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Ce Président qui ose tout – Par Mame Mor NGOM

Vous ne rêvez pas. Ce n’est pas un cauchemar. Nous sommes bien au Sénégal. Le président de ce pays a fait un discours -annoncé officieusement vendredi- pour nous dire samedi que l’élection qui devait se tenir le 25 février 2024 n’aura plus lieu. On l’attendait quand « il est midi » du nom de ce journal très iconoclaste et insulteur d’un de ses amis nommé depuis 2012 PCA de la Rts.

Il nous a parlé à 14 heures. Il avait un air grave mais son regard nous fuyait. Il était peu convaincant. Il n’a pas voulu être clair dans sa déclaration en français, se gardant de prononcer le mot « report » ou « annulation ».

En wolof, il a employé le mot « acc », c’est-à-dire suspendre…dans les airs. Aucune date n’est retenue.
L’Assemblée nationale instigatrice d’une commission parlementaire se charge de lui indiquer la voie, le jour, l’heure, l’année.

Le Parti démocratique sénégalais (Pds) précise qu’il a juste besoin de six petits mois pour « remettre les choses à l’endroit » dans leur entendement et permettre ainsi à Karim Wade leur candidat de revenir dans la course.

Pas nécessaire de rappeler que le fils d’Abdoulaye Wade vit exilé au Qatar après avoir été condamné, emprisonné et gracié dans des conditions lugubres comme cette longue nuit noire au cours de laquelle il a été précipitamment sorti du pays.

C’est ce Karim Wade qui a donc accusé le candidat de Benno Bokk Yakaar Amadou Ba d’avoir corrompu deux des juges du Conseil Constitutionnel. L’un d’eux étant le frère du ministre Secrétaire Général Abdoulatif Coulibaly lui-même responsable de premier plan de la coalition au pouvoir. Il a été obligé de jeter l’éponge après le discours présidentiel actant le report.

Une situation assez rocambolesque très peu ordinaire. Une crise interne à l’Alliance pour la République et ses ramifications qui a poussé le président Macky Sall à prendre la solution la plus facile, la plus radicale, avec une légèreté coupable.

Toutefois, si on y regarde de prés, ce report est lié en partie à la présence du candidat Bassirou Diomaye Faye qui occupe le terrain même s’il est en prison. Un instinct de conservation ! Sans le « Diomoye mooy Sonko » très bruyant au point d’éclipser les autres candidats, Macky n’aurait rien à craindre.

Il est évident que Karim Wade même soutenu par une machine du Pds ne pourrait pas inquiéter le régime dans ce contexte bien donné et compte tenu de sa longue absence du pays et de son manque de génie politique.

On espérait que le président de la République ne tenterait pas le diable du report. On pensait qu’il est assez réfléchi pour le faire. En 2021, nous alertions déjà sur le danger d’une certaine obsession.

Et nous écrivions : Macky Sall doit être certainement sûr que c’est en de pareilles circonstances qu’un dirigeant a besoin de vrais amis, de vrais collaborateurs et pas de laudateurs, d’obligés, de larbins ou de dames… de compagnie.

Ceux qui lui disent la vérité sans biais. Ceux qui lui évitent les déductions simplistes. Ceux qui analysent froidement la situation sans passion et ne mettent pas en exergue de petits intérêts.

Ceux qui lui évitent tout esprit paranoïaque. Ceux qui sont prêts à tout perdre, pour prendre rendez-vous avec l’histoire.

Ceux qui ne lui demandent pas de se braquer, qui lui demandent d’éviter toute radicalité. Ceux qui ne minimisent pas les drames. Ceux qui lui disent que l’heure est trop grave. Ceux qui lui disent que les risques sont gros. Ceux qui lui disent qu’il risque gros. Ceux qui lui disent que tout le monde risque gros. Ceux qui l’incitent à prendre des mesures fortes et courageuses. Ceux qui lui disent de quitter la bulle. Ceux qui lui disent de bien observer les foules.
Ceux qui lui demandent de descendre sur terre. Ceux qui ne se contentent pas de lui dire qu’il est fort. Ceux qui lui disent que le peuple n’a jamais tort. Que seul le peuple est fort. Il n’a rien entendu.

Risée du monde
Les manifestations ont eu lieu hier. Elles vont se poursuivre aujourd’hui. Forces de l’ordre contre manifestants, grenades lacrymogènes contre pierres et pneus brûlés. Des arrestations musclées de candidats à une présidentielle reportée, de la brutalité, des larmes, des blessures, de la passion et de la rage.

Ce qui s’est passé en mars 2021, ce qui s’est reproduit en juin 2023, risque encore d’être vécu en février 2024 si le pouvoir ne recule pas. Déjà, la presse commence à payer des pots cassés. La chaîne Walf Tv est encore suspendue. Une entrave grave qui se répète.

Nous sommes la risée du monde. Le peu qui nous restait de prestigieux a été emporté samedi en plein jour. Mais il paraît que la honte et le ridicule ne tuent pas chez nous. Bienvenue chez Monsieur Ose Tout qui dicte ses desiderata à ses compagnons.

Dans son œuvre La Pesanteur et la grâce, Simon Weil écrit cette lumière : « L’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar ». A méditer !

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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