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La politique du ventre – Par Sidy DIOP

Trois cent trois trente-neuf (339) ! C’est le nombre de partis politiques officiellement reconnus au Sénégal. Un nombre important de demandes de reconnaissance attendent encore dans les bureaux du ministère de l’Intérieur. Pire, on a connu deux mille cent listes aux locales en 2014.

Et, pour la présidentielle qui s’annonce, on est parti pour battre tous les records avec près d’une soixantaine de candidatures déjà déclarées. Les chiffres étaient, souvent, déclamés avec une pointe de fierté. Comme si la vitalité d’une démocratie se mesurait au nombre de ses partis politiques. Il a fallu que l’évidence s’imposât aux décideurs lors des locales de 2014 pour que des voix dissonantes se rendent audibles pour fustiger le coût de cette « démocratie des chefs de partis ».

Pourquoi autant de partis politiques dans un petit pays comme le Sénégal ? Que veulent les politiques en cherchant vaille que vaille à avoir pignon sur rue ? La politique est-elle en définitive une activité rentable ?

En ouvrant les vannes de la démocratie au Sénégal, notamment en permettant à Léopold Sédar Senghor démissionnaire de son parti (section sénégalaise de la SFIO), de créer le BDS en 1948, le président Lamine Guèye n’avait sans doute pas en tête le scénario qui se déroule actuellement sous nos yeux.

Tout comme Senghor avec ses quatre courants nés de la révision constitutionnelle du 28 décembre 1978. Et son successeur Abdou Diouf, en faisant adopter la loi n°81-16 du 6 mai 1981, était plutôt soucieux de se poser en garant des libertés individuelles, notamment la liberté d’association. Mais c’était sans compter avec les rivalités internes et les ambitions personnelles qui ont fini d’en faire une loi avachie, parce que peu regardante sur les conditions de création et de vie des partis politiques.

Aujourd’hui, des partis se créent en dribblant la loi, sur des bases religieuse, régionaliste, voire ethnique sans que personne n’y trouve à redire. Peu d’hommes politiques ont une connaissance réelle du rôle d’un parti dans une démocratie.

Parce qu’en réalité, c’est quoi un parti politique ? Joseph La Palombara et Myron Weiner (Political Parties and Political Development, Princeton University Press, 1966), assimilent un parti politique à :

1. Une organisation durable, dont l’espérance de vie politique est supérieure à celle de ses dirigeants actuels ;

2. une organisation bien implantée localement et dont les échelons locaux entretiennent des rapports réguliers avec l’échelon national ;

3. une organisation dont les dirigeants ont la volonté délibérée de prendre et d’exercer le pouvoir, seuls ou avec d’autres (et non pas seulement d’influencer les dirigeants politiques) ;

4. une organisation cherchant à acquérir un soutien populaire, par des élections ou de toute autre manière ;

5. une organisation qui joue son rôle d’ « école de formation » pour les « futurs » dirigeants politiques du pays, portés éventuellement au pouvoir par le suffrage universel.

Il est évident que nombre de « partis » politiques au Sénégal sont loin de remplir ces conditions. Faible représentativité, partis personnels, absence de démocratie interne et simple souci de conférer au leader un moyen de pression politique sont le lot quotidien de la plupart des 339 partis politiques répertoriés au Sénégal.

La plupart des chefs de partis n’ont pas de compétence connue dans un domaine précis de la vie active. Ce sont des professionnels de la politique qui tirent l’essentiel de leurs revenus dans l’exercice de cette activité. Une professionnalisation certes conditionnée par le développement d’emplois rémunérateurs comme les postes politiques : ministres, députés, maires, DG des sociétés d’Etat, etc. Et c’est pourquoi au Sénégal, la politique est dans l’imagerie populaire le moyen le plus rapide de « se faire une situation ».

De fait, il ressort de nombre de travaux sur le phénomène partisan que la fonction d’un parti, comme organe de médiation entre l’Etat et la société est d’intégrer les demandes des populations au système politique afin de pacifier le rapport entre celles-ci et l’Etat. Lorsque ces demandes sont satisfaites, les populations ont le sentiment de participer à la vie institutionnelle par l’intermédiaire d’élus représentatifs.

Chez nous cependant, la plupart des partis politiques ne portent pas le souffle du peuple. Ils incarnent l’ambition d’une ou d’un groupe de personnes. Ce qui donne raison à Max Weber qui disait que « toutes les luttes partisanes ne sont pas uniquement des luttes pour des buts objectifs, mais elles sont aussi et surtout des rivalités pour contrôler la distribution des emplois ».

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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