Au fur et à mesure que la date fatidique du 25 février 2024 approche, le landerneau politique sénégalais s’agite à tel point qu’on peut l’assimiler à une crise d’angoisse politique. Que non ! Toutes choses étant égales par ailleurs, nous pouvons considérer que la classe politique dans sa globalité, opposition et pouvoir confondus, a été prise de cours et tous ses plans bousculés, parfois anéantis par les divers évènements vécus entre mars et juillet 2023.
Les conséquences de la bipolarisation de l’espace politique
Tout au long de ces cinq dernières années, la bipolarisation de la vie politique voulue et entretenue autour de Macky et Sonko a été la constante dominante sur la sellette, en vue de l’élection présidentielle prévue en 2024. Le scénario apparaissait simple et ne donnait plus beaucoup d’espace aux nombreux protagonistes pour se positionner hormis quelques rares figures.
Cette dualité s’est rapidement mue pour l’opposition courant 2023, en d’autres données plus complexes qui semblaient être la solution pour d’une manière ou d’une autre écarter définitivement de la course le président Macky Sall dont les velléités jugées anticonstitutionnelles étaient de briguer un 3ème mandat. Cette éventualité a accéléré les choses.
L’effet boumerang d’un aveuglant jusqu’au-boutisme politique
L’opposition, à sa tête le Pastef, a ainsi mis la pression pour en finir par la stratégie du ‘’mortel combat’’. D’une part en chevauchant l’armure des affaires judiciaires politisées du leader du Parti Pastef soutenu par la coalition Yewwi et toute la société civile. Les tournures prises et les conséquences engendrées ont fini par la mise aux freins du Candidat Sonko et l’implosion des coalitions formées au tour du Pastef.
D’autre part la campagne non moins internationalisée du ‘’non au troisième mandat de Macky’’ qui était la belle trouvaille apparemment très prometteuse pour ‘’battre campagne sans programme’’ et encore élire un président sur les slogans déjà huilés de ‘’Tout sauf cette fois ci Macky ‘’ ou ‘’Jama guen 3ème mandat’’, a été stoppée nette par l’adresse faite à la nation le 3 juillet par le Président Sall annonçant sa non candidature.
Ce message tant attendu, a été accueilli avec un grand soulagement par les populations. Mais, il n’a pas fait que des heureux. Il a eu l’effet d’une Bombe à Neutron aussi bien dans les rangs de la coalition au pouvoir que dans ceux l’opposition radicale ou modéré et de la société civile. Subitement les différentes structures comme dénudées de leurs âmes sont devenues des sortes de coquilles vides.
La coalition Benno Bokk Yakar dans sa campagne ouverte de soutien pour pousser Macky à se représenter avait déjà pris des positions qui rendaient tout autre choix inadapté et tout autre candidat que Macky inapte à assumer la continuité pour gérer ce pays. C’est certainement pourquoi les choses étaient devenues très difficiles voire impossible de s’entendre au tour d’un candidat unique. A priori, déjà jugés inaptes la plupart des ténors de BBY ne pouvaient plus que se conformer à la décision du président Sall.
Du côté de l’opposition, n’étant pas réellement préparée à faire campagne sans Macky, l’argument fédérateur et apparemment suffisant pour mobiliser les foules même sans véritable programme de gouvernance, ‘’le non au troisième mandat’’, était en quelques secondes devenu obsolète.
Le renoncement de Macky a été comme une douche froide qui a fini par congeler toutes les synergies et énergies, laissant aphones les partis et coalitions qui comptaient, par la simple opposition à la personne du Président Macky ou par le Chaos d’une pré-campagne déjà houleuse avec le feuilleton judiciaire des affaires Sonko, faire tomber la république en leur faveur ou celle des militaires comme cela s’est passé dans des pays de la sous-région soumis à d’autres réalités.
