Politique

Violences de juin 2023 au Sénégal : vérité officielle, désinformation et manipulation

L’image a fait le tour des réseaux sociaux : un jeune garçon servant de « bouclier » à des policiers faisant face à des manifestants en colère, selon un internaute ayant partagé le 2 juin 2023 ce cliché montrant un enfant maintenu debout devant un cordon de gendarmes arborant casques et boucliers de protection. Des récits similaires ont été rapportés par d’autres internautes, tandis que l’organisation de défense des droits humains Amnesty International a cité le 8 juin 2023 l’« utilisation de boucliers humains » parmi les « cinq violations des droits humains » qu’elle a documentées au Sénégal au début du mois de juin 2023.

Bien qu’ayant suscité l’émoi, cette scène ne semble pas avoir attiré l’attention du directeur de la Sécurité publique de la police sénégalaise, le commissaire divisionnaire Ibrahima Diop, qui a rencontré la presse le lundi 5 juin 2023 à Dakar. Il s’est focalisé sur ceux qu’il a présentés comme des individus « armés et dangereux » en « possession de cocktails Molotov, d’armes blanches et d’armes à feu de gros calibre ».

Une version officielle vite contestée par des internautes

Cette déclaration de la police le 5 juin 2023 devant la presse, le blocage des principales plateformes de réseau social le 1er juin 2023 suivi de la coupure de l’internet mobile le 4 juin 2023, tout comme la présentation par le gouvernement aux diplomates basés à Dakar d’un « Livre blanc sur les évènements de juin 2023 » au Sénégal, répondent à une même logique : une tentative des autorités sénégalaises de contrôler le narratif face aux internautes qui documentaient les exactions commises par les forces de sécurité et de défense.

Un livre blanc est un document « visant à apporter des éléments d’information, censés être objectifs et factuels, en vue d’aider les lecteurs à prendre une décision ou à comprendre une problématique dans un domaine donné », est-il expliqué dans un dossier sur ce sujet dans l’édition Les livres blancs.

Face aux journalistes, les responsables de la police ont projeté plusieurs vidéos et photos censées prouver leurs affirmations sur la présence d’individus en possession d’armes à feu de gros calibre et d’armes blanches. Sur une des vidéos, on voit un homme, habillé d’un t-shirt rouge, tirer avec une arme présentée comme une arme de guerre par la police sénégalaise. Commentant la vidéo, le chef du bureau des relations publiques de la police sénégalaise, le commissaire Mouhamadou Guèye a déclaré : « La façon dont il (l’homme au t-shirt rouge, NDLR) tire montre que c’est un professionnel. Il maîtrise et il sait ce qu’il fait ». Selon le commissaire Guèye, l’individu en question « fait face aux forces de défense et de sécurité ».

Toutefois, une observation rapide des vidéos présentées par la police sème le doute sur la version présentée par ses responsables, comme l’ont souligné plusieurs internautes sur Twitter. Il apparaît clairement sur les images que les individus en question opéraient ouvertement aux côtés de la police et s’en prenaient aux manifestants.

Une version contredite par des analyses vidéo de vidéos

Une enquête publiée le 7 juin 2023 par Les Observateurs, une émission de la chaîne de télévision française France 24 sur la vérification des faits, est venue confirmer que les hommes que l’on voit dans les vidéos présentées par la police étaient bien aux côtés des forces de sécurité.

La police a également présenté une photo montrant des armes blanches, notamment des machettes, et des bouteilles ressemblant à des cocktails Molotov. Problème : la même photo avait été publiée le 23 mai 2023 sur Twitter par le ministre sénégalais des Transports aériens et du Développement des infrastructures aéroportuaires, Doudou Ka. Ce ministre est par ailleurs responsable politique du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR), à Ziguinchor, ville du sud du Sénégal. Doudou Ka avait brandi ces photos comme étant les preuves d’une attaque qui aurait été perpétrée contre son domicile à Ziguinchor.

