– Jusqu’au 3 février dernier, personne n’aurait pu deviner que les événements qui se seraient déroulés dans le salon de beauté « Sweet Beauty » de Dakar, auraient pu déclencher les émeutes les plus violentes de l’histoire récente du Sénégal.
Au Sénégal, l’accusation de viol portée en février contre Ousmane Sonko, président du Parti patriote sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), a conduit aux émeutes les plus violentes de la décennie, dans un pays en proie à une crise politique, économique et sociale.
Jusqu’au 3 février 2021, personne n’aurait pu deviner que les événements qui se seraient déroulés dans le salon de beauté nommé « Sweet Beauty » à Dakar pourraient déclencher un processus qui entraînerait le pillage des supermarchés français du Sénégal et la mort d’au moins cinq personnes.
La plainte d’Adji Sarr, une femme âgée de 20 ans, qui travaillait comme masseuse au salon de beauté, déposée au parquet, a eu l’effet d’une bombe à Dakar.
Selon la plainte de Sarr, le leader de l’opposition Ousmane Sonko l’aurait violée à plusieurs reprises puis l’aurait menacée de mort. « Sweet Beauty » n’est plus simplement le nom d’un institut de beauté du quartier du Sacré Cœur, mais aussi celui d’un procès qui ne fera pas oublier pendant des années.
Cette accusation à l’encontre de Sonko, candidat à la dernière élection présidentielle de 2019 lors de laquelle il est arrivé troisième avec 15 % des voix, et ayant d’ores et déjà annoncé et souligné à maintes reprises qu’il serait candidat en 2024, a bien sûr soulevé la question d’une éventuelle bataille politique derrière la bataille juridique.
En réponse aux accusations le visant, Sonko a déclaré qu’il avait essayé diverses méthodes de physiothérapie depuis son enfance, alors qu’il souffre de douleurs au cou. Déclarant manquer de moyens pour d’autres formes de thérapies, Sonko a ajouté qu’il ne pouvait que se rendre à un massage régulier, notamment dans ce salon de massage suggéré par un ami. Le chef de l’opposition a catégoriquement nié toutes les allégations et déclaré qu’il s’agissait d’une conspiration de l’actuel président Macky Sall.
Bien que Sonko ait réfuté les accusations, le processus judiciaire a officiellement commencé suite au dépôt de plainte de Sarr au bureau du procureur le 3 février dernier. L’immunité parlementaire de Sonko a également été levée lors de la session parlementaire du 26 février.
Le mandat d’arrêt a allumé la mèche de la contestation
Bien qu’il ait initialement refusé, Sonko a dû se résigner à accepter de témoigner, notamment sous la pression du clergé et de la société civile. Le désir de Sonko de se rendre à la Cour de Dakar avec un imposant cortège pour l’accompagner, a changé le cours des événements. Les forces de sécurité ont demandé à l’opposant de réduire à cinq le nombre de véhicules l’accompagnant, mais leurs demandes n’ont pas été satisfaites par Sonko qui a attendu avec ses partisans sur la route côtière pendant environ trois heures et n’a pas été autorisé à passer outre le barrage sécuritaire, pour finalement être arrêté avec le motif invoqué de « trouble à l’ordre public ».
Cette détention à laquelle personne ne s’attendait, a déclenché des incidents violents rarement constatés dans l’histoire du Sénégal. Les partisans de Sonko, principalement des jeunes, dont de nombreux étudiants, se sont rassemblés dans plusieurs quartiers de la ville pour protester contre sa détention. Avec l’intervention de la police conte les manifestants, les affrontements entre les partisans de l’opposant et les forces de sécurité se sont poursuivis jusqu’à tard dans la journée ; Cependant, les violents incidents dont on se souviendra pendant de nombreuses années ont eu lieu le vendredi 5 mars.
Vendredi sanglant
La colère populaire s’est accrue après la détention de Sonko pendant plus de 48 heures. D’autres groupes d’opposition au gouvernement sont venus renforcer les rangs des protestataires, descendus dans les rues le vendredi 5 mars à travers l’ensemble du pays. Bien que les événements aient débuté avec juste des appels à la libération de Sonko, ils ont dégénéré par la suite, se transformant en manifestations de masse à l’échelle du pays contre le président Macky Sall et son gouvernement.
Dans ce pays ouest-africain où les violences de rue ne sont pas fréquentes, les forces de sécurité ont tenté de disperser ces manifestations non autorisées, en vain. Du fait de la présence constatée de délinquants au sein des manifestants, un nombre équivalent au bilan annuel de délits ordinaires a été enregistré en seulement 24 heures, notamment des faits d’extorsion ou de vol. La colère s’est ensuite tournée vers la chaîne de distribution française Auchan, transformant le Sénégal en théâtre d’un pillage massif sans précédent dans son histoire.