Aujourd’hui, la coalition au pouvoir mal préparée est restée très perturbée voir inhibée par le renoncement inattendu du président Sall. L’opposition quant à elle a du mal à se concerter et à se retrouver pour rééditer le coup des élections municipales et législatives de 2022 qui avait ébranlé le pouvoir et ses alliés, décapitée qu’elle est par la péripétie des affaires Sonko combinées au tsunami induit dans ses rangs par la décision brusque de sa non-participation aux élections de 2024 annoncée par le président Macky.
Le cauchemar éveillé des ‘’intouchables’’ politiciens de la république
Sous cet angle il semble bien évident de constater que ni le pouvoir ni l’opposition n’ont pas bien préparé l’élection présidentielle de 2024. Le réveil semble brutal pour tous. Les convictions et plans ont été détruits. La confiance manque et le doute s’est installé dans toutes les écuries. Le jeu des alliances ne pouvant plus fonctionner, s’installe la débandade, chacun joue pour soi.
Avec les échéances du parrainage et du dépôt de candidature, les déclarations de participation se multiplient à friser l’hystérie collective aux yeux de certains observateurs surpris et de politiciens professionnels rompus à l’accaparement qui sentent que le vent commence à tourner. Mais au fond il n’y a rien de plus normal.
La pléthore de candidatures déclarées à la présidentielle de 2024 est une conséquence normative de l’évolution depuis plus de 30 ans du multipartisme intégral ayant abouti à environ 350 partis et une dizaine de coalitions. La logique d’un parti étant de competir à la gestion du pouvoir, quoi de plus normal et plus simple à admettre, qu’on puisse se retrouver avec plus de 100 candidats déclarés en attendant que les filtres du parrainage, de la caution et autres détails ne viennent trancher sur, qui officiellement peut ou non, participer. Restera au peuple de trancher.
Etant donné que 56% de la masse électorale n’a pas participé aux élections législatives de juillet 2022, empêchée ou s’étant très probablement abstenue, il est fort à parier que l’offre de représentation recherchée et attendue par la majorité des électeurs n’était pas encore mobilisée ou suffisamment impliquée. Voilà qui donne encore plus de sens ou de crédibilité aux multiples candidatures inattendues et qui dérangent. Et, pas plus de chances à celles de personnes bien connues pour leur engagement politiques mais qui n’ont pas jusqu’ici réellement convaincues.
Un scrutin qui s’annonce ouvert et un véritable défi pour la démocratie
On ne doit pas s’offusquer du nombre de candidatures déclarées. Il est normal que tous ceux qui le souhaitent et pensent pouvoir l’assumer se proposent aux choix des sénégalais qui semblent vouloir à l’aune des événements endurés du fait de la maladresse de la classe politique, un vrai changement en tout, une mutation totale dans la gestion de la cité et des affaires du pays.
Certaines candidatures sont perçues comme fantaisistes, inappropriées parce que ceux qui les incarnent ne sont pas assez ou pas du tout connus des sénégalais. Par contre, cette même opinion ne trouverait rien à dire et pense que les candidatures sont plus légitimes quand il s’agit d’anciens ministres de surcroit premiers du rang, révoltés parfois tardivement d’un système qui les a laissé au bord de la route au moment où ils n’avaient rien à reprocher au pouvoir qu’ils ont servi et ou accompagné sans remarquer que les manières d’opérer, les méthodes et les programmes de gouvernance qu’ils ont appliqué n’étaient ni les bons, ni les meilleurs pour sortir le Sénégal du sous-développement et de la dépendance servile de partenaires qui se gavent de nos ressources mal exploitées.
Ces ‘’plénipotentiaires’’ le savaient-ils sans réagir ou simplement ont-ils préféré gérer des intérêts personnels au détriment du peuple floué et paupérisé qu’ils se proposent de sortir aujourd’hui des ornières ? Avoir un bon carnet d’adresse suffit-il pour être un bon président ? Tous ceux qui du fait de leur présence dans ou à proximité des régimes passés ou présents, qui donnent l’impression de pouvoir assumer, l’ont été pour la majorité des cas par simples coïncidences et non par ce qu’ils étaient plus aptes à ces postes confiés par l’autorité. En conséquence riche de ses multiples protagonistes, le scrutin du 25 février 2024 qui s’annonce indécis et très ouvert, constitue à maints égards un véritable test de maturité pour la démocratie sénégalaise.
