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Au Sénégal, le vote jeune bouscule le président Macky Sall

Jeune homme pudique et discret issu d’une famille religieuse de la confrérie layène, Seydina Issa Laye Thiaw n’était pas une tête d’affiche de la politique sé­négalaise pour les municipales du 23 janvier à Dakar. Mais son élection à la mai­ rie de Yoff, une commune de la capitale séné­galaise, dépasse sa personne.

Elle illustre le sérieux revers politique encaissé par le prési­dent Macky Sall (réélu en 2019) et son parti, BBY, initiales de Benno Bokk Yakaar («unis par l’espoir», en langue wolof), à cinq mois de législatives à haut risque, et deux ans avant la prochaine élection présidentielle.

Le chef de l’Etat peut toujours s’enorgueillir de la vivacité démocratique de son pays dans une région, l’Afrique de l’Ouest, où les coups d’Etat se multiplient. Contre toute attente, Seydina Issa Laye Thiaw, 34 ans, a donc mis au tapis un poids lourd du pouvoir, Abdou­laye Diouf Sarr. Le ministre de la santé, cofon­dateur du parti de Macky Sall, qui l’avait choisi pour briguer la mairie générale de Da­kar, a été doublement balayé par un électorat jeune qui a voté pour un jeune candidat.

Une bonne dizaine de ministres ou de hauts responsables d’entreprises ou institutions publiques adoubés par le président ont été emportés par la vague Yewwi Askan Wi (YAW, « libérer le peuple »), la principale coalition d’opposition façonnée par l’ancien maire de la capitale (2009 à 2018), Khalifa Sall et l’oppo­sant radical Ousmane Sonko.

Dakar, ville traditionnellement rebelle au pouvoir en place, mais aussi Thiès, Diourbel, Mbacké, Ziguinchor ont échappé aux appétits de BBY. Même Aliou Sall, frère cadet du chef de l’Etat et président de l’Association des maires du Sé­négal, a été battu à Guédiawaye, par un anima­teur vedette de télévision, Ahmed Aïdara.

Le BBY reste bien implanté dans les zones rurales, plus légitimistes, au nord, de Saint­ Louis à Matam, dans le Fouta Toro, sur la rive gauche du fleuve Sénégal… « La coalition subit là un sévère déclin», analyse Ababacar Fall.

Pour cet expert électoral, secrétaire général du Groupe de recherche et d’appui pour la démo­cratie participative et la bonne gouvernance, «le président sort très affaibli, car ce scrutin n’avait de local que le nom au regard de l’enga­gement d’opposants de premier plan et de l’im­plication directe du chef de l’Etat».

Alioune Tine, fondateur du groupe de réflexion sur la gouvernance et la démocratie AfrikaJom Cen­ter, parle, lui, de «débâcle jamais vue depuis l’indépendance pour un parti au pouvoir».

Sur le papier, Macky Sall pouvait toutefois nourrir quelques espoirs. Certes, comme d’autres dirigeants, il est soumis à l’érosion d’un pouvoir inauguré il y a dix ans. Ce fut, en 2012, une victoire euphorique réunissant de nombreux bataillons cimentés par leur volonté commune de ne pas voir Abdoulaye Wade – déjà vieillissant – occuper la prési­dence jusqu’à ce que son fils Karim lui suc­cède.

En 2019, une fois le « vieux » Wade rangé de la politique par usure, Macky Sall a été faci­lement réélu dès le premier tour de la prési­dentielle avec 58 % des voix. Deux ans plus tôt, BBY avait remporté 125 des 165 sièges de députés à l’Assemblée nationale.

Lors des mu­nicipales de janvier, la mobilisation électorale des jeunes, dans un pays où 60 % de la popu­lation est âgée de 25 ans ou moins, a changé la donne. «Grâce à eux et à la mobilisation de l’électorat féminin, le taux de participation [en­tre 55 % et 60 %] est supérieur aux précédentes consultations et au­ delà de toute attente pour un vote local », souligne Ababacar Fall.

Défiance à l’égard de la classe politique
La mauvaise nouvelle pour le pouvoir est que cette même jeunesse contestataire alimen­tait les rangs des émeutiers qui firent vaciller le régime, en mars 2021, à Dakar et en pro­vince. Elle exprimait alors violemment son angoisse face à un avenir hypothéqué par un fort taux de chômage, par une activité écono­mique ralentie par le Covid­19, et par sa dé­ fiance à l’égard d’une classe politique tradi­tionnelle perçue comme corrompue. Ce qui les a alors jetés dans les rues fut l’arrestation d’Ousmane Sonko, accusé de violences sexuelles présumées à l’encontre d’une em­ployée d’un salon de massage.

Dix mois plus tard, le 23 janvier, Ousmane Sonko, candidat antisystème, panafricaniste aux accents populistes, a facilement pris la mairie de Ziguinchor, « capitale » de la Casamance, région historiquement fron­deuse contre le pouvoir central. Cet ancien inspecteur des impôts est déjà dans les star­ting­ blocks pour la présidentielle de 2024.

Sa victoire est perçue par l’opposition comme l’échec d’une stratégie non déclarée du pouvoir : l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Et d’en citer des exemples : Karim Wade, le fils de l’ancien président, ins­ tallé au Qatar depuis sa sortie de prison en 2016; Barthélémy Dias, dont une vieille affaire a opportunément refait surface avant les municipales (sans entraver sa victoire dans la capitale); Khalifa Sall, très populaire maire de Dakar, qui est, jusqu’à nouvel ordre, inéligible depuis sa condamnation en 2018…

A l’inverse de l’effet recherché, cette straté­gie semble avoir scellé l’union d’une grande partie de l’opposition réunie dans YAW, et qui a renouvelé l’offre politique et la perception des électeurs. Cette coalition tiendra ­t­-elle jusqu’aux législatives prévues à l’été ou sera­ t­elle dynamitée par les ambitions présiden­tielles des deux principaux leaders, Khalifa Sall et Ousmane Sonko ?

Si YAW maintient sa dynamique, les députés de Macky Sall ont du souci à se faire. Le renouvellement de l’Assemblée donnera au président suffisamment d’éléments sur les risques qu’il y aurait à avancer sur la voie constitutionnellement minée d’une candidature à un troisième mandat. Mandat qu’une partie de la popula­tion a déjà promis de contester dans la rue.

Christophe Châtelot avec Le Monde Afrique

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