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L’heure est grave – Par Mamadou DIOP

Le monde entier observe la gravité de la situation que traverse le Sénégal et qui s’envenime au fur et à mesure qu’approche l’élection présidentielle de février 2024.

Les perspectives de celle-ci sont assombries par l’entêtement du régime à soutenir la candidature de Macky à un troisième mandat et l’acharnement de ce dernier à éliminer un candidat que l’essentiel de l’opinion, surtout sa franche jeune, souhaite voir à la tête du pays l’année prochaine.

Dans mon livre intitulé « VISION ET PROJET DE SOCIETE » (2019), je déplore le fait que l’Afrique soit « la seule partie du globe où une élection semble toujours annoncer la fin du monde ». Le Sénégal en fait aujourd’hui une flagrante démonstration dans une folle ambiance d’invectives, d’injures, de menaces, de manifestations et de répressions.

Au point qu’on parle même d’une implication de l’Armée dans les opérations de maintien de l’ordre. C’est à croire que dans ce brouhaha troublant et inélégant, il n’y a pas place pour un débat d’idées et une confrontation de programmes.

L’on pousse ces agressions cruelles contre l’image du pays jusqu’à l’exposer à des remous ethnicistes qui pourraient nous faire basculer dans l’horreur d’une guerre civile dont de nombreux pays, africains ou autres, ont gardé des séquelles indélébiles. Cette vilaine ambiance qui annonce des secousses telluriques, tient, à mon sens, à deux phénomènes convergents qui touchent les trois Pouvoirs de l’Etat, l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire.

DESEQUILIBRE INSTITUTIONNEL
Au sommet de l’Etat, un net déséquilibre en faveur du président de la République lui confère des pouvoirs exorbitants dont il use et abuse à sa guise sans aucun contrôle. Cela ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas propre au Sénégal ; si les anciennes colonies ont fait du « couper-coller » en reproduisant sans nuances les lois françaises dans leur architecture institutionnelle, ils ont très peu suivi l’ancien colon dans l’application de ces textes fondateurs.

Un seul exemple suffit pour en administrer la preuve : c’est le système du parrainage si décrié, même par la CEDEAO, et qui en France avait amené, à l’approche de la dernière présidentielle, des proches du régime de MACRON à aider un challenger comme Marine LEPEN à compléter sa liste de parrains. C’était là la manifestation d’un esprit élégant et républicain bien rare sous nos cieux. Pour dire le moins.

Chez nous, le parrainage semble ne viser qu’un seul but : permettre au régime en place d’éliminer des listes de l’opposition. On s’est ainsi retrouvé, lors des élections législatives de l’année dernière, dans une situation incongrue où les citoyens qui avaient donné leur parrainage à la liste de YEWI-WALLU, au vu des noms de titulaires qui y figuraient, virent des suppléants se substituer à ces derniers.

Personne n’est dupe, la manœuvre était simple, il fallait éliminer certains candidats comme Ousmane SONKO, Khalifa SALL, Guy Marius SAGNA, Moustapha SY, pour ne citer qu’eux, afin d’affaiblir la liste d’opposition la plus représentative. Et voilà comment on avait créé les conditions d’une explosion dont le pays pouvait et devait se passer.

Ironie du sort, celle qui était tête de liste de la coalition au pouvoir, et qui avait accentué les risques de cette explosion en proclamant, sans gène, en pleine nuit, des résultats inventés, vient d’être éjectée du Parlement par ses anciens compagnons de campagne.

Tant qu’en Afrique, on laissera prospérer une trop forte concentration de pouvoirs entre les mains d’un homme qui ne supporte aucune opposition, ni même aucune contradiction, on ne se souciera même pas d’une démocratie formelle bâtie sur des textes juridiques copiés ailleurs, des élections truquées, des mesures répressives contre l’opposition et des basses manœuvres pour la réduire à sa plus simple expression. On oublie ainsi que si l’opposition n’a plus droit de cité, c’est la rue qui prend le relais.

LE TROISIEME MANDAT A TOUT PRIX
Tout cela est motivé par la psychose d’un homme à l’approche de la fin de son règne dont la Constitution, (« sa » Constitution), rejette la prolongation en excluant, très clairement, la candidature à un nouveau bail de quiconque a fait deux mandats consécutifs. C’est ici que l’on mesure l’importance des dernières législatives quand on sait que Macky n’hésiterait pas à recourir à une loi pour modifier la Constitution s’il disposait d’une majorité confortable au Parlement. C’est peut-être ce qui avait amené Ely Madior FALL, rédacteur de la Constitution, à réclamer le titre de « tailleur de haute couture » en oubliant qu’au Sénégal, une forte majorité de la population s’habille de friperies.

