Le prix Nobel de médecine a consacré lundi les travaux de la chercheuse hongroise Katalin Kariko et de son collègue américain Drew Weissman dans le développement de vaccins à ARN messager, décisifs dans la lutte contre le Covid-19.
Les deux scientifiques, cités parmi les grands favoris, ont été distingués « pour leurs découvertes concernant les modifications des bases nucléiques qui ont permis le développement de vaccins ARNm efficaces contre le Covid-19 », a annoncé le jury.
« Les lauréats ont contribué au développement à un rythme sans précédent de vaccins à l’occasion d’une des plus grandes menaces pour la santé humaine dans les temps modernes », a-t-il ajouté.
En mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie le Covid-19 de « pandémie ». En décembre de cette même année, les vaccins à ARN messager reçoivent une autorisation de mise sur le marché. Des milliards de doses ont depuis été injectées à travers le monde.
La biochimiste Kariko et le médecin immunologiste Weissman, collègues de longue date de l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis) et âgés respectivement de 68 et 64 ans, ont déjà remporté plusieurs récompenses prestigieuses pour leurs recherches, dont le prix Lasker Award en 2021, souvent considéré comme un précurseur du Nobel.
En récompensant le duo, le comité Nobel sort de sa pratique habituelle de distinguer des recherches datant de plusieurs décennies.
Leurs découvertes décisives remontent à 2005 mais une avancée particulière en 2015 sera cruciale, un peu plus de quatre ans plus tard, pour la fabrication des premiers vaccins à acide ribonucléique messager (ARNm) contre le Covid-19 par les laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna.
En pleine pandémie, de nombreuses personnes ont été familiarisées au principe de ces vaccins: ils se concentrent sur une petite partie du virus — dans le cas du SARS-CoV-2, la protéine dite « Spike » — et visent à injecter dans l’organisme des brins d’instructions génétiques, appelés ARN messager, ordonnant au corps de fabriquer cette protéine.
Inoffensive en elle-même, cette « spicule » du coronavirus est ensuite détectée par le système immunitaire qui va produire des anticorps.
Treizième femme distinguée
Pour Katalin Kariko, treizième femme à obtenir le Nobel de médecine, cette distinction consacre de longues années de recherche passées dans l’ombre, sans reconnaissance de ses pairs.
Elle a dit penser à sa mère à l’annonce de la récompense.
« Il y a déjà dix ans, elle écoutait (les annonces du comité Nobel), alors que je n’étais même pas encore professeure. Elle me disait +peut-être que ton nom sera prononcé, j’écouterai quand ils feront cette annonce+ », a-t-elle déclaré à la radio publique suédoise SR.
« Année après année, elle a écouté. Il y a cinq ans malheureusement, elle est décédée à l’âge de 89 ans. Peut-être a-t-elle écouté depuis le ciel ».
Drew Weissman a de son côté d’abord cru à un canular lorsque sa collègue, « Kati », lui a annoncé la nouvelle par téléphone.
« Nous nous demandions si quelqu’un était en train de nous faire une farce », a-t-il confié à l’AFP.
« Je suis sûr que tous les scientifiques du monde y pensent: c’est le prix ultime, impossible à obtenir », a-t-il ajouté. « Au cours des 30 à 35 dernières années en tant que scientifique, je n’ai jamais imaginé que l’on envisagerait de me décerner un prix Nobel ».
Réactions inflammatoires
Mme Kariko a employé une bonne partie de son temps dans les années 1990 à postuler pour des financements pour ses recherches centrées sur l’acide ribonucléique messager, des molécules qui donnent aux cellules un mode d’emploi afin qu’elles produisent des protéines bienfaisantes pour notre corps.
La biochimiste pensait que l’ARN messager pourrait jouer un rôle clé dans le traitement de certaines maladies, par exemple en soignant les tissus du cerveau après un AVC.
Mais l’ARN messager n’était pas dénué de problèmes: il suscitait de vives réactions inflammatoires, étant considéré comme un intrus par le système immunitaire.
Avec son partenaire de recherche Weissman, Katalin Kariko parvient progressivement à introduire d’infimes modifications dans la structure de l’ARN, le rendant plus acceptable par le système immunitaire.
Ils franchissent un nouveau palier, en réussissant à placer leur précieux ARN dans des « nanoparticules lipidiques », un enrobage qui lui évite de se dégrader trop vite et facilite son entrée dans les cellules. Leurs résultats sont rendus publics en 2015.
Pour les lauréats du millésime 2023, le chèque sera de onze millions de couronnes (920.000 euros), la plus haute valeur nominale (dans la devise suédoise) dans l’histoire plus que centenaire des Nobel. La Fondation Nobel avait annoncé mi-septembre avoir relevé le montant de cette dotation grâce à sa meilleure situation financière.
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