Politique

Macky Sall, ou l’art de dialoguer sans interlocuteur

Désireux de se présenter pour un troisième mandat, au mépris de la Constitution et de ses engagements, le président lance un « dialogue national » ambigu. Dans un contexte explosif de montée des tensions et de recul démocratique.

Macky Sall ferait-il du Emmanuel Macron ? En convoquant un « dialogue national » façon grand débat post-gilets jaunes, le président sénégalais semble vouloir jouer l’atout de l’échange démocratique. Quitte à discourir dans le vide lors de cet événement qui s’ouvre ce mardi et « pour deux semaines au maximum », a cadré le chef d’État.

Mais pour l’ensemble des oppositions sénégalaises, dont la majeure partie refuse toute participation, il ne s’agit que d’une tentative de légitimer la candidature du président sortant à un troisième mandat pourtant interdit par la Constitution.

Le tout dans un contexte explosif et inquiétant : depuis 2021, manifestations, réprimées parfois dans le sang, et arrestations d’opposants et de journalistes se multiplient.

De quoi éveiller les craintes à l’étranger mais, d’abord, au Sénégal : « En réalité, tout a été mis en œuvre, depuis les événements de mars 2021 (les manifestations qui ont suivi l’arrestation d’Ousmane Sonko – NDLR), non pas pour promouvoir la paix et la concorde nationale, mais pour préparer la confrontation avec l’opposition et les forces sociales du pays », estime Seydi Gassama, militant des droits humains et directeur d’Amnesty Sénégal.

Pour les soutiens de Macky Sall, issus de son parti l’Alliance pour la République (APR) ou de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY, « Unis par l’espoir » en wolof), cet événement est une nécessité : « Le dialogue est un état de fait dans la culture démocratique sénégalaise », avance le porte-parole de la BBY, Pape Mahawa Diouf.

« Même s’ils (les opposants – NDLR) disent qu’ils ne participent pas, ils savent très bien qu’il va falloir être autour de la table pour définir des règles pour que l’on puisse aller aux élections », poursuit-il.

S’agit-il donc de fixer un nouveau cadre, alors que la Constitution stipule que tout troisième mandat est interdit, ou bien réellement « d’apaiser les tensions » ? Sur ce point, le pouvoir s’en tient à des déclarations floues : le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, invite chaque parti à venir parler des sujets qu’il souhaite, mais évoque de son côté « l’usage des réseaux sociaux à outrance, la tendance à décrédibiliser les institutions ou l’appel à la violence ».

Une référence claire au leader du Pastef, Ousmane Sonko, devenu principal opposant, dont les dizaines de milliers de partisans redoutent une mise à l’écart judiciaire, le candidat dénonçant lui-même un « complot du pouvoir ».

Une justice instrumentalisée
Le Pastef rejette d’ailleurs radicalement l’initiative personnelle de Macky Sall. « À dix mois de l’élection, nous nous démarquons complètement de cet appel parce qu’il est fondé sur l’hypocrisie », a répondu Abou Sané, un cadre du Pastef à Ziguinchor, ville dont Ousmane Sonko est maire. Pour lui, la solution est simple : « Qu’on accepte la candidature d’Ousmane Sonko et le calendrier électoral. »

Le Pastef n’est pas le seul à avoir rejeté ce dialogue : la plateforme F24, créée en avril, et qui rassemble plus d’une centaine de partis politiques et d’organisations de la société civile, a estimé « ne pas être concernée ».

Elle rappelle ses exigences : non à une nouvelle candidature du président sortant, la libération des « détenus politiques », ainsi que la modification du Code électoral excluant les condamnés en justice.

Pour Aliou Sané, coordinateur adjoint du F24, ces points ne semblent pas à l’ordre du jour du fameux dialogue : « On n’en sait rien, de toute façon nous ne sommes pas concernés. La chose qui préoccupe le plus les Sénégalais, (…) c’est de dire à Macky Sall qu’ils s’opposeront à cette volonté de briguer une troisième candidature. »

Car ils sont nombreux à être frappés d’inéligibilité, et l’instrumentalisation de la justice pour écarter de potentiels rivaux est une réalité. C’est le cas notamment du Parti démocratique sénégalais, qui voit dans le dialogue la possibilité pour son leader Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade exilé au Qatar, de bénéficier d’une amnistie : il avait été condamné en 2015 à six ans de prison et 210 millions d’euros d’amende pour enrichissement illicite.

De son côté, le Parti de l’indépendance et du travail estime qu’ « un dialogue national constructif et inclusif » est nécessaire compte tenu de « la gravité de la situation politique et sociale nationale ». Mais plusieurs voix, en interne, critiquent cette position.

À l’instar d’Aminata Touré, ancienne première ministre de Macky Sall, et écartée sans ménagement de l’Assemblée pour avoir dénié au président sortant le droit de se représenter. À dix mois de l’élection, le climat est délétère au Sénégal.

Benjamin König

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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