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Le pire n’est jamais sûr – Par Babacar Fall

Le régime de Macky est-il si sourd et aveugle qu’il ne voit pas le niveau de détestation dont il est l’objet dans ce pays, en zone urbaine et rurale et dans toutes les couches sociales ? Une simple plongée dans le quotidien des citoyens lui aurait, pourtant, donné des indices sur le niveau de ras-le-bol observé, comme jamais dans l’histoire politique récente, à l’exception de la toute dernière période du président Wade.

Le pouvoir est pris dans son propre piège
Dans la stratégie du régime, pour légitimer politiquement et non en droit, le troisième mandat du président Macky Sall, la diabolisation d’Ousmane Sonko était la pierre angulaire. Il était supposé être le plus mauvais candidat, celui qui trainait une réputation sulfureuse, des accointances avec les indépendantistes de Casamance, les salafistes et autres courants issus de la mouvance sénégalaise des frères musulmans des Ibadou Rahmane et des autres.

En somme, toutes tares qui devaient le disqualifier aux yeux des républicains et des citoyens attachés au contrat sénégalais (notre commun vouloir de vie commune) fait de modérations, de compromis social et de juste milieu.

Cette stratégie a ripé sur le contexte socio-économique du pays. La crise est profonde, nonobstant ce qu’en dit le régime. Pour qui sait lire entre les lignes et le langage, très diplomatique, des institutions de Bretton Woods, notre économie va droit dans le mur.

Un niveau d’endettement public record à 75% du PIB qui tend à être insoutenable. Une baisse drastique des recettes fiscales par comparaison à la hausse continue de la dépense publique, surtout de la masse salariale de l’Etat (due plus aux recrutements clientélistes que pour accroître l’efficacité des ressources humaines de l’Etat).

Un niveau d’inflation de 9,7% jamais vu depuis des décennies (dixit le FMI). Les ménages sénégalais confrontés quotidiennement à la hausse des prix, aux marchés, dans les transports en commun, le savent mieux que ces experts. Ce n’est pas le millefeuille administratif inventé par le gouvernement pour baisser les loyers et la frousse que lui donne les transporteurs privés, qui vont aider à diminuer les prix de ce côté.

Mais le pire est à venir, avec la quasi-injonction du FMI pour que le gouvernement supprime les subventions sur l’électricité. La hausse de la facture de la Senelec devrait suivre bientôt.

Et ce gouvernement gage, tous les jours, les revenus à venir du pétrole et du gaz. Et la presse aux ordres salue avec tambours et trompettes et au son des balafons, la levée presque mensuelle de fonds auprès des banques et des investisseurs afin d’assurer la trésorerie pour le fonctionnement de l’Etat.

Et pendant ce temps, les entreprises nationales courent derrière leurs factures pour être payées sur les maigres parts de marchés qu’elles arrivent à gagner. Puisque les entreprises chinoises, turques, marocaines et françaises raflent, désormais, tous les appels d’offres publics.

Ce qui reste est littéralement donné « aux amis du pouvoir » pour en enrichir quelques-uns. Voilà le tableau qui s’offre aux citoyens sénégalais. Vie chère, appauvrissement des familles, gabegies financières, corruption indécente de quelques-uns jusqu’au plus haut sommet du régime.

L’indécence de l’enrichissement accélérée du griot du président, du beau-frère, du figurant actuel au ministère du Tourisme, heurte au plus profond, les masses de sénégalais qui n’en peuvent plus.

Et on voudrait leur vendre cette alternative ridicule du Moi (Macky) ou le Chaos (Sonko). Les Sénégalais ont répondu, lors des dernières élections locales en donnant, une majorité de grandes villes et des communes des grandes zones urbaines à l’opposition (coalition Yewwi askan wi et Walu). Et lors des législatives, en infligeant une retentissante raclée électorale à la majorité sortante de Macky Sall.

La politique du ventre selon Macky
En décembre 2012, dans un article prémonitoire paru le 4 décembre 2012 dans Sud Quotidien (à retrouver sur mon blog bfbac.com), « Un pas en avant, deux pas en arrière », je donnais mon sentiment, sur les premiers pas du régime de Macky Sall.

