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Le fabuleux parcours d’un jeune Goncourt

Passé par une prépa à Compiègne, dans l’Oise, Mohamed Mbougar Sarr a touché le graal à 31 ans. Itinéraire d’un jeune homme que ses profs imaginaient en futur président du Sénégal.

Il a assez peu dormi ces dernières heures. « J’ai le sentiment d’être dans la même journée depuis mercredi », nous glisse au téléphone l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, depuis la foire du livre de Brive où il présentait ce week-end son ouvrage fraîchement sacré Goncourt2021.Mais il en faudrait davantage pour faire tourner la tête du jeune homme de 31 ans.

Mercredi, il était apparu calme et posé devant les jurés qui venaient de couronner « la Plus Secrète Mémoire des hommes », fresque insaisissable et flamboyante, roman d’aventures où se cachent de magistrales réflexions sur la littérature. Le voilà plus jeune lauréat depuis Laurent Gaudé en 2004.

La concrétisation d’un parcours hors norme. « Avec mes collègues, c’est vraiment l’élève qui nous a le plus marqués », résume Sabine Peiffert, sa professeure d’histoire en classe préparatoire, à Compiègne (Oise).

Un élève modèle et modeste
Mohamed Mbougar Sarr grandit à Diourbel, à 150 km de Dakar (Sénégal). Une enfance heureuse. « J’ai eu beaucoup de chance d’être entouré et stimulé par un environnement familial où je m’amusais beaucoup. Je passais du temps à lire mais aussi à jouer avec mes frères, mes cousins », raconte ce fils d’un médecin et d’une femme au foyer. Il fait des étincelles.

« Mes maîtres ont très vite vu que j’avais cet amour des livres, cette facilité pour l’écriture, et ils m’ont encouragé », raconte celui qui se décrit très modestement comme un élève « honnête ». Un euphémisme pour celui qui décrochera le titre de « meilleur bachelier du Sénégal ».

Des écrits le marquent. Il y a « la Plaie », de Malick Fall, mais aussi « le Devoir de violence », de Yambo Ouologuem, qui lui inspirera l’histoire de « la Plus Secrète Mémoire des hommes » : un jeune écrivain partant à la recherche d’un romancier mystérieusement disparu après un scandale. À cette époque-là, il lit aussi Senghor, Césaire, bientôt Kundera.

Sur les conseils de ses professeurs, il choisit d’intégrer une prépa littéraire en France. Ce sera Compiègne (Oise), au lycée Pierre-d’Ailly. « On m’avait dit que le système des classes préparatoires à Paris pouvait être assez cannibale, féroce, et qu’il valait mieux commencer par une prépa de province, plus accueillante », raconte-t-il.

« Il avait toujours les meilleures notes, tout en restant simple, sympathique. Quand les professeurs lui remettaient ses copies, on s’arrêtait tous pour écouter ce qu’ils allaient dire. Certains enseignants étaient émus. Je me souviens de l’un d’entre eux qui lui avait dit : Je n’avais jamais mis 20 à un élève avant toi », raconte Clémence, une de ses camarades.

Sabine Peiffert, sa prof d’histoire, confirme. « Mais, en plus de ça, il m’a marquée par sa maturité, sa profondeur, son calme, son humilité, sa grande culture et son style d’écriture, raconte l’enseignante, qui a lu ses quatre romans. Je me disais qu’on entendrait parler de lui. Moi, je l’imaginais bien devenir président du Sénégal. »

Un capitaine serein dans la tempête
Hypokhâgne, khâgne. L’étudiant dévore les livres. Il ouvre un blog, écrit des nouvelles, intègre l’École des hautes études en sciences sociales, commence une thèse sur « 1968 dans la littérature africaine francophone ». En 2015, son premier roman, « Terre ceinte », reçoit plusieurs prix.

« La première fois que je l’ai vu, il m’a impressionné par sa grande confiance, inhabituelle chez quelqu’un de cet âge, analyse Philippe Rey, qui a publié ses deux derniers romans, en coédition avec Jimsaan. Même là, depuis l’annonce, dans cette tempête, c’est un capitaine qui continue à mener son navire intérieur avec beaucoup de sérénité. Et il a un humour merveilleux. »
Recevoir cette récompense cent ans pile après René Maran, le premier écrivain noir lauréat du Goncourt ?

« C’est un signal fort. Mais l’idéal serait qu’on arrête de présenter ça comme quelque chose d’exceptionnel », réagit l’intéressé.
Il avait confié en plaisantant à son éditeur, grand amateur de course à pied, qu’il courrait un marathon s’il figurait sur au moins trois listes de prix. Pas besoin. Car l’année qui l’attend s’apparentera à une course de fond.

D’anciens lauréats (Lydie Salvayre, Laurent Gaudé…) lui ont expliqué ce qui l’attendait. « On s’engage dans un tourbillon de rencontres, de voyages, qui peuvent être épuisants », pressent Mohamed Mbougar Sarr, qui vit à Beauvais (Oise) avec sa compagne, rencontrée en prépa. Cette année, il devra peut-être mettre de côté ses loisirs : la cuisine, la guitare basse et les balades à vélo. Mais il ne perd pas son cap : l’écriture. « Car j’ai encore deux, trois choses à dire », sourit-il.

PAULINE CONRADSSON

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