17 succursales d’Auchan, qui compte 33 succursales à travers le pays, ont été pillées puis incendiées. D’autres entreprises et filiales appartenant à des capitaux étrangers n’ont pourtant subi aucun dommage. Deux facteurs peuvent expliquer cette colère croissante contre la France, le premier étant les propos de longue date de Sonko visant Paris et Auchan. Le second est l’idée qui se répand au sein de l’opinion populaire que le président Sall serait désormais soutenu par la France, ou en d’autres termes, qu’il serait « l’homme de Macron ».
Qui sont les « puissances étrangères » évoquées par la ministre des Affaires étrangères ?
Ce qui s’est passé au Sénégal, connu comme l’un des pays les plus stables et pacifiques de la région Sahel – Ouest Afrique, a poussé certains acteurs à intervenir en vue d’assurer une médiation. Des organisations non gouvernementales, des chefs de confréries et des personnalités notables ont rencontré le président Sall et lui ont demandé d’adoucir l’atmosphère de toute urgence. Malgré l’exigence populaire que le président Sall fasse une apparition télévisée, la ministre des Affaires étrangères Aissata Tall Sall et le ministre de l’Intérieur Félix Abdoulaye Diome, étaient responsables de la communication.
Bien que la ministre des Affaires étrangères Sall ait affirmé dans une émission de la chaîne de télévision publique « France24 » que certaines forces étrangères manipulaient les Sénégalais, elle n’en a pas dit plus. Diome, lui, a qualifié, dans son discours du 5 mars, les événements de « terroristes », ce qui a attisé la colère des partisans de Sonko qui ont appelé à la désobéissance civile et à des manifestations de masse les 8, 9 et 10 mars.
La libération de Sonko, le 8 mars, après son interrogatoire suite à l’accusation de viol, a permis de calmer la colère dans les rues de Dakar et du reste du Sénégal. La foule rassemblée pour manifester, a afflué dans le quartier de Sonko pour célébrer sa remise en liberté. Le même jour, Sonko a tenu une conférence de presse et a déclaré que le combat se poursuivrait. Après la déclaration de l’opposant, le président Sall a appelé, dans son discours à la nation, au « calme et à la tranquillité », ajoutant qu’il comprenait les attentes de la jeunesse. Les partisans de Sonko ont appelé à une nouvelle manifestation pacifique le 13 mars. Selon l’opposant, la « révolution » a déjà commencé et se poursuivra jusqu’aux élections prévues en 2024.
Un remake de l’histoire au Sénégal ?
L’environnement de chaos vécu la semaine dernière a rappelé le processus électoral de 2012. Sall, qui était candidat aux élections présidentielles de 2012 contre le président de l’époque Abdoulaye Wade, était soutenu par des jeunes, à l’instar de Sonko aujourd’hui. Bien que les acteurs aient interchangé les rôles, les promesses et les attentes faites il y a 9 ans sont presque exactement les mêmes qu’aujourd’hui. En 2012, Sall avait accusé Wade et les forces armées ainsi que des milices d’avoir ouvert le feu sur les civils. Le président Sall est aujourd’hui confronté aux mêmes critiques et accusations qu’il portait contre Wade en 2012, notamment d’être responsable du feu ouvert donné aux forces de sécurité contre les manifestants pacifiques, ainsi que par rapport au l’enrichissement illégal à outrance et au favoritisme envers ses proches sous sa présidence.
Cela soulève la question suivante concernant Macky Sall qui avait réussi à obtenir les voix électorales de deux Sénégalais sur trois il y a 9 ans : quel facteur a transformé Macky Sall aux yeux d’une partie considérable de ses concitoyens ? La corruption ? Est-ce le manque de séparation et d’indépendance des pouvoirs, ou la réponse à cette question réside-t-elle dans un autres aspect du système politique sénégalais ?
Dans le documentaire intitulé « The Unbreakable Will » (Incorruptible), tourné par la réalisatrice américaine Elizabeth Chai Vasarhelyi à propos du processus électoral, Sall avait fait les déclarations suivantes après sa première victoire électorale à la présidence : « je resterai fidèle à mes principes en tant que président du Sénégal. Wade était également fidèle à ses principes au début, mais le pouvoir gâte les gens. J’espère qu’il ne m’arrivera pas de même en tant que président du Sénégal ».
Il faut trouver la réponse à la question concernant ce « remake de l’histoire » afin que ce cycle ne se perpétue pas en 2024 avec l’éventuelle élection d’Ousmane Sonko à la présidence du pays.
Fatma Esma Arslan
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