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Le crépuscule des présidents crapules – Par Mamadou Oumar NDIAYE

Quel dommage que le Gabon ne se situe pas en Afrique de l’Ouest et, de ce fait, n’appartienne pas à la CEDEAO.

Dommage car on aurait vu le président de la République, Macky Sall, s’agiter pour envoyer des soldats de l’Armée nationale y rétablir l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire remettre le président Aly Bongo Ondimba au pouvoir ! Vraiment dommage.

Ce qu’ils peuvent donc se foutre de la gueule des gens, ces damnés putschistes. Alors même que les Macky Sall, Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé et autres chefs d’Etat obligés de la France, poussés par cette dernière et sous la conduite, plus étonnant, de Bola Tinubu, leur homologue du Nigeria, crient au monde entier « retenez-nous ou nous allons faire la guerre aux putschistes nigériens », multiplient les gesticulations, font entendre les bruits de bottes et les cliquetis des armes sans véritablement oser attaquer le général Tiani et ses troupes, voilà donc que d’autres militaires prennent le pouvoir.

Au Gabon cette fois-ci. Au petit-matin de mercredi, ils ont renversé le président Aly Bongo Ondimba à peine une heure après l’annonce de la réélection « triomphale » de l’héritier d’Oumar Bongo Ondimba à l’élection présidentielle de dimanche dernier. Avec 64 % des suffrages valablement exprimés — du moins d’après l’inénarrable commission électorale nationale autonome de son pays —, le fils Bongo aurait obtenu l’onction de son bon peuple pour effectuer un troisième mandat après avoir déjà passé 14 ans au pouvoir suite à son père qui a dirigé l’émirat pétrolier d’Afrique centrale d’une main de fer pendant 42 longues années, excusez du peu !

Des résultats proclamés au beau milieu de la nuit, pendant que les honnêtes Gabonais dormaient, après proclamation de l’état d’urgence, coupure de l’Internet, suspension du signal de France 24 et RFI, sans compter l’interdiction faite aux journalistes étrangers et aux observateurs électoraux de venir couvrir ou as- sister au déroulement du scrutin !

Le but de la manœuvre c’était bien sûr, et comme on l’a vu, de proclamer la victoire « triomphale » d’Aly Bongo Ondimba. Et les chars de l’armée avaient été sortis pour le cas où, c’est-à-dire mater quiconque contesterait ce brillant résultat ! Seulement voilà, tout ne s’est pas déroulé comme prévu et les militaires, notamment ceux du corps d’élite de la garde présidentielle, plutôt que de tirer sur le bon peuple, ont préféré déposer le président frauduleusement réélu et installer un des leurs à sa place !

Naturellement, ce sont des scènes de liesse populaire qui ont accompagné cet énième coup d’Etat militaire survenu en Afrique francophone ces deux dernières années. Comme au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et maintenant au Gabon, les peuples de ces pays sont descendus en masse dans les rues pour acclamer les tombeurs de leurs présidents « bien aimés ».

Et comme à chaque fois, l’Union Africaine, la CEDEAO (pour ce qui est des coups survenus en Afrique de l’Ouest) mais aussi la France et l’Union européenne ont condamné fermement tandis que les Etats-Unis se montraient plus réservés dans leurs désapprobations.Mais encore une fois, ce qui est le plus remarquable c’est l’adhésion des populations à ces pronunciamientos.

On aurait pu penser que ces coups mortels portés à la démocratie rencontreraient leur résistance mais c’est le contraire qui se produit, les militaires renversant les chefs d’Etat « démocratiquement élus » étant perçus comme des justiciers venus libérer leurs peuples de l’emprise de chefs d’Etat kleptomanes, corrompus et prédateurs.

Des chefs d’Etat ayant fini de brader les ressources de leurs pays aux multinationales occidentales mais aussi aux « investisseurs » chinois, turcs, israéliens, marocains, émiratis et autres. Au Niger du « légitime » Mohamed Bazoum, le très stratégique ministère des Mines et du Pétrole — qui signait les plus gros contrats du pays, ceux donnant lieu à la plus grande corruption et concernant le pétrole et l’uranium notamment — avait à sa tête le fils du prédécesseur du président renversé le 26 juillet dernier, Mahamadou Issoufou. Lequel n’a donc pas voulu lâcher le magot en cédant le pouvoir.