Le comble de l’indignation populaire a été atteint lorsque ce professeur de droit, de surcroît ministre de la Justice, a osé crier, lors d’un meeting de soutien à son mentor, ces mots incroyables et choquants : « Nous ne disons pas le droit, nous parlons politique… ». Rien que par ces mots, que de feu et de sang dans nos rues…

Si nous ne cherchons pas un équilibre solide et durable entre les Institutions de l’Etat, si l’Assemblée nationale n’est pas en mesure de contrôler l’action de l’Exécutif, si la Justice ne garantit pas l’existence et le fonctionnement régulier d’un Etat de droit, rien ne peut nous préserver des chocs tragiques et meurtriers vécus ailleurs.

LIQUIDATION D’UN ADVERSAIRE A TOUT PRIX
Depuis deux longues années, le régime ne semble avoir qu’une seule préoccupation, éliminer Ousmane SONKO de la course à la présidentielle. Ce dernier, sorti brutalement de son bureau d’inspecteur des Impôts pour entrer au Parlement, prendre le rang de chef de l’opposition et remporter avec brio la Mairie de Ziguinchor, a subi les tracasseries les plus cruelles et les plus injustes allant jusqu’à être accusé de viols multiples et de menaces de mort.

N’oublions pas qu’à sa première participation à une élection présidentielle, SONKO s’était classé troisième derrière deux « mastodontes » du paysage politique sénégalais. S’il fait tant bouger les foules comme il y est arrivé lors du méga meeting de Keur Massar, si tous les sondages sérieux lui prédisent une victoire sans appel pour 2024, on comprend l’affolement de ceux qui voient en lui un grand risque d’avoir à rendre des comptes pour leur gouvernance sombre et tortueuse.

SORTIE DE CRISE
Nous avons un intérêt suprême à arrêter de jouer avec le feu qui n’épargnera personne sur son passage. Le Rwanda, le Mozambique, l’Angola, la Guinée Bissau, le Libéria, l’Algérie, la Libye, le Mali, le Congo, l’Ethiopie…Voilà autant d’exemples de pays africains (il y en a d’autres ailleurs) qui ont connu ou continuent à vivre la tragédie d’une guerre civile qu’à mon sens, nous avons les moyens d’éviter à notre pays. Les ressorts d’un tel sursaut existent, osons les identifier et les mettre en œuvre.

Notre première urgence est d’abord d’arrêter le jeu de massacre auquel se prête une horde de fanatiques de la dictature qui tiennent, à tout pris à maintenir leurs privilèges contre une forte majorité de la population. Le Sénégal a besoin de tous ses porteurs de voix pour freiner les ardeurs aveugles de ceux qui ne sont pas assez intelligents pour comprendre qu’ils exposent le pays à des remous ingérables. Une intervention concertée des leaders d’opinion viserait principalement deux mesures seules de nature à nous sortir d’un contexte gros de danger :

1- Amener l’actuel chef de l’Etat à arrêter les procédures judiciaires ouvertes contre le leader de l’opposition ;

2- Exclure toute candidature du président sortant à l’élection de 2024.

Lorsque les urnes auront pris la place des actes abusifs et répressifs, nous devrons chercher un consensus national sur les grands axes d’un changement visant à déconstruire un système bâti sur :

· la violation des règles les plus élémentaires de la démocratie par des coups de force contre des opposants traqués jour et nuit avec des dossiers d’accusations fallacieuses montés par des amateurs nuls et médiocres ;

· les abus manifestes de pouvoir allant jusqu’à l’arrestation de députés, de maires et de journalistes pour délit d’opinion ;

· l’enrichissement scandaleux et l’impunité de proches du sommet dont les trois derniers exemples sont le vol chez le « griot du président » d’une somme de plus d’un quart de milliard CFA, les conditions d’attribution de contrats de concession pétroliers et gaziers et les révélations d’un rapport de la Cour des Comptes sur l’utilisation des fonds destinés à la lutte contre la Covid19 ;

· le trafic de faux billets et de faux passeports diplomatiques ;

· le bradage du patrimoine national au profit de trois ou quatre Etats étrangers et de leurs opérateurs qui s’appuient sur leurs suppôts locaux ;

· l’alignement sur des positions géopolitiques qui ne tiennent nullement compte de nos intérêts.

Assurément, en février 2024, le Sénégal va jouer son avenir. Il reviendra à tous les Sénégalais de poser, d’une manière consciente et responsable, un acte citoyen qui pourrait, soit plonger notre pays dans une tragédie meurtrière, soit ouvrir la porte à une démocratie réelle avec des soubresauts politiques gérables. Nous sommes tous concernés. Citoyens, à vos cartes.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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