Société

L’autre défi de la classe politique

Le processus électoral pour les élections municipales et départementales du 23 janvier 2022 n’a rien d’un long fleuve tranquille.

Après l’audit du fichier électoral et autre exigé par l’opposition au lendemain de la présidentielle de 2019 avant sa participer à toute sorte d’élection au Sénégal, le processus électoral pour les élections municipales et départementales du 23 janvier 2022 fait face à un nouveau défi. Et pour cause, la conditionnalité de présentation d’une carte d’identité biométrique CEDEAO imposée aux primo-votants pour s’inscrire sur les listes électorales par le décret n°2021-976 du président de la République relatif au démarrage de la révision exceptionnelle des listes électorales pourrait être un nouveau point de discorde entre majorité et opposition.

Décidément, le processus électoral pour les élections municipales et départementales du 23 janvier 2022 n’a rien d’un long fleuve tranquille. En effet, nonobstant l’effectivité de l’audit du processus et du fichier électoral exigé par l’opposition au lendemain de la présidentielle de 2019 avant sa participation à toute sorte d’élection au Sénégal qui était à l’origine des quatre reports déjà actés de ce scrutin, la question de la fiabilité continue encore d’alimenter les débats. Dernière en date, la question de l’inscription des primo-votants sur les listes électorales.

En effet, selon les dispositions du décret n°2021- 976 du président de la République relatif au démarrage de la révision exceptionnelle des listes électorales dans la période du 31 juillet au 14 septembre 2021 en perspective de ces joutes électorales du 23 janvier 2022, l’inscription des nouveaux électeurs qui doivent avoir 18 ans révolus au moins à la date du 23 janvier 2022 se fait «sur présentation exclusive de la carte d’identité biométrique CEDEAO».

Autrement dit, tous les nouveaux Sénégalais, ayant atteint la majorité légale, devront d’abord se procurer, auprès des Commissariats de Police ou Brigades de Gendarmerie nationale, des cartes d’identité s’ils veulent s’inscrire sur les listes électorales. En réaction à cette mesure, le Front de résistance nationale (FRN) est monté au créneau pour demander au gouvernement de prendre une mesure transitoire exceptionnelle qui permettrait aux primo-votants de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales avec un extrait de naissance et un certificat de résidence.

Dans un communiqué rendu public le 31 juillet dernier, Moctar Sourang et compagnie s’appuient sur le fait que depuis 2018, notre pays n’a pas connu de révision annuelle des listes électorales, ni de révision exceptionnelle, une situation qui a conduit à un doublement de l’effectif des primo-votants estimé aujourd’hui à plus de cinq cent mille (500 000) personnes. Mais aussi sur le fait que le décret N°2021-976 du 26 juillet 2021 fixe la durée de la révision exceptionnelle à quarante (40) jours au lieu de soixante (60) jours, comme retenu de façon consensuelle par toutes les parties prenantes de la Commission politique du dialogue national.

Par ailleurs, il faut rappeler que dans leur rapport de 124 pages, les experts indépendants de la mission d’audit quoique déclarant le fichier électoral « cohérent et fiable, ont souligné que seule la moitié (53,8%) des jeunes de 18-25 ans sont inscrits.

S’agissant de la question des primo-votants, ces mêmes experts après avoir jugé « particulièrement bas » leur niveau d’inscription sur les listes, ont estimé que seuls 9,3% des nouveaux majeurs, âgés de 18 à 20 ans peuvent exercer leur droit de vote.

Pourtant, selon le rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie sur la situation économique et sociale du Sénégal en 2015 rendu public en Janvier 2018, le Sénégal est caractérisé par l’extrême jeunesse de sa population, avec 42% de sa population âgée de moins de 15 ans. Et « l’âge médian de la population se situe à 18 ans », indique ce document qui précise que la population du troisième âge (60 ans et plus) représente une faible proportion (moins de 6%). Ces données sont confortées par celles issues des projections démographiques réalisées par la même Ansd en 2020, lesquelles évaluent la population sénégalaise à 16 705 608 habitants. La structure de la population par âge selon ces projections démographiques est caractérisée par sa jeunesse et la moyenne d’âge est de l’ordre de 19 ans.

REACTIONS…REACTIONS…
MOUSSA SARR, PORTE-PAROLE DE LA LD, MOUVANCE PRESIDENTIELLE : «Penser que le gouvernement cherche délibérément à éviter l’inscription des primo-votants, cela n’a pas de sens»
«À propos de ce débat relatif à une absence éventuelle de primo-votants sur les listes électorales, je tiens d’abord à rappeler que le système électoral actuel du Sénégal a été conquis de haute lutte. Parmi les acquis qui rendent notre système électoral crédible, il y a l’exigence faite aux citoyens de s’inscrire sur les listes électorales à partir, entre autres, de la carte nationale d’identité. Cela n’a pas toujours été le cas. Or, si nous voulons sauvegarder notre démocratie, il nous faut aussi consolider son système électoral. C’est un impératif.

