisants et destructeurs, voire comme des divinités toutes puissantes.

Mais la guerre qui a violemment commotionné l’Europe entre 1914 et 1918, (guerre dans laquelle ont été entraînés, sous l’appellation de Tirailleurs sénégalais, des soldats noirs issus de l’empire colonial), a révélé qu’ils étaient des êtres de chair et de sang, avec leurs grandeurs et leurs faiblesses. Des situations ne manquent pas, dans ce pavé, où l’oppresseur blanc est ridiculisé pour ne pas dire tombé de son piédestal.

La production de HANE est-elle une œuvre historique ? J’ai failli le croire lorsque je suis tombé, à la page 9, sur une sorte de dramatis personae qui répertorie les personnages mis en situation.

Quel plaisir pour moi de rencontrer dans l’époustouflante saga William Ponty, Gouverneur général de l’AOF dont l’illustre École Normale ayant contribué à l’émergence du théâtre négro-africain d’expression française, porte le nom ; son épouse sénégalaise, native de Saint-Louis, Madjiguène PAYE. André CARRÈRE, le riche homme d’affaires métis me fait penser au poète Charles du même nom.

Quoi dire de Blaise DIAGNE, premier député de l’Afrique noire, siégeant au palais Bourbon ? L’auteur affirme : « …loin d’un patriote, (il) était un fonctionnaire français au service de sa nation d’adoption ».

Saviez-vous quand fut construit le somptueux palais qui accueille les présidents de la République du Sénégal ? Eh bien, à la page 37, l’auteur informe : « Cette résidence prestigieuse avait connu beaucoup d’aléas avant sa finition. Sa construction avait été ordonnée en 1902 par Gaston DOUMERGUE, le ministre des Colonies, pour loger dans la nouvelle capitale le gouverneur général qui résidait alors à Saint-Louis. Bien qu’il fût officiellement livré en 1907, à cause de l’incurie de l’entrepreneur, l’aménagement intérieur ne fut jamais terminé. »

HANE n’a point lésiné sur la recherche pour faire de l’histoire une propédeutique toile de fond de son roman qui, par endroits, a des accents épiques. Il évoque, en passant, la légendaire reine magicienne Saraounia qu’une actrice burkinabé a incarnée, au grand écran, dans un film réalisé, en 1986, par Med HONDO.

L’auteur explique cependant que son œuvre qui « révèle les secrets cachés de la Première Guerre mondiale » est une fiction, même si elle est « construite sur des évènements authentiques ». Autrement dit, les figures marquantes de la non lointaine histoire de l’empire colonial français et les dates précises n’ôtent point au texte son caractère imaginaire. Ce qui rappelle la déclaration du dramaturge Cheik Aliou NDAO selon qui « une pièce historique n’est pas une thèse d’histoire. »

« Les dieux de la brousse ne sont pas invulnérables » est, tout compte fait, un roman auquel des faits réels confèrent une consistance indéniable renforçant la vraisemblance de l’aventure racontée. Cette aventure est celle du Toucouleur Mamadel BÂ, Maréchal des Logis-Chef et garde personnel du Gouverneur général William Ponty.

Fils d’un notable de la ville de Podor, il fut incorporé, à l’âge de douze ans, au Collège des Fils de chefs et d’interprètes où il fut initié au maniements des armes. Mamadel tout comme son fils, le bel Amadou, sont les archétypes du soldat noir impliqué dans une guerre qui ne les concerne pas, mais a l’avantage de les conduire sur le vaste théâtre où elle fait rage, parmi des vis-à-vis hostiles et racistes.

Le roman d’Ibrahima HANE retrace le parcours semé d’embûches de ces braves soldats noirs atypiques. Il s’ouvre sur un exploit de Mamadel, le tireur d’élite qui délivre les populations du lion qui décimait leurs troupeaux, et se ferme sur une tragédie sentimentale que rapporte Amadou, par voie épistolaire, à la Comtesse Viviane de Villeneuve. Entre ces deux extrêmes, que de péripéties susceptibles de nourrir un captivant film d’actions !

HANE se révèle un merveilleux narrateur sachant tenir en haleine le lecteur qui a l’impression d’assister à un thriller, à des situations à couper le souffle se déroulant sous ses yeux. La restitution de faits véridiques bien campés dans le temps et l’espace, le réalisme des descriptions, la justesse des portraits et le naturel des dialogues font que ce roman-fleuve de 425 pages, écrit avec un soin expressif sans bavure et une vision prospective est à la fois un précieux document informatif et un régal pour tout amoureux des Belles Lettres.

En définitive, ce premier tome d’une trilogie annoncée est un avant-goût alléchant de la nourrissante œuvre qu’Ibrahima HANE, banquier à la retraite, concocte pour garnir la table de la nouvelle littérature sénégalaise de langue française.

« Les dieux de la brousse ne sont pas invulnérables. » Roman d’Ibrahima HANE
Éditions L’Harmattan-Sénégal, 2022 – Collection Nouvelles Lettres Sénégalaises.

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