La fin de la mission en Afghanistan, avec la mort de treize soldats américains, vire au scénario catastrophe pour Joe Biden, confronté à sa plus grave crise et comme paralysé par une situation qu’il n’avait pas vu venir.
« Journée difficile »: en se présentant jeudi devant les caméras, plusieurs heures après un double attentat-suicide à proximité de l’aéroport de Kaboul, le 46e président des Etats-Unis ne cache pas son émotion.
Les larmes au bord des yeux, il rend hommage à ces « héros » tombés dans l’attaque la plus meurtrière pour les militaires américains depuis août 2011.
Le ton martial, comme pour faire taire les accusations de faiblesse, il lance ensuite à ses auteurs: « Nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer. »
Mais, alors qu’il était aussi de plus en plus critiqué pour fuir les questions de la presse, il ne peut s’empêcher de manifester son agacement, yeux fermés et tête baissé, en écoutant un journaliste de la chaîne conservatrice Fox News l’interroger sur ses propres « responsabilités ».
Comme souvent depuis deux semaines, Joe Biden a dû chambouler son agenda, repoussant d’un jour sa rencontre avec le Premier ministre israélien Naftali Bennett.
« C’est une crise majeure qui se déroule sous sa présidence », dit à l’AFP Ian Bremmer, président de la société d’expertise Eurasia Group. « C’est un échec du renseignement, c’est un échec de la planification, c’est un échec de la communication, et c’est un échec de la coordination avec les alliés », estime-t-il.
De son propre aveu, le président n’avait pas « prévu » la rapidité de l’effondrement de l’armée afghane formée, équipée et financée par Washington, et la chute de Kaboul aux mains des talibans.
Et comme ce fut le cas avec le conflit entre Israël et le mouvement palestinien Hamas en mai, son gouvernement donne l’impression d’avoir du mal à s’adapter à l’imprévu sur la scène internationale.
Les moments de flottement se sont succédé depuis la victoire des talibans le 15 août, qui a surpris Joe Biden à Camp David, lieu de villégiature des présidents américains. D’abord mutique, le démocrate âgé de 78 ans a depuis multiplié les prises de parole, sans faire cesser les critiques.
Mardi, son intervention a été retardée d’environ cinq heures alors que le monde attendait de savoir s’il allait céder aux appels internationaux en faveur d’un report de la date butoir du 31 août pour le retrait américain — et donc pour les évacuations d’étrangers et d’Afghans menacés de représailles de la part des talibans. Il a finalement confirmé l’échéance.
Popularité en baisse
Joe Biden, élu en affichant un profil rassembleur, a confirmé la décision de son prédécesseur républicain Donald Trump de retirer toutes les troupes américaines d’Afghanistan.
Mais il est aujourd’hui critiqué de toutes parts pour la gestion de ce retrait, et pour n’avoir pas organisé plus tôt les évacuations nécessaires, obligeant l’armée américaine à renvoyer des forces en catastrophe pour gérer dans la pagaille un gigantesque pont aérien, endeuillé jeudi par l’attentat du groupe jihadiste Etat islamique.
« Cette tragédie n’aurait jamais dû avoir lieu », a déploré jeudi Donald Trump, qui avait réclamé sa démission dès la semaine dernière.
« Joe Biden a du sang sur les mains », a renchéri la députée républicaine Elise Stefanik. « Il est inapte à être commandant-en-chef », a-t-elle martelé.
De nombreux observateurs font un parallèle avec l’attaque de Benghazi, qui avait coûté la vie en 2012 à l’ambassadeur américain en Libye, et empoisonné l’administration de Barack Obama.
« Je ne sais pas si Biden va être durablement affaibli » par la crise afghane, dit à l’AFP Mark Rom, professeur de sciences politiques. « Mais les républicains vont tout faire pour que ce soit le cas. »
Cette pluie de critiques brouille la communication de la Maison Blanche, désireuse de se concentrer sur les avancées des gigantesques plans économiques du président — censés permettre aux Etats-Unis de « remporter » la compétition avec la Chine, seule vraie priorité de sa politique étrangère.
Surtout, sa popularité s’est effondrée depuis dix jours dans les sondages, alors même qu’une grande majorité des Américains, lassée par les « guerres sans fin » de l’Amérique, estiment comme lui que les Etats-Unis devaient quitter l’Afghanistan.
Pour Charles Franklin, directeur de l’institut de sondages de la Marquette Law School, « la question politique, une fois que nous aurons complété le retrait, c’est de savoir si la majorité sera satisfaite que nous soyons partis ». « Si c’est le cas, alors la polémique pourrait s’estomper. »
Joe Biden semble faire ce pari.
« Mesdames et messieurs, il était temps de mettre fin à vingt années de guerre », a-t-il réaffirmé jeudi en concluant sa conférence de presse.
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