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L’addiction médicamenteuse, un enjeu majeur de santé publique

Phénomène de plus en plus fréquent dans notre société, l’addiction médicamenteuse se définit comme l’asservissement d’un sujet à un médicament dont il a contracté l’habitude par un usage plus ou moins répété.

Il concerne souvent la famille des opioïdes forts, la morphine, la péthidine, le fentanyl, l’hydromorphone, l’oxycodone, le buprénorphine ou le nalbuphine et surtout les benzodiazépines.

«Notez bien que Tramadol sandoz 50 mg, comprimé peut provoquer une accoutumance, besoin d’augmenter les doses afin d’obtenir le même effet et une dépendance physique et/ou psychique même aux doses thérapeutiques».

Ce rappel, en guise d’avertissements et de précautions sur ce médicament appartenant à la grande famille des opioïdes, est à lire dans la notice de Tramadol comprimé 50 mg. En d’autres termes, ce médicament peut, à usage répété, entraîner chez le patient une accoutumance ou atténuation de l’activité d’un médicament mais aussi une dépendance.

L’addiction médicamenteuse représente un enjeu majeur de santé publique rapidement évolutif. Et cette évolution est d’autant plus marquée au Sénégal que notre pays reste parmi les plus forts consommateurs de médicaments en Afrique, et notamment de médicaments psychotropes.

Selon le Pr Abou Sy, médecin-psychiatre, une addiction est un trouble du comportement qui pousse la personne à avoir soit une consommation répétée d’un produit ou à avoir un comportement répété.

Quant à l’addiction médicamenteuse, le psychothérapeute et addictologue au centre hospitalier de Fann explique que c’est un usage de médicaments hors prescription médicale. Il s’agit de personnes qui ont été malades et à qui on prescrira des médicaments, ou qui n’ont pas été malades et qui ont expérimenté un certain nombre de médicaments qu’ils ne peuvent plus s’empêcher de prendre. Il peut s’agir de médicaments contre la douleur dont la tête de file est le tramadol ; il peut aussi s’agir de médicament pour dormir dont la tête de file est représentée par les benzodiazépines.

«Une personne est dite addicte lorsqu’elle prend un médicament qui ne lui est pas prescrit ou à des doses qui ne lui sont pas prescrites, répète ses consommations. Et lorsque la personne ne prend pas ces médicaments, il a des effets adverses ; et quand la personne prend la même quantité de médicaments, il n’a plus les effets désirés».

Par ailleurs, le fait de consommer le produit en dehors des circonstances où il a été prescrit par un médecin ou par un personnel de santé est signe de dépendance. De même que la consommation dans une durée plus longue que celle prescrite ou à une dose supérieure à celle qui a été prescrite.

S’agissant toujours des symptômes d’une dépendance médicamenteuse, le psychiatre avertit : «Si vous sentez que vous prenez la même dose et que vous n’avez plus les effets escomptés, allez-vous faire consulter». Il estime que le fait qu’une personne soit obligée d’augmenter la dose pour avoir les effets escomptés est aussi une dépendance.

HARO SUR LES BENZODIAZÉPINES OÙ LE SEVRAGE PEUT ÊTRE MORTEL
Revenant sur les causes, il précise qu’elles sont de différentes sortes. Elles peuvent être somatiques, c’est-à-dire la répercussion d’une consommation abusive et à long terme d’un produit qui va forcément avoir des répercussions néfastes sur la santé de la personne.

«La plupart des médicaments étant métabolisés par le foie et éliminés par le rein, donc les premiers stigmates, ce sont des répercussions au niveau des organes de la personne, avec des complications très graves chez le sujet addict, pouvant affecter son comportement.

C’est le cas par exemple de médicaments pour dormir, appartenant souvent à la famille des benzodiazépines, et qui ont des effets sur le comportement en entraînant soit une hypersomnie, c’est-à-dire des états de sédation parce que la plupart de ces médicaments ont des effets collatéraux à titre de sédation, ou bien des troubles du comportement à titre d’agressivité parce que cette personne est en état de sevrage et n’arrive plus à se comporter, et donc devient agressive.

C’est ce qui explique quelquefois des comportements agressifs, ou de vols répétés parce que la personne veut se procurer son produit.