« Au poker, quand un joueur a la meilleure main qui soit et perd sa mise, on parle de BAD BEAT. Ce joueur est un « FISH », c’est à dire un joueur débutant, inexpérimenté qui commet des erreurs grossières et visibles. Après plus de 6 mois de fonctionnement, le gouvernement du Sénégal donne cette impression désagréable d’amateurisme, d’impréparation à la gestion de l’Etat, de pusillanimité, de pilotage à courte vue et quelque fois plus grave de reproduire ce que Wade a appris à beaucoup d’entre eux du temps de leur fameux compagnonnage. En somme du Wade sans Wade. Et pourtant nous avons tellement attendu ce changement ! 12 ans d’un pouvoir qui a réduit à néant notre culture des règles de la bonne administration publique, de l’Etat de droit, réduite à néant au profit de coteries familiales et financières. »

Le temps m’aura donné raison au vu de la réalité de ce qu’il est devenu aujourd’hui.

Ce régime a ruiné l’Etat, fragilisé les institutions publiques, privilégiant les allégeances politiques à la compétence professionnelle et technique, dans le choix des directeurs d’administration et de sociétés nationales, explosé jusqu’à l’écœurement le nombre de ministres, de sous ministres et de conseillers estampillés ministres-conseillers. Il n’est que de voir, à la lecture du communiqué du Conseils des ministres, sur la chaîne de télévision officielle, cette galerie de mines réjouies, installée devant la longue table du Conseil des ministres et faussement studieuses. « Adieu veau, vache, cochon, couvée » se surprennent à reprendre cette expression de La Fontaine, certains anciens en songeant à ce qu’était un Conseil des ministres du temps de L. Senghor et A Diouf.

La litanie des scandales financiers n’en finit plus.
Sud Quotidien, dans un article récent en a fait une chronique de 2012 à ce jour : Coud, Ndingler, Petrotim, Bictogo, Prodac, Ter, TF 1451/R…et last but not least, le Fonds Force Covid-19, riche de mille milliards de FCFA sur lequel, beaucoup de ceux, que la politique des copains et des coquins a réuni, se sont bâfrés goulûment.

Puisqu’il n’y a plus de limites à l’indécence, les rapports d’audits des corps de contrôle on s’assoit dessus, la peur du gendarme a disparu, pourquoi se retenir désormais. Tous les jours, c’est à celui ou celle qui affichera le plus ostensiblement sa loyauté au chef, avec les mobilisations des populations, achetées à coup de millions de FCFA, parmi les directeurs de sociétés nationales.

Le régime de Macky Sall a aussi, créé cette galerie de monstres, miroir exact de celle de la période de Wade, incultes, sans foi ni lois, voraces, qui ne connaît aucune limite.

Après Pape Samba Mboup, Farba Senghor, Clédor Sène et sa bande de sicaires, soutenus et financés par Samuel Sarr, nous avons aujourd’hui Farba Ngom, Mame Mbaye Niang, Mamadou Lamine Massaly et de multiples Dr de tout et de rien.

Quelle est la nature de ce régime ?
Assurément d’une aventure politique, d’une prise de risque qui a réussi.

D’un homme, victime des outrances, des brimades de son mentor, qui décide avec un petit groupe d’amis et de sa famille, de se venger. Qui découvre, chemin faisant, les circonstances aidant, notamment la fin du régime de Wade et l’exaspération des citoyens, une fenêtre d’opportunités. Et qui s’en saisit, en sollicitant des appuis et des soutiens.

Si on analyse ce moment politique, qui révèle le candidat Macky Sall, inexpérimenté, sans moyens à l’époque, ne disposant pas encore d’un appareil politique, on voit bien que c’est sa capacité politique et son audace à se saisir des circonstances (quasi-insurrection des citoyens devant la volonté de 3ème mandat de Wade et de son souhait d’installer son fils comme héritier) qui le propulse au-devant des acteurs politiques traditionnels. Sa jeunesse et les moyens qui affluent achèvent de l’installer sur le podium.