Les élections, ça se gagne avant le jour du scrutin !
Dans tous ces pays, les présidents « démocratiquement élus » et leurs familles sont richissimes et les populations, misérables. Des pays qui n’ont de « démocraties » que le nom et où les élections sont truquées non pas à travers le bon vieux système du bourrage des urnes mais plutôt par le biais de mécanismes beaucoup plus sophistiqués permettant de les gagner en amont bien avant qu’elles se tiennent !

Ainsi, des années ou des mois avant la tenue des scrutins, les opposants les plus susceptibles de remporter les élections sont jetés en prison sous les accusations les plus grotesques et fallacieuses — vol de bébés pour Hama Amadou au Niger, escroquerie et spoliation immobilière pour Moïse Katumbi en République démocratique du Congo, atteinte à la sûreté de l’Etat pour Rached Ghanouchi en Tunisie, braquage de banque pour Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire etc.

On m’a même raconté, mais j’ai du mal à le croire, que dans l’une de ces démocraties, un leader de l’opposition a été embastillé pour vol de portable après avoir été accusé de « viol »… Bien entendu, aucun de ces exemples ne concerne notre glorieux pays et notre grande démocratie !

Dans certaines de ces « démocraties », ce sont les chefs d’Etat qui sélectionnent les candidats qui devront les affronter par le biais de Conseils constitutionnels à leur botte — au Gabon, la présidente du Conseil constitutionnel n’était autre jusqu’au coup d’Etat de cette semaine que l’ancienne maîtresse du père d’Aly Bongo Ondimba ! —, les commissions électorales « autonomes » ou « indépendantes » à leur solde faisant le reste et proclamant des résultats préfabriqués.

Ne parlons pas des rôles joués par les administrations territoriales, sous la férule de ministres de l’Intérieur ultra-partisans, pour terroriser les populations, surtout rurales, et les convaincre de faire les bons choix. Encore une fois, dans ces « démocraties » des présidents kleptomanes et prédateurs font main basse sur les ressources de leurs pays tout en enrichissant au passage une caste de courtisans, laudateurs et zélateurs. Les populations, elles, sont réduites à végéter dans la pauvreté.

Et vous voulez qu’elles se retrouvent dans ces « démocraties »- là ainsi que dans les institutions croupion mises en place par ces présidents prédateurs pour donner plus de respectabilité à leurs pouvoirs mais aussi caser des obligés ? Des présidents qui n’hésitent pas à tripatouiller les Constitutions de leurs pays pour se maintenir éternellement au pouvoir.

Et qui, tous, usent de juges aplatis et aux ordres — on n’ose pas parler de corrompus ! — pour emprisonner leurs opposants et même de simples jeunes gens idéalistes sous les accusations les plus ubuesques parfois juste pour avoir « liké » une publication !

Des dirigeants qui sortent des chars contre leurs propres populations et qui, parfois, font fermer par leurs forces de l’ordre des permanences de partis politiques légalement constitués. Le plus étonnant, pour ne pas dire paradoxal, c’est que ces pratiques liberticides n’ont souvent pas cours dans les pays de la sous-région ouest-africaine où les militaires ont pris le pouvoir. Cherchez l’erreur…

Toutes ces entorses, toutes ces pratiques liberticides, toutes ces fraudes électorales, toutes ces gloutonneries de présidents voleurs et de leurs castes insatiables ont fini par dégoûter les populations de la démocratie de la même manière que leurs devancières s’écriaient, dans les années 70 et 80, devant les piètres performances de leurs dirigeants, « mais quand donc prendront fin nos indépendances » ?

Aujourd’hui, il est de bon ton pour les Ouest- Africains, et singulièrement pour les pauvres jeunesses, de souhaiter à haute voix la survenue de coups d’Etat militaires dans leurs pays.

N’ayons pas peur de le dire : beaucoup de ces militaires qui prennent le pouvoir en renversant des présidents prétendument « démocratiquement élus » seront plus utiles à leurs pays que les voleurs qui les dirigeaient jusque récemment.

Ce même si ne nous illusionnons pas : certains d’entre eux vont également s’enrichir à leur tour. Mais au moins ne se couvriront-ils pas des nobles oripeaux de la démocratie pour dépouiller leurs peuples ! Encore une fois, ces adhésions populaires aux coups d’Etat qui surviennent ces temps-ci sont la preuve, s’il en était besoin, que la démocratie telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici de ce côté-ci du continent a bel et bien été un échec.

Et le Sénégal ne constitue pas une exception, hélas. Bien au contraire !

Mamadou Oumar NDIAYE

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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