Voilà pourquoi, il faut éviter d’y introduire, à tout va, des modifications susceptibles de fragiliser ce système électoral qui a permis l’avènement de deux alternances politiques. Ensuite, nous avons en mémoire les énormes difficultés rencontrées par les techniciens de la DAF (Direction de l’automatisation du fichier) et du ministère de l’Intérieur dans le traitement des données lors de la réforme partielle de 2016 qui avait autorisé l’inscription sur les listes avec un extrait de naissance et un certificat de résidence Dès lors, je considère que l’allègement de la procédure d’inscription sur les listes par exemple sur simple présentation d’un extrait de naissance et d’un certificat de résidence n’est pas de nature à consolider notre système électoral. Au contraire.

Et puis, le président de la République a promulgué, en 2016, une loi qui dispose que la »carte d’identité est délivrée aux citoyens sénégalais. Elle est obligatoire pour tous les citoyens âgés d’au moins quinze (15) ans et peut être délivrée à tout citoyen âgé de cinq (05) ans révolus ». Autrement dit, tous les citoyens en âge d’obtenir la carte nationale d’identité en font la demande et les services compétents en délivrent, au quotidien. Il ne faut donc pas attendre une année électorale pour vouloir s’en procurer.

D’autant que la carte nationale d’identité ne sert pas uniquement pour les élections. Penser que le gouvernement cherche délibérément à éviter l’inscription des primo-votants, cela n’a pas de sens. Personne ne peut savoir, à priori et avec certitude, dans quel sens ira le vote des primo inscrits. Ceux qui avaient pensé qu’ils sont destinataires naturels des suffrages des primo-votants ont été battus à plate couture en 2019. Une fois que cela est dit, j’en appelle tout de même à l’esprit de responsabilité des agents des services concernés pour plus de diligence dans la confection et la délivrance des cartes nationales d’identité ».

DETHIE FAYE DU PARTI CDR/FONK SA KADDU ; POLE DES NON-ALIGNES : «On peut penser que cela peut être lié à un déficit d’information, soit à une forme de rejet de l’action politique»
«La mission d’évaluation du processus électoral a, dans ses conclusions, attiré l’attention sur la faible représentativité des jeunes âgés de 18 à 25 ans dans le fichier électoral. Il est difficile de donner une explication très précise à ce phénomène, mais on peut penser dans une certaine mesure que cela peut être lié à un déficit d’information, soit à une forme de rejet de l’action politique menée sur le terrain. Une option que ferait cette tranche de la jeunesse pour une autre alternative à l’action politique telle que menée traditionnellement.

Ce ne sont que des hypothèses, mais il n’en demeure pas moins qu’il va falloir approfondir la réflexion, mais surtout mener un travail d’explication, d’information, de clarification, des débats, des entretiens, des enquêtes même pour voir qu’est ce qui justifierait cette position de cette tranche d’âge. C’est un ensemble de questions que chacun se pose et qui nécessite une étude approfondie car, cela pourrait être demain une menace même pour notre système démocratique, si une bonne frange de la jeunesse ne croit pas à la nécessité de figurer dans le fichier électoral.

TOUSSAINT MANGA, DEPUTE DE L’OPPOSITION (PDS) : «Si l’opposition veut en faire un point saillant de revendication, les choses bougeront»
La première raison est que le gouvernement est conscient que cette tranche d’âge ne lui est pas favorable. Les jeunes de cette tranche d’âge sont souvent des jeunes qui votent pour l’opposition. Nous avons assisté aux élections de 2019, à toutes les péripéties qui ont empêché pas de mal de jeunes à s’inscrire. Nous revenons sur le même schéma et on va vers une révision où les conditions pour avoir la carte d’électeur sont longues et pénibles. Parce qu’il va falloir avoir d’abord la carte d’identité, ensuite revenir pour s’inscrire et nous savons que le délai pour l’obtention de la carte d’identité est assez long. Le temps que les jeunes puissent avoir leur carte d’identité, la période de révision serait écoulée.

C’est une stratégie qui est mise en place. C’est la volonté manifeste du régime d’écarter les jeunes. Les responsabilités sont à partager aussi. Les jeunes en tant que tels doivent avoir conscience qu’ils ont droit de participer aux activités politiques, et de participer en tant que citoyens, aux choix qui s’opèrent dans la Nation. Ils doivent davantage, d’eux même, montrer la volonté qu’ils veulent s’inscrire malgré qu’il y ait toute cette volonté du pouvoir de les écarter. C’est aux jeunes de s’affirmer.

Je crois qu’une mobilisation massive des jeunes dans les commissariats pour s’inscrire permettrait à ce que le pouvoir puisse revoir les dispositions qui ont été prises. La responsabilité de l’opposition est aussi engagée. Je trouve que l’opposition est restée très pacifique sur cette décision prise par le gouvernement, d’exiger la carte d’identité CEDEAO avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales.

A ce niveau, il y a eu au niveau de l’opposition, une certaine passivité. En réalité, même si les jeunes doivent s’organiser, c’est à l’opposition de créer les conditions. Pour que les choses bougent, il faut qu’il y ait des voix qui se lèvent. Si l’opposition veut en faire un point saillant de revendication, les choses bougeront. S’ils n’en font pas un point de revendication, les choses resteront au statu quo. L’opposition doit se réunir et faire bouger les choses pour que cette mesure soit levée. Il n’y a pas d’autres solutions».

Nando Cabral GOMIS et Jean Michel DIATTA 

Articles Similaires

1 sur 212

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *