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Ni Dominicain, ni Haïtien: dans les limbes administratifs… et la pauvreté

Travail mal payé, sous un soleil de plomb, dans un champ de canne à sucre… Né en République dominicaine, Andrés, 22 ans, rêve d’une carte d’identité et d’une vie meilleure dans ce pays qu’il considère comme le sien.

Son père dominicain ne l’a pas reconnu, et sa mère est haïtienne. « Les hommes dominicains sont volages », rigole-t-il, à El Seibo, à 120 km à l’ouest de Saint-Domingue.

Mais, au-delà de la plaisanterie, sa situation est dramatique. S’il a bien un acte de naissance dominicain, il n’a plus la nationalité dominicaine depuis 10 ans. Une décision de la Cour constitutionnelle de 2013, appliquée rétroactivement aux personnes nées entre 1929 et 2010, a privé de leur nationalité plus de 250.000 Dominicains nés de parents étrangers, pour la plupart Haïtiens. Bon nombre ont été expulsés vers un pays qu’ils ne connaissaient même pas.

Dix ans plus tard, Andrés est toujours là, mais il n’a d’autre choix que de travailler au noir. Avec sept compagnons, il espère récolter en un jour quelque quatre tonnes de canne à sucre payées 16 dollars… à se partager en huit.

Réfugiés dans des bidonvilles
De nombreux autres compagnons d’Andrés se sont réfugiés comme lui dans les « bateyes », des petits villages ou bidonvilles composés de maisons en bois et tôle avec latrines extérieures où vivent habituellement les travailleurs de la canne à sucre.

Là, ils sont généralement à l’abri des raids des services d’immigration qui les guettent quand ils se rendent en ville pour essayer de trouver des meilleurs salaires ou tout simplement pour faire des courses ou se rendre chez le médecin. Des femmes enceintes ont ainsi été expulsées après une visite médicale.

Dans l’un des bateyes d’El Seibo, des enfants s’amusent à la nuit tombée dans les rues en terre battue. Des groupes de travailleurs jouent aux dominos et plaisantent en créole, la langue haïtienne dérivée du français.

La plupart des travailleurs de la canne à sucre sont d’origine haïtienne. Une tradition. Le dictateur dominicain Rafael Leonidas Trujillo (1930-1961) avait sollicité de la main-d’œuvre de son voisin. La vie en Haïti devenant difficile, les travailleurs sont restés.

C’est le début de la confusion.

Pour la plupart analphabètes, ces travailleurs ont été inscrits dans les registres des entreprises de canne à sucre mais sans existence légale: pas de document officiel pour eux, pas de visa, ni de permis de résidence.

La Cour constitutionnelle s’est appuyée sur cette absence d’enregistrement officiel pour les priver de nationalité, estimant qu’ils étaient « en transit ».

Certaines familles haïtiennes ont payé des Dominicains pour qu’ils enregistrent leurs enfants sous un autre nom afin qu’ils puissent avoir la nationalité.

Des associations font pression sur le gouvernement pour obtenir la régularisation de ces apatrides et des recours ont été déposés devant les tribunaux.

Le gouvernement a annoncé en 2014 la création d’un registre spécial mais le processus, semé d’embûches et désormais clôt, n’a abouti qu’à la normalisation de la situation de 26.800 personnes, selon l’ONG Participacion Ciudadana.

« Ils ne sont ni d’ici ni de là-bas », déplore Elena Lorac, 34 ans, militante du mouvement Reconocidos, elle-même concernée par le problème. « Toutes ces politiques de dénationalisation nous rendent extrêmement vulnérables », souligne-t-elle.

La situation est d’autant plus compliquée que la différence de niveau de vie entre les deux pays de l’île d’Hispaniola a nourri une xénophobie qui s’est étendue.

« Invasion »
De nombreux Dominicains évoquent une « invasion », affirmant que trois millions d’Haïtiens vivent dans le pays, alors qu’ils ne sont officiellement qu’un peu plus de 750.000 entre les immigrés et leurs descendants.

« Ils me montrent immédiatement du doigt, +c’est une Haïtienne+, à cause de la couleur de ma peau et parce que j’ai les cheveux crépus », raconte Maria Paul, 53 ans, née en République dominicaine mais qui n’a jamais été enregistrée dans le pays.

Elle a obtenu une carte d’identité d’étrangère qui a expiré et qu’elle n’a pas pu renouveler. « Mes parents étaient des immigrés, mais moi je ne suis pas une immigrée », se plaint-elle.

Critiqué pour le durcissement de sa politique à l’égard d’Haïti avec davantage d’expulsions et la construction d’un mur frontalier, le gouvernement du président Luis Abinader n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

Les organisations internationales offrent leur soutien aux personnes touchées, mais ne souhaitent pas non plus s’exprimer sur le sujet, très sensible en République dominicaine.

Mais Elena Lorac est catégorique: « nous sommes ici, nous n’irons nulle part ailleurs parce que nous ne connaissons même pas » Haïti, le pays le plus pauvre du continent américain.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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