Dans une Afrique où nombre de pays ont connu des moments d’instabilité sociopolitique dans leur histoire récente ou révolue, les événements actuels, au Sénégal, sont énormément suivis et commentés. C’est dire qu’après la condamnation à deux ans de prison de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, pour « corruption de la jeunesse », il fallait s’attendre à ce que l’onde de choc des émeutes qui en a résulté soit ressentie loin, à des centaines, voire des milliers de kilomètres du pays de la Téranga. Ces violences, si l’on en croit les chiffres officiels, ont causé la mort d’une quinzaine de personnes et de nombreux dégâts matériels.
Au Burkina Faso, soit à plus de 1 400 kilomètres du Sénégal, ces remous sociopolitiques laissent peu d’observateurs indifférents.
Dans les faits, l’opposant condamné a toujours considéré ses ennuis judiciaires comme un complot ourdi par le chef de l’État, Macky Sall, pour le disqualifier de la présidentielle de 2024. À la suite de sa condamnation, le parti d’Ousmane Sonko, le Pastef, avait d’ailleurs appelé les Sénégalais à descendre dans la rue pour faire face au régime de Macky Sall jusqu’à obtenir le départ de ce dernier de la tête de l’État.
Or, le président sénégalais, bientôt au terme de deux mandats à la tête de son pays, a jusque-là entretenu le flou sur son intention ou pas de briguer un troisième mandat jugé de trop, « illégal » pour les uns, « illégitime » pour d’autres, la Constitution sénégalaise ayant été révisée en 2016, sous le premier mandat de Macky Sall, et le bail présidentiel ramené de 7 à 5 ans renouvelable une seule fois.
Des événements qui réveillent bien des souvenirs au Burkina
Pour de nombreux Burkinabés, les émeutes enregistrées ces derniers jours dans plusieurs localités du Sénégal rappellent tout de suite ce que le pays des Hommes intègres a connu de presque similaire : l’insurrection populaire d’octobre 2014.
Karim Tiemtoré, informaticien, se souvient, en effet, qu’il y a bientôt neuf ans, les mêmes scènes de violence émaillaient plusieurs villes du Burkina. Et cela, alors que l’ex-président, Blaise Compaoré, après 27 ans passés au pouvoir, tentait de modifier la Constitution qui lui aurait permis de briguer un cinquième mandat.
Au-delà du cas burkinabé, les émeutes sénégalaises font plonger dans les souvenirs de moments d’instabilité sociopolitique d’autres pays du continent. Karim Tiemtoré pense, par exemple, aux violences post-électorales de 2010 en Côte d’Ivoire, parties, dit-il, de l’opposition entre l’ex-président Laurent Gbagbo et l’actuel, Alassane Ouattara.
Parmi les Burkinabés, nombreux sont ceux qui font le lien entre la décision du sort judiciaire d’Ousmane Sonko et une volonté du président Sall de réduire les chances d’éligibilité de celui qui se présente comme son « plus redoutable adversaire ».
C’est la lecture que s’est fait un collectif de quatre organisations de la société civile dans un message publié au lendemain des violences meurtrières dans les rues du Sénégal. Ce collectif dont fait partie le Balai citoyen – l’une des organisations qui fut au-devant de l’insurrection contre le pouvoir de Blaise Compaoré – a, en effet, condamné ce qu’il appelle des « ambitions destructrices de Macky Sall qui conduisent le Sénégal dans des moments de troubles et d’instabilité ».
Il faut dire qu’au sein de la société civile burkinabée, les analystes convaincus d’un parti pris de la justice sénégalaise ne sont pas les moins nombreux.
La Coalition des patriotes du Burkina Faso (COPA-BF) fait partie du lot. Dans une déclaration, cette organisation a dénoncé « une volonté aveugle de Macky Sall de rester au pouvoir », lui qui, toujours selon la COPA-BF, « s’est laissé pervertir par des attitudes antidémocratiques ».
L’image ternie d’une « vielle école de la démocratie »
La presse burkinabée ne manque pas d’analyser et de commenter régulièrement les soubresauts politiques que traverse le pays de la Téranga, en particulier le dossier Sonko. En majorité, les médias burkinabés jugent que « le Sénégal ne mérite pas ça ». Une phrase de l’actuel maire de Dakar, Barthélémy Dias, prononcée dans une vidéo à la suite des violences de ces derniers jours et qui a fait effet boule de neige.