Son instinct, l’empathie que lui démontre les citoyens, face aux vexations dont il est l’objet de la part de Wade, sa résilience, l’installe en tête des candidats au 1er tour de la présidentielle de 2012. Ce ne sont certainement pas son programme insipide (Yoonu Yokkuté), ses dons d’orateurs ou son « charisme ».

Au 1er tour Macky Sall a recueilli 26,58% des suffrages. C’est la dynamique politique après cette première estocade inattendue contre Wade, qui fait le reste, grâce à la discipline de vote des électeurs du parti socialiste (11,30%). Et le rassemblement de Benno Bokk Yaakar derrière sa candidature unique, crée ce formidable et surprenant maelström du 2ème tour, qui voit la victoire écrasante d’un quasi-inconnu de la scène politique nationale à 65,80% des voix exprimées.

Mais, comme tous les analystes politiques le savent, au 1er tour on choisit et au 2nd on se rassemble. C’est pourquoi Macky Sall et ses conseillers les plus avisés, le voient bien, le socle électoral du régime est très faible. Et il n’est pas arrivé jusqu’à présent à faire la bascule, même à la présidentielle de 2019 où il est élu au 1er tour avec 58% des voix.

Il n’est donc pas étonnant qu’il s’agrippe jusqu’à la dernière énergie au rassemblement avec Benno Bokk Yaakar qui lui assure une majorité électorale de fait. Mais cette quasi-rente, que le parti socialiste et les vieux caciques de l’ex-gauche communiste (PIT et PIT), assurés de continuer à bénéficier de certaines sinécures, arrive à sa fin comme un cycle politique dans le cadre d’une séquence ouverte depuis 2012.

La perte de la majorité aux législatives de 2022 clôt cette séquence qui devrait aboutir à la fin de Benno Bokk Yaakar et ouvrir un autre cycle nonobstant la querelle entretenue sur le 3ème mandat.

Au fond, quand on analyse ce régime et ses animateurs et au premier chef le président, on se trouve face à une suite d’actes politiques, qui fait la part belle à une sorte d’éloge de l’empirisme (débrouillardises plus trivialement), qui explique l’aveuglement quand surviennent les passages difficiles. Ce régime n’a pas de récit national à offrir aux Sénégalais, si ce n’est de mauvais emprunts, qu’on habille sous le nom de l’efficacité.

A preuve, chaque réalisation et chaque investissement s’inscrit dans un « hub ». Ce techno langage (en franglais pour mieux en accentuer les effets) souvent utilisé pour dissimuler les faiblesses et les lacunes des projets.

Derrière, il y a cette idée que l’utilisation des termes techniques, des acronymes et des jargons, peut créer l’illusion de la complexité et de l’expertise et empêcher une remise en question et des critiques. Sans oublier bien sûr les montants en dizaines ou centaines de milliards de CFA, que son Excellence fait ruisseler dans ce pays chaque jour que Dieu fait.

Et le mimétisme dans le discours entre autorités politiques, du président aux ministres et sous ministres est symptomatique de l’indigence intellectuelle et doctrinale qui règne au sein de ce régime, sur la démocratie, la République, la séparation des pouvoirs, la laïcité de l’Etat, la vision de l’économie politique au Sénégal

Le projet de 3ème mandat de Macky Sall est une menace pour la République et la démocratie
Il faudrait être sourd et aveugle, pour ne pas voir que dès les résultats de la présidentielle proclamés, un dispositif a été pensé, pour mettre sur les rampes une 3ème candidature présidentielle de Macky.

Les images, presque quotidiennes de l’activisme du cercle familial proche du président, et du clan des « katangais » qui l’entoure, court-circuitant les instances de la coalition et de l’APR aphone, la montée au front régulière du ministre de la Justice défendant cette hérésie juridique du droit au 3ème mandat, tout cela ne laisse aucun doute sur la volonté d’une candidature.

C’est dire combien l’aventurisme politique constitue un danger pour la démocratie.

