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Election présidentielle au Sénégal: De l’ébullition démocratique au tsunami

Dans mon dernier article du 20 Janvier après la publication de la liste des 80 candidatures par le conseil constitutionnel, j’avais conclu que la vitrine juridique et la vie démocratique étaient lézardées et qu’il fallait s’attendre pendant la campagne électorale au jeu politique des alliances et des trahisons.

Loin de moi de penser à ce qui se passe aujourd’hui ou le Président Macky SALL a rompu ce pacte en prorogeant son mandat de dix mois : du jamais vu depuis l’indépendance. L’exemplarité démocratique sénégalaise tant vantée dans une région sahélienne fracassée vient d’éclater ramenant le Sénégal au niveau de ses voisins. C’est une trahison de l’héritage reçu de ses prédécesseurs, un véritable tsunami antidémocratique.

1-Les raisons avancées
Deux juges du conseil constitutionnel « seraient » corrompus et une candidate serait de nationalité française ce qu’interdit la loi sénégalaise. Ces deux motifs ont suffi au président pour prolonger son mandat afin d’éviter, selon lui, les contestations électorales entrainant des révoltes. C’est évidemment tout le contraire qui va se passer et on peut s’étonner que le président Macky SALL au cœur de la vie politique sénégalaise depuis plus de trente ans dont douze ans comme chef de l’état puisse avancer de tels arguments : c’est un procès de non intelligence qui est fait au peuple sénégalais.

2- Les raisons réelles
Le candidat désigné par le président, son premier ministre A.BA, est loin de faire l’unanimité au sein de son propre parti, l’APR, comme de la coalition des partis (BBY) qui soutiennent le président. Des sondages (fait par qui et comment ?) auraient montré tant au premier qu’au second tour, qu’A.BA ne pouvait être élu ce qui bien évidemment est impensable pour le camp présidentiel. Il est reproché au candidat son adhésion tardive au parti présidentiel, l’APR, et un engagement politique peu dynamique.

Certains caciques du régime (un ancien 1er ministre, des ministres du gouvernement) sont entrés immédiatement en dissidence dès l’annonce du choix présidentiel certains en démissionnant, affaiblissant d’autant leur camp. Ce qu’avait voulu éviter Macky SALL en retardant pendant deux ans son engagement de ne pas effectuer un 3é mandat conformément à la constitution n’a fait qu’attiser le feu : une quarantaine de morts, des destructions, des pillages, des manifestations d’une violence jamais vue, l’emprisonnement de plus de 500 personnes et des affaires en tout genre montées contre l’opposition. On pensait après la publication par le conseil constitutionnel de la vingtaine de candidatures retenues que la campagne allait pouvoir commencer.

C’était mal connaitre les manipulations des marionnettistes politiciens prêts à toutes les combinaisons et compromissions. C’est le PDS d’Abdoulaye WADE qui a allumé le feu s’en prenant au conseil constitutionnel pour ne pas avoir retenu la candidature de son fils Karim WADE au motif qu’il était encore français lorsqu’il a déposé son dossier et accusant deux membres du conseil constitutionnel de corruption sans apporter de preuves. Les députés de la coalition présidentielle ont demandé la création d’une commission pour revoir les conditions de fonctionnement du conseil constitutionnel, notamment les critères de sélection. Fallait-il pour cela repousser l’élection alors que l’on se souvient qu’en 1993 le vice-président du conseil constitutionnel avait été assassiné lors des élections législatives sans que cela bouleverse la vie politique une fois l’émotion passée.

3- La tambouille politicienne
Le retour du PDS dont Karim WADE est devenu le président viendrait faire alliance avec le parti présidentiel renforçant les chances du candidat premier ministre. Or Amadou BA avait dit au président qu’il était défavorable à ce report de l’élection présidentielle à la veille du lancement de la campagne. Toutes sortes de manipulations et de jeux politiciens ont conduit Macky SALL, la veille du lancement de la campagne présidentielle, à reporter l’élection à la mi-décembre à cause de l’hivernage qui rend certaines routes impraticables et du Magal de Touba qui réunit des millions de fidèles.

Un décret en procédure d’urgence a été soumis à l’assemblée nationale fixant l’élection présidentielle au 15 décembre. Des bagarres au sein de l’assemblée nationale entre les députés a nécessité l’intervention des gendarmes qui ont expulsé les députés contestataires de l’opposition, certains arrêtés dont une ancienne première ministre. Bien évidemment le décret a été adopté à l’unanimité moins une voix ; le président s’est engagé à ouvrir un énième dialogue national dont les contours n’ont pas été fixés. Les députés de l’opposition ont déclaré saisir le conseil constitutionnel arguant du fait que la constitution fixant la durée du mandat présidentiel ne pouvait être modifiée (Art.103) alors que ceux qui soutiennent le gouvernement estiment que c’est une dérogation temporaire (art.31) !

4 -l’impact de ce report sur l’image du Sénégal
Une fois la surprise passée, c’est un flot de condamnations nationales et internationales qui s’est abattu sur le report de l’élection présidentielle.

Au plan national tous les partis politiques (plus de deux cents) sont vent debout contre ce report. Beaucoup de personnalités de la société civile de milieux très divers sont montées au créneau comme le célèbre chanteur Youssou NDOUR, ancien ministre de la culture. Pour une fois Macky SALL fait l’unanimité hors ses partisans attachés à leurs rentes. La situation de son candidat premier ministre, déjà fragile, ne va pas s’améliorer.

Amadou BA devrait normalement démissionner ayant été démenti par le président ; sa position va être intenable.

Au plan international Macky SALL fait aussi l’unanimité, certes dans des termes plus choisis, diplomatiques. A la CEDEAO, il était le pourfendeur des colonels putschistes et avec son collègue OUATTARA il a été de ceux qui ont infligé des sanctions très dures contre le MALI, le BURKINA FASO et le NIGER. Quelle est sa crédibilité pour avoir transgressé la constitution ?

Les Etas Unis d’Amérique ont été les premiers à élever la voix, la France a suivi puis les organisations internationales comme l’Union Africaine dont Macky SALL était encore le président l’an dernier, l’Union Européenne, la Banque Mondiale etc… Tous ont fait part de « leur préoccupation, de leur inquiétude » demandant la reprise du processus électoral « libre, inclusif, crédible et transparent ».

L’image du Sénégal qui était encore exemplaire au plan des institutions s’est d’un seul coup terni. Sans parler de coup d’état ou de forfaiture, il faut bien reconnaitre que ce report en catastrophe de l’élection présidentielle montre l’impréparation politique. Ce report a par ailleurs un cout important à un moment ou les ressources financières sont limitées.

Macky SALL qui a renouvelé son engagement de quitter le pouvoir à l’issue de l’élection présidentielle, a d’un seul coup perdu sa crédibilité et donné du Sénégal une image qui ne lui ressemble pas. Espérons que la période de troubles qui s’annonce n’entrainera pas son lot de morts et de destructions. La coupure d’internet est quand même un mauvais signe.

Espérons aussi que Macky SALL ne fera pas comme son ancien collègue, le président KABILA de RDC « un glissement électoral » qui lui a permis de rester au pouvoir deux ans au-delà de la date prévue.

A tous égards le président fait le jeu de son « ennemi » O. SONKO.

A.BA, petit géopoliticien au Point E à Dakar. 

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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