S’il y a une chose à retenir sur la communication de la police et du gouvernement sénégalais, c’est la confirmation qu’une version officielle n’est pas forcément la vérité et que la « vérité officielle » peut tout aussi être manipulatrice.

Des questions sans réponses depuis mars 2021

Lors des émeutes de mars 2021 au Sénégal, des civils non identifiés avaient également participé à la répression des manifestants, sans que l’on sache s’ils étaient des éléments des forces de sécurité ou pas.

Sur des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, on peut voir certaines de ces personnes à bord de véhicules pickups entrant au siège de l’APR, dans le quartier de Mermoz à Dakar. D’autres ont été aperçus en train de circuler à bord d’un véhicule avec le logo du ministère de l’Éducation nationale.

En analysant plusieurs vidéos prises lors de ces manifestations et publiées sur YouTube et sur les réseaux sociaux, on constate que certains de ces individus agissaient aux côtés des forces de sécurité sans être inquiétés. Sur au moins une séquence vidéo, on peut les voir marchant à côté du directeur général de la police de l’époque, Ousmane Sy.

Toujours pas d’enquête sur les morts de mars 2021

Les émeutes de mars 2021 au Sénégal ont fait 14 morts, selon l’Organisation non gouvernementale Amnesty International, qui lancé une campagne pour réclamer que la lumière soit faite sur les circonstances de ces décès.

Des internautes ont également initié une campagne sur les réseaux sociaux dans laquelle la liste des 14 personnes tuées est régulièrement publiée pour réclamer l’ouverture d’une enquête pour situer les responsabilités.

Début avril 2021, le ministre sénégalais des Forces armées, Sidiki Kaba, avait annoncé qu’une commission « indépendante et impartiale » allait être mise sur pied « pour rétablir toute la vérité ».

Toutefois, depuis cette annonce, aucune autre information n’a été communiquée au sujet de ladite commission.

Samba Dialimpa Badji est un journaliste sénégalais. Il a été le rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa Check à Dakar de janvier 2019 à septembre 2022. Il est actuellement chercheur à l’Université métropolitaine d’Oslo (Oslo Metropolitan University), en Norvège, où ses travaux portent sur la désinformation.

Cet article a été rédigé par Africa Check., une organisation non partisane de fact-checking. Voir l’article original sur son site web.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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2 Commentaires

  1. Invité says:

    L’analyse d’un rebelle est-il plus crédible que l’analyse des officiels ????
    Gardez vos raisonnements colorés de rébellion avec vous.
    Un journaliste doit mener des enquêtes mais pas juger à l’aveuglette.

  2. INVITE says:

    Depuis la disparition de Hitler, Staline, Josef Mengélé, Pinochet, l’histoire de l’humanité n’a pas connu un aussi gros menteur que Ousmane Sonko et sa bande de mécréants du Pastef.
    Député du Sénégal parti sciemment encagoulé, de chez lui en plein couvre-feu et en pleine crise sanitaire de la covid 19 pour aller se prostituer, avec une fille indigente et mineure dans un lugubre salon de massage clandestin, et crier par la suite au complot, c’est une véritable lâcheté et une indignité innommable.
    Cette bêtise d’un élu de la République (Ousmane Sonko Député du Sénégal) et ses mensonges ont entraîné/causé la mort d’une trentaine d’innocents jeunes sénégalais. Cette bêtise qu’on essaie de nous faire avaler en complot en accusant tout le monde, n’est que de la seule responsabilité du seul et unique Ousmane Sonko, qui a politisé à outrance cette prostitution qui a mal tourné.
    Il n’y a pas et il ne peut y avoir, aucune autre raison de ces morts abjectes engendrées par la prostitution de Ousmane Sonko.
    Tout ce qu’on évoque surtout du côté de PASTEF, Ousmane Sonko et sa bande de voyous politiques du F24 n’est que balivernes,  mensonges, pédophilie, malhonnêteté intellectuelle et morale, mœurs légères, actes sexuels débridés comme en atteste le jugement rendu par la justice sénégalaise.
    Ousmane Sonko doit être condamné et le Pastef dissout pour la paix et la moralité politique au Sénégal.

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