Ce qui est vrai du « macronisme » en France, du « trumpisme » aux USA, l’est pour le régime de Macky Sall.

De tout temps, l’aventurisme en politique s’est toujours caractérisé par l’émergence d’un leader, en opposition radicale au système en place pour se positionner en alternative. Quand on écoute les discours de Macky Sall en 2011, contre A. Wade, les appels à l’insurrection, à l’intervention de l’armée ou à aller au Palais déloger le vieux président, on se pince, eu égard aux cris d’orfraie que la presse pro-Macky pousse devant les discours actuels de Yewwi et de Ousmane Sonko.

Pour gagner en 2012, Macky Sall avait su opposer des solutions simplistes à la complexité des réponses de Wade, pour susciter l’adhésion du plus grand nombre de Sénégalais.

Il a su attiser la colère des jeunes, surtout devant la gabegie de la gestion Wade, son clientélisme, sa gestion clanique et surtout la corruption généralisée du régime. Il s’est présenté comme le seul susceptible de changer le système, de représenter les exclus et les marginalisés.

Aujourd’hui ces ressorts sont cassés, à l’épreuve de sa propre gestion depuis 12 ans.

Et tout se passe, comme si, la lecture des dynamiques politiques actuelles avec Ousmane Sonko comme figure emblématique lui renvoyait à la fois l’échec de sa gestion et les conditions réunies de sa défaite en 2024.

Ce qui explique ses dérives autoritaires, la judiciarisation du champ politique, les rafles policières des opposants, l’instrumentalisation de l’administration territoriale et de la Justice.

L’aventurisme politique qui caractérise ce régime a des conséquences très graves pour la stabilité de nos institutions, l’avenir de la démocratie et de la République.

Dans un discours enflammé en février 2023 à Pikine, sans doute grisé par la foule et la chaleur, le falot Premier ministre qu’il « a donné » au pays après la bérézina des législatives, a dit que Macky Sall sera candidat en 2024 et peut être en 2029.

« Nous n’avons pas de plan B ni de plan C. Macky Sall est notre seul plan. Que ça soit 2024 ou 2029, c’est du pareil au même. C’est à conjuguer au passé. Il peut compter sur nous. Nous nous attellerons à faire tout ce qu’il souhaite. Et c’est ce message qu’attend de nous le président Macky Sall ».

L’argument est toujours le même, pour les thuriféraires du pouvoir, le président doit finir ses chantiers.

Et comme des chantiers s’ouvriront aussi, durant un autre mandat de 5 ans en 2024, il n’y a plus de limite juridique, ni morale, à une présidence à vie.

Puisqu’il peut se présenter autant qu’il le souhaite aux suffrages des citoyens. D’ailleurs on se demande bien pourquoi ennuyer les Sénégalais avec ces appels aux suffrages ?

Peut-être pourrait-on décréter Macky Sall, président éternel, grand dirigeant, Soleil de la Nation ?

L’aventurisme politique s’affranchit des règles et des valeurs de la démocratie, comme le respect des libertés publiques, de manifestations, d’expression des minorités. Les seules règles admises sont celles qui lui permettent le maintien au pouvoir. Les institutions n’ont de légitimité que celle que leur confère la loyauté à la parole et aux désirs du grand timonier.

Le régime actuel engendre un clivage puissant au sein de la société entre les citoyens et tente de recréer les violences et les crises irrédentistes en Casamance, puisqu’à chaque fois doit se jouer cette posture du Moi ou le Chaos.

L’aventurisme politique de Macky Sall entamé en 2012, menace profondément la stabilité politique de notre pays.

En 2024, les républicains et tous ceux attachés à une certaine idée de cette Nation, à ses valeurs de tolérance, de respect de l’autre, de refus de l’homme providentiel. Ceux qui pensent que la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres (Churchill) doivent lui infliger une défaite mémorable qui découragera tous les apprentis sorciers et autres illuminés, qui veulent se servir de la démocratie, sans être convaincus de ses vertus.

Babacar Fall est haut fonctionnaire à la retraite.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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