L’autre complication, c’est au niveau familial, professionnel et communautaire. Il y a aussi le cas des opioïdes comme le tramadol, souvent utilisé pour calmer la douleur. Donc il y a beaucoup de complications au niveau individuel, social, sanitaire, comportemental, familial et au niveau socioprofessionnel», renseigne Dr Abou Sy.

Du point de vue du risque, rappelle le pratricien, tous les deux médicaments sont impliqués à quelques différences près. Pour ce qui est des opioïdes, l’un des principaux risques demeure le phénomène de somnolence, de sevrage. Pour ce qui est des benzodiazépines, le sevrage peut être mortel. Quant au tramadol, la blouse blanche précise que son intoxication peut être mortelle parce que pouvant entraîner une dépression respiratoire.

Par conséquent, ces médicaments doivent être pris avec beaucoup de précautions, en respectant la prescription et la durée du traitement telles que données par le médecin. «Mais en termes de dangerosité et de gravité, tous les deux médicaments ainsi que tous les médicaments à haut potentiel d’addiction sont très dangereux au vu des complications suscitées», avertit Dr Sy

CERTAINES ORDONNANCES SONT FALSIFIÉES ET LES PRODUITS REVERSÉS DANS LE MARCHÉ NOIR
Même s’il reconnaît et salue la prudence des pharmaciens dans leur rôle de délivrance du médicament, le Pr Abou Sy attire quand même leur attention sur un phénomène tout à fait dangereux. «Je sais qu’ils sont très vigilants à certaines ordonnances.

Cependant, il y a certaines qui sont falsifiées, parce que prescrites par des personnes qui ont tendance à détourner certains médicaments par rapport à leur usage et à les mettre sur le marché noir pour les revendre à des prix de trafic», alerte-t-il.

A l’en croire, l’ordre des médecins, ayant été informé à plusieurs reprises sur des cas de fausses ordonnances avec des cachets falsifiés, a intenté une action en justice pour exercice illégal de la médecine et usage de faux. Toutefois, il invite les hommes derrière le comptoir à saisir l’autorité judiciaire le plus proche, en cas de constatation d’une fausse ordonnance.

LE SÉNÉGAL, PIONNIER EN AFRIQUE DANS LE TRAITEMENT DE L’ADDICTOLOGIE
En outre, le Pr Sy salue l’engagement du Sénégal dans la lutte et le traitement de l’addictologie. A l’en croire, le Sénégal a ouvert un diplôme universitaire (DU) d’addictologie, faisant de lui le pionnier dans ce domaine. la première promotion était constituée de 15 spécialistes formés dans ce domaine. La deuxième promotion qui va bientôt sortir est constituée de 26 personnes parmi lesquelles des médecins, des infirmiers, des assistants sociaux, avec comme objectif la mise en place d’un réseau de prise en charge addictologique puissant.

«J’en profite pour faire un appel aux pharmaciens de s’investir dans la formation», plaide-t-il. Cela permettra d’obtenir des ressources humaines de qualité pour renforcer le service de psychiatrie de l’hôpital de Fann, «le Cepiad qui est une référence au niveau de l’Afrique de l’Ouest», l’hôpital psychiatrique de Thiaroye, de Thiès et bientôt de Louga et Kaolack. L’objectif étant de rendre accessible la prise en charge addictologique au niveau du Sénégal.

LE SEVRAGE, L’AUTRE DIFFICULTÉ DES MÉDECINS…
A en croire le Pr Abou Sy, certains viennent avec l’idée qu’on leur injecte un produit dans le sang pour faire un lavage. La réalité scientifique, explique le médecin, c’est que ces gens sont habitués à prendre un produit par un processus de déshabituation sur la base d’une prise en charge multiaxiale.

Autrement dit, sur la base d’une prise en charge médicamenteuse et d’une prise en charge sociale, on arrive, par des techniques bien spécifiques de thérapie, au niveau comportemental avec des approches systémiques pour aider la personne avec toute la famille.

Car pour certains, la banalisation de leur usage a probablement participé à un risque d’abus majeur en termes de santé publique. Cependant, il précise que le meilleur traitement de l’addictologie demeure la prévention.

Aïssatou DIOP

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