On vous explique la crise politique après le placement en détention de l’opposant Ousmane Sonko et la dissolution de son parti
Trois personnes ont été tuées lundi dans le sud du Sénégal et dans sa banlieue (Pikine) lors de manifestations à la suite du placement en détention d’Ousmane Sonko, opposant au président Macky Sall, inculpé pour divers délits.
Le Sénégal s’embrase à nouveau. Trois personnes ont été tuées, lundi 31 juillet, dans le sud du pays et dans sa banlieue (Pikine), lors de manifestations déclenchées à la suite de l’inculpation et du placement en détention d’Ousmane Sonko.
Ce candidat à la présidentielle de 2024, et principal opposant au président Macky Sall, est notamment poursuivi pour appel à l’insurrection. Début juin, déjà, sa condamnation à deux ans de prison ferme, pour corruption de la jeunesse, a engendré des affrontements similaires entre manifestants et forces de l’ordre. Franceinfo revient sur ces violences et leurs conséquences.
L’origine de la crise : condamné à plusieurs reprises, l’opposant Ousmane Sonko crie au complot
Des manifestations massives en faveur de l’opposant politique de 49 ans, interdites, ont débuté en mars, au moment où il était jugé. Accusé de viols et de menaces de mort sur une jeune employée d’un salon de beauté, il a été acquitté le 1er juin par la chambre criminelle du tribunal de Dakar pour ces deux chefs d’accusation, détaille l’Agence de presse sénégalaise (APS). Il a en revanche été condamné à deux ans de prison pour avoir poussé à la débauche cette jeune femme, un délit au Sénégal.
Dans le même temps, des poursuites pour diffamation et injures intentées par le ministre du Tourisme ont valu à Ousmane Sonko une condamnation à deux mois de prison avec sursis et 200 millions de francs CFA (300 000 euros) d’amende. Cette affaire a donné lieu à un deuxième procès en appel, au cours duquel il a été condamné, le 8 mai, à six mois de prison avec sursis.
Dénonçant comme ses partisans un complot politique, Ousmane Sonko a vu s’ouvrir lundi 31 juillet une troisième procédure judiciaire à son encontre, après avoir été arrêté trois jours plus tôt, comme l’annonçait sur Twitter l’un de ses avocats français, Juan Branco. Présent à Dakar dimanche, le conseil fait pourtant l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le Sénégal pour des « crimes et délits » en lien avec les troubles survenus dans le pays, début juin.
Quelques heures avant son arrestation, vendredi, Ousmane Sonko avait mentionné sur Twitter la présence de forces de sécurité devant son domicile et disait avoir « personnellement arraché le téléphone et demandé à la personne de le déverrouiller et d’effacer les images qu’elle a prises », ce que cette dernière a refusé de faire, selon lui.
Trois jours après son arrestation, lundi, huit infractions lui ont été reprochées par le tribunal de grande instance de Dakar, notamment « appel à l’insurrection » et « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ».
L’infraction de « diffusion de fausses nouvelles » s’est ajoutée aux autres chefs d’accusation. Finalement inculpé et placé en détention, l’opposant sénégalais a entrepris dimanche une grève de la faim après avoir appris la décision du gouvernement de dissoudre son parti politique, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).
Le bilan de la crise : en deux mois, les manifestations de soutien à Sonko ont fait au moins 19 morts
Cette dissolution a été décrétée lundi par le ministère de l’Intérieur car le Pastef a « fréquemment appelé [ses] partisans à des mouvements insurrectionnels », selon les termes de son communiqué.
Quelques heures plus tôt dans l’après-midi, des manifestations ont éclaté à Dakar et Ziguinchor, cette ville du sud du pays dont Ousmane Sonko est le maire. Selon l’AFP, des rues étaient barrées par des blocs de pierre disposés par les manifestants et des groupes de jeunes lançaient des pierres sur des policiers, qui tentaient de les disperser à coups de grenades lacrymogènes.
« De nombreuses pertes en vies humaines, de nombreux blessés ainsi que des actes de saccage et de pillage de biens publics et privés » ont eu lieu, a dénoncé le ministre de l’Intérieur. Un autre communiqué du ministère précise que « deux corps sans vie » ont été découverts « lors de manifestations à Ziguinchor ».
Le bilan des manifestations en soutien à Ousmane Sonko s’élève désormais à 25 morts, selon Amnesty International. L’ONG avait estimé que 23 personnes étaient mortes dans les troubles qui se sont déroulés dans le pays du 1er au 3 juin, après la condamnation du président du Pastef.
Le ministère de l’Intérieur sénégalais évoquait, dans son dernier communiqué, en date du 4 juin, le chiffre de 16 morts des suites des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. L’opposition, de son côté, déplore une trentaine de morts. Si les 12 victimes des précédentes émeutes de mars 2021 sont prises en compte, leur décompte, repris par Le Monde, fait état d’une quarantaine de morts depuis les premières violences dans le pays, il y a deux ans.
Amnesty International a également documenté plusieurs violations des droits de l’homme au Sénégal, ces dernières semaines. A plusieurs reprises, lundi y compris, les autorités sénégalaises ont coupé l’accès aux réseaux sociaux et à l’internet mobile. Des centaines d’arrestations arbitraires et des cas d’usages excessifs de la force sont également dénoncés par l’ONG.
La conséquence de la crise : une situation instable à six mois de l’élection présidentielle
La « stabilité est désormais compromise, car le peuple n’acceptera jamais cette ultime forfaiture », a affirmé le Pastef lundi, en réaction à sa dissolution. L’incarcération de son chef n’est justifiée que par « des motifs fallacieux », selon un communiqué publié sur la page Facebook du parti.
Les membres du bureau politique national du Pastef disent attendre la « notification » de la dissolution de leur parti, décrite comme « antidémocratique », pour l’attaquer « par voies légales ».
« La seule chose qui vaille, c’est la participation du président Ousmane Sonko (…) à la présidentielle de 2024 », écrivent encore ses soutiens. Pourtant, plusieurs juristes estiment que sa condamnation annoncée en juin le rend de facto inéligible, malgré sa popularité parmi la jeunesse sénégalaise, selon l’AFP.
A six mois de l’échéance, Ousmane Sonko, investi par son parti, espère toujours se présenter à l’élection, n’ayant pas encore épuisé tous les recours devant la Cour suprême du Sénégal. S’il crie au complot de la part du président en exercice, Macky Sall, ce dernier s’en défend. Après plus de onze ans à la tête du Sénégal, il a déclaré le 3 juillet qu’il ne se présenterait pas au prochain scrutin.
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