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Le Bangladesh fête ses 50 ans: une réussite économique, mais un Etat de plus en plus répressif

Le Bangladesh fête ses 50 ans: une réussite économique, mais un Etat de plus en plus répressif

Le Bangladesh célèbre ses 50 ans cette semaine. C’est une réussite économique mais aussi un Etat de plus en plus répressif, où une caricature ou une critique formulée sur les réseaux sociaux peut conduire en prison.

A.B.M Shamsuddin a lancé son usine de pulls en 1998 avec 110 machines et 250 ouvriers. Aujourd’hui, ses cinq usines du Hannan Group fournissent deux dizaines de marques européennes et emploient plus de 10.000 personnes.

« Mon chiffre d’affaires annuel s’élève à 100 millions de dollars », confie à l’AFP M. Shamsuddin, 66 ans, pendant que ses ouvriers cousent des vêtements pour la marque allemande Esprit.

Louant le gouvernement pour la construction d’infrastructures, il prédit « une nouvelle ère de prospérité » pour le pays de 168 millions d’habitants.

L’une de ses employées, Ruma, fait partie des trois millions d’ouvriers du textile qui font du Bangladesh le deuxième exportateur mondial de vêtements, derrière la Chine.

Lorsque sa mère est morte d’une dysentrie dans les années 1980, la petite fille a été envoyée chez un oncle qui a déchiré ses livres: « l’éducation, c’est pas pour les filles ».

Aujourd’hui, elle gagne 420 dollars par mois et pour la fête musulmane de l’Aïd, avec son mari, ils touchent plus de 1.000 dollars et consacrent 120 dollars par mois à l’éducation de leurs deux enfants.

« Je ferai tout pour que mes enfants ne soient pas privés d’éducation », dit-elle à l’AFP dans son appartement de deux pièces en béton, dans la ville industrielle poussiéreuse de Gazipur (centre).

« Cas désespéré »
Lorsque le Bangladesh a obtenu son indépendance du Pakistan en 1971 après une guerre qui a coûté la vie à trois millions de personnes, Henry Kissinger, alors conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis avait qualifié le pays de « cas désespéré ».

Plus de 80% de sa population vivait alors sous le seuil de pauvreté, endurant famines et coups d’Etat militaires.

La plupart des industries appartenaient à des hommes d’affaires pakistanais. Aujourd’hui, selon le chercheur norvégien Elrik G. Jansen, spécialiste du Bangladesh, un peu plus de 10% de la population vit dans une extrême pauvreté.

La production de riz, aliment de base, a plus que triplé, l’espérance de vie est passée de 41 ans en 1971 à 73 ans, écrit l’expert dans son dernier ouvrage « Seeing the End of Poverty : Bhaimara Revisited » paru en 2019 (University Press).

Au cours de la dernière décennie, la croissance annuelle a dépassé les 7% et le PIB par habitant a été multiplié par plus de quatre depuis l’an 2000. La Première ministre Sheikh Hasina veut faire du Bangladesh un « pays développé » d’ici 2041.

« Suis-je un homme libre ? »
Mais les militants pro-droits humains affirment que la démocratie s’érode depuis que la fille de Sheikh Mujibur Rahman, « le père de la nation » mort assassiné, est arrivée au pouvoir il y a deux ans.

Tous deux font l’objet d’un culte croissant de la personnalité, selon les critiques. Leurs portraits prolifèrent dans tout le pays.

Le principal parti d’opposition, le Bangladesh Nationalist Party (BNP), est réduit à néant. Sa cheffe, Khaleda Zia, grande rivale de Hasina, est malade et emprisonnée pour corruption.

Le parti affirme qu’au moins 3,5 millions de ses militants et sympathisants ont été inculpés depuis 2012 dans le cadre d’accusations forgées de toutes pièces, et que beaucoup dorment désormais en prison.

Des centaines d’autres ont été portés disparus à la suite d’interpellations, affirme le BNP. Les autorités répriment les critiques, en particulier sur les réseaux sociaux, recourant à un nouvel arsenal législatif sur la « sécurité numérique » qui, selon les organisations de défense des droits, a déjà servi à arrêter des centaines de journalistes, de militants et autres voix discordantes.

A l’instar de l’écrivain Mushtaq Ahmed, jeté en prison pour avoir posté des messages sur Facebook dans lesquels il critiquait la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19. Il est mort à 53 ans, en février dans une prison de haute sécurité où il avait passé dix mois. Son décès a déclenché une vague d’indignation et plusieurs jours de manifestations et d’affrontements avec les forces de l’ordre.

Arrêté en même temps que l’écrivain, le dessinateur Ahmed Kabir Kishore, 45 ans, tout juste libéré sous caution, s’est réfugié dans un lieu tenu secret. Il affirme avoir été torturé, ce que les autorités démentent. Il suppose que son crime a été de dessiner une caricature d’un homme d’affaires proche du pouvoir.

« Suis-je un homme libre ? Je n’ai pas le droit de dessiner. J’ai été torturé parce que je dessinais », confie-t-il à l’AFP, « on m’a séparé de mon enfant pendant dix mois parce que je dessinais. »

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