Les analyses de plusieurs journaux se rejoignent sur le fait que « rien ne saurait justifier » le dernier et violent développement des événements au Sénégal. C’est pour ainsi le dire que, dans un ton badin, un éditorialiste du quotidien
L’Observateur paalga a estimé que le défunt président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, devrait revenir des morts, parce que ses compatriotes sont « devenus fous ». « Fous, dit le journal, à l’image d’Ousmane Sonko qui défie les institutions judiciaires, au point de s’emmurer derrière une « désobéissance civile » pour obéir à son instinct politique […] Fous comme ces intellectuels et autres cadres de partis politiques qui incitent à la haine et à la violence, fous comme ces jeunes des quartiers qui s’en prennent sans distinguo aux biens publics et privés […], fous enfin, à l’instar du président Macky Sall himself habité par la tentation d’un troisième mandat problématique, qui cultive une ambiguïté coupable sur son rapport à la Constitution et demeure calfeutré dans un mutisme bruyant… »
Des pistes de sortie de crise
L’avis le plus partagé de Burkinabés est que le Sénégal, jadis une référence en Afrique occidentale, surtout francophone, en matière d’enracinement démocratique et de respect des règles de l’alternance, ce pays qui pouvait se vanter d’avoir connu le multipartisme avant même les indépendances, est finalement un bastion en passe de basculer dans le lot des mauvais exemples.
Le Pays, quotidien privé burkinabé, parie que « l’exportation récente des violences à l’étranger, comme constaté près des services consulaires, contribuera, à coup sûr, à ternir l’image du Sénégal. L’étoile sénégalaise qui brillait au firmament africain dans de nombreux domaines continuera donc de pâlir et risque de cesser d’être le guide pour de nombreux pays du continent », présage ce journal privé.
« Une situation triste et malheureuse qui vient une fois de plus mettre à l’épreuve la démocratie africaine », selon le Dr Arouna Louré, responsable du mouvement les Révoltés, une organisation de la société civile. « Nos démocraties en Afrique sont une utopie », estime Ismaël Drabo.
Cet étudiant ajoute que « si nombre des pays africains sombrent dans des violences du fait de la politique, c’est parce que la plupart de leurs dirigeants commettent une erreur : celle de se croire irremplaçable à la tête d’un État ». « On ne finira jamais de construire un pays. C’est raisonnable qu’après deux mandats, nos chefs d’État acceptent de céder leur fauteuil à quelqu’un d’autre pour poursuivre l’œuvre de construction », préconise Karim Tiemtoré.
Mais quelle pourrait être la bonne panacée pour une sortie de crise ? Pour des Burkinabés, notamment au sein des organisations de la société civile, on pense qu’une sortie de crise est peu envisageable sans une implication de la communauté internationale.
« Le meilleur moyen pour que le Sénégal sorte de cette crise est que les deux protagonistes, Macky Sall et Ousmane Sonko, se parlent », estime l’étudiant Ismaël Drabo. « Ils doivent mettre l’intérêt de leur pays au-devant de tout », soutient le Dr Arouna Louré. Hamidou Zoundi pense que la clé de la porte qui ouvre à la paix est entre les mains de Macky Sall.
L’Observateur paalga met également en avant cette conviction en écrivant qu’« un seul mot [du chef de l’État] aurait suffi, sinon à prémunir le Sénégal de la tourmente, du moins à minimiser la tempête sociale et politique qui menace la stabilité de toute la nation ».
Hamidou Zoundi, lui, croit que « la justice sénégalaise a un rôle à jouer dans l’apaisement, en reconsidérant le verdict prononcé contre l’opposant ».
Mais en attendant une sortie de crise, des questions taraudent les esprits au sein de l’opinion burkinabée : qui, de Macky Sall ou d’Ousmane Sonko, va endosser la responsabilité des morts ? À qui des deux imputera-t-on les nombreux dégâts matériels ?
Que fera-t-on finalement du verdict prononcé contre le Casamançais qui ne semble pas prêt à séjourner en prison ? Que va-t-il se passer si l’opposant venait à être contraint d’y purger sa peine ? Macky Sall aurait-il, dans ce cas, les coudées franches pour prononcer une grâce présidentielle en faveur de son rival politique ?
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