Reste à élire le bon président de la république
Rien ne prédestine à la fonction de chef de l’état dans une démocratie. Les bons présidents ont de la rigueur, sont honnêtes, entourés des meilleurs collaborateurs à chaque niveau, autour d’un programme clair, déroulé et constamment évalué pour répondre aux attentes du peuple pour lequel toute action est menée. Comme le disent certains, il n’y a pas d’écoles où on apprend à être Président ou ministre de la république. Avoir été dans l’appareil d’état pendant un certain temps peut être un atout pour présider aux destinées d’une nation mais cela ne suffit pas pour convaincre et opposer les ruptures nécessaires à faire évoluer un pays.
Pour élire un président le peuple reste souverain. Il faut que les sénégalais se rassurent pour le futur et soient bien plus critiques pour réaliser le bon choix le 25 février 2024, sur la base des programmes et modèles de gouvernance proposés par les candidats, beaucoup plus fiable que les supposés parcours d’hommes et de femmes qui n’ont conçu ou incarné aucune vision à propos de laquelle ils ont pris le temps de suffisamment réfléchir pour la faire valoir.
Certains aspirants bien qu’ayant peu ou jamais assumé des responsabilités dans un gouvernement, ont l’avantage d’avoir eu le temps d’observer, de réfléchir, de critiquer librement et certainement, ce qui les rend encore plus crédibles, de n’avoir jamais été mêlés de près ou de loin à aucune affaire de corruption ou de mal gouvernance publique.
L’angoisse de la stabilité qui accorde beaucoup de crédit au parcours et à l’expérience des relations internationales, les enjeux de la gestion du gaz et du pétrole agités en épouvantail et autres détails qui ne manqueraient pas de peser sur la balance, ne sauraient être le bon prétexte pour choisir un candidat dont le programme n’inspire ni la confiance et ni la rupture avec ce que l’on a déjà connu et enduré depuis des décennies dans la marche ou mieux la gestion de notre cher pays.
Il ne faut pas oublier que le président choisi travaillera dans la continuité sur un fond déjà assez confortable, d’un état que constituent son administration et les corps constitués, avec leurs différents appareils qu’il suffit de mettre harmonieusement en marche, pour que les bons hommes et femmes à la place qu’il faut, mais pas à la place que l’on veut, prêts à rendre compte de la confiance accordée, fassent leur travail en synergie, pour que l’essentiel soit déjà assuré.
Le président n’accompli pas la sécurité d’un pays, ni la cohérence de son économie ou le niveau et la qualité de son système sanitaire ou éducatif. Mais il les favorise. Il les rend possibles et efficients par son autorité, son contrôle permanent, sa vigilance, sa réflexion continue et surtout son leadership. Il doit toujours garder à l’esprit le contrat de confiance conclu avec le peuple qui est en réalité le maître auquel le tout-puissant l’a soumis et au nom de qui il gouverne. Etre président n’est pas une sinécure. C’est une lourde responsabilité qu’on ne saurait assumer au-delà de bien vouloir servir au mieux son peuple, en pensant à soi.
Pour conclure, on peut avancer que la portée du scrutin du 25 février prochain au-delà de l’engouement, est d’être au moins sûr, d’avoir un autre président grâce à la clairvoyance et au courage de Macky renonçant à la tentation de s’accrocher au pouvoir. Le choix devra être celui d’un peuple averti, riche de son expérience de multiples alternances, debout pour élire celui dont le programme pourra réellement changer son destin et le porter au niveau des nations les plus unies et les plus comblées au monde.
Aliou LAM
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