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Le Sénégal face à ses défis démocratiques – Par Abdoulaye NDIAYE

Longtemps perçu comme un modèle démocratique en Afrique en raison de ses transitions pacifiques du pouvoir depuis son indépendance en 1960, le Sénégal doit aujourd’hui faire face à un examen plus approfondi de sa trajectoire politique au XXIe siècle.

Les manifestations violentes survenues en mars 2021 invitent à s’interroger sur l’attachement réel du gouvernement à la liberté d’expression et aux valeurs démocratiques. Deux ans après ces événements marquants, force est de constater que les responsabilités et les conséquences des décès et des destructions n’ont pas encore été élucidées.

Il apparaît dès lors évident que le Sénégal, à l’instar de tout autre pays, se doit de travailler constamment au renforcement et à l’amélioration de ses institutions démocratiques, plutôt que de se reposer sur les lauriers de sa réputation passée.

L’histoire démocratique du Sénégal recèle des moments remarquables, à l’image de la décision de son premier président, Léopold Sédar Senghor, de se retirer avant la fin de son mandat, ou encore de l’alternance politique qui a vu l’élection d’Abdoulaye Wade en 2000, insufflant un nouvel élan à la jeunesse du pays.

Même défait, le président sortant Abdou Diouf n’a pas hésité à féliciter son opposant, témoignant ainsi de son attachement aux valeurs démocratiques. Fort de nombreux partis politiques et de lois exigeantes en matière de parité homme-femme dans la représentation politique, le Sénégal est souvent salué par la communauté internationale comme un exemple rare de démocratie authentique sur le continent africain.

Toutefois, la tentative de l’ancien président Abdoulaye Wade de briguer un troisième mandat en 2012 et sa manipulation de la Constitution constituent un tournant critique qui a terni l’histoire démocratique du Sénégal. Wade, ayant déjà exercé deux mandats, a tenté de prolonger son règne en exploitant une faille dans les modifications constitutionnelles qu’il avait orchestrées, contournant ainsi de facto la limitation des mandats présidentiels. Ce stratagème a suscité de vives protestations et l’opposition de la société civile ; finalement, Wade a été battu lors de l’élection qui a suivi par Macky Sall.

Néanmoins, la répression exercée par le président Sall à l’encontre de ses opposants politiques, notamment l’emprisonnement de Karim Wade et Khalifa Sall, ainsi que leur inéligibilité à des fonctions publiques suite à leur condamnation, ont davantage fragilisé la stabilité politique du pays.

Les manifestations de mars 2021 ont été déclenchées par l’arrestation du leader de l’opposition, Ousmane Sonko, sur la base de ce que beaucoup considèrent comme des accusations politiquement motivées. Le procès de Sonko, accusé de viol, traîne en longueur, conduisant l’opposition à soupçonner le président Sall d’utiliser cette affaire comme une tactique pour rendre Sonko inéligible à l’élection présidentielle de 2024.

De surcroît, le spectre d’une éventuelle candidature du président Sall à un troisième mandat plane, et l’exploitation de failles constitutionnelles pour prolonger son pouvoir à l’instar de son prédécesseur porterait un coup sévère aux institutions démocratiques du Sénégal. Face à l’incertitude quant à la capacité de la société civile à résister à un tel coup de force, l’inquiétude est légitime.

Le bilan du président Sall en matière de liberté de la presse est également préoccupant, comme en témoigne la détention du journaliste et critique du gouvernement Pape Alé Niang en novembre 2022. Par ailleurs, le président a de plus en plus militarisé la police, augmentant ainsi le risque de répression violente à l’encontre des rassemblements de l’opposition ou des manifestations.

Récemment encore, le 16 février, le leader de l’opposition Ousmane Sonko a été violemment appréhendé à la sortie du tribunal et escorté dans un véhicule blindé afin d’éviter les rassemblements pro-Sonko. À l’approche de l’élection présidentielle, nombre de Sénégalais sont, à juste titre, préoccupés par la question de savoir si le président Sall respectera les normes démocratiques pacifiques du pays ou cherchera à s’accrocher au pouvoir coûte que coûte.

Il est évident que le Sénégal n’est pas un modèle de démocratie au XXIe siècle. Toutefois, cette nécessaire révision de la perception internationale du pays ne doit pas être considérée comme une défaite. La démocratie est un processus en constante évolution, et le gouvernement doit s’engager à défendre les droits de ses citoyens.

Pour progresser, l’administration du président Sall doit prendre trois mesures importantes. Premièrement, il doit donner la priorité aux enquêtes sur les violations des droits de l’homme et les destructions de biens lors des manifestations de mars 2021. Les responsables doivent être tenus pour comptables.

Deuxièmement, le pouvoir judiciaire doit s’affirmer en tant qu’un des pouvoirs indépendants de la république et accélérer le traitement de l’affaire de diffamation contre Sonko, afin que justice soit rendue et que son éligibilité aux élections présidentielles puisse être déterminée.

Enfin, le président Sall doit s’engager publiquement à ne pas se présenter pour un troisième mandat illégal.

Le peuple sénégalais, notamment la jeunesse, est prêt à défendre son pays dans la rue et dans l’isoloir, comme il l’a montré en 2012. Ce n’est qu’en défendant les valeurs démocratiques que le Sénégal pourra continuer à servir de phare d’espoir pour l’Afrique et le monde.

Abdoulaye Ndiaye est professeur d’économie à la Stern School of Business de l’Université de New York.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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