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Présidentielle de 2024: 2 000 000 d’électeurs risquent d’être privés de vote

Présidentielle de 2024: 2 000 000 d’électeurs risquent d’être privés de vote

À terme, plus de 4 000 000 de Sénégalais. Saisir la cour de justice de la CEDEAO est un impératif

Une élection se gagne avec des électeurs, aussi, quel que soit le soutien populaire dont bénéficie un candidat, s’il n’est pas converti en électeurs confirmés ayant la capacité d’exprimer valablement leurs suffrages, il n’a aucune chance de la gagner. Dès lors, il est crucial pour tout candidat, de se mobiliser pour qu’au moins 80­% des 9 443 642 électeurs potentiels du Sénégal puissent voter à l’élection présidentielle de 2024. Il y aurait ainsi 7 554 913 suffrages exprimés qui seraient la pleine expression de la volonté politique du peuple Sénégalais et le fondement du pouvoir de l’autorité du président élu en 2024.

Toutefois, la stratégie électorale planifiée par le parti politique au pouvoir, de gagner l’élection présidentielle de 2024, avec une minorité d’électeurs, ne permet pas l’avènement d’un tél scénario qui aurait consacré une véritable participation populaire à une élection libre et honnête qui confirmerait que le Sénégal est une démocratie établie.

L’implémentation de cette stratégie électorale a démarré en juillet 2021 avec la modification du code électorale qui a permis, entre autres, d’organiser une révision des listes électorales sur une période très courte dont le résultat à été d’empêcher l’inscription de plus de 2 000 000 d’électeurs potentiels. Cette opération réussie, la prochaine à mettre en œuvre, afin de constituer un corps électoral, sur mesure est de priver de vote un nombre d’électeurs dont l’opinion politique est inconnue.

Suite à la révision exceptionnelle des listes électorales, le fichier électoral sera de 7 400 000 électeurs au maximum. Aussi, pour gagner au 1er tour avec 3 000 000 de suffrages, il faut un nombre de votants d’environ 5 500 000, par conséquent, il est nécessaire d’exclure du scrutin de 2024 environ 2 000 000 d’électeurs Sénégalais ayant le droit d’exercer leur droit de vote.

Pour y parvenir, plusieurs actions peuvent être implémentées­: mauvaise distribution et erreurs sur des cartes d’électeurs, délocalisation de bureaux de vote, la modification de la carte électorale et des listes électorales, etc. Le nombre de cartes d’électeurs à distribuer n’est pas important au regard du nombre de 2 000 000 d’électeurs à exclure du scrutin de 2024 et le nombre de bureaux de vote à délocaliser ne peut pas être fait à grande échelle. Par conséquent, l’action la plus efficace est la modification des listes électorales et la radiation d’électeurs à leur insu.

Pour rappel, à l’élection présidentielle de 2019, toutes les pratiques décrites ci-dessus, avaient été constatées (Rapport de l’Union Européenne sur la présidentielle de 2019, pages 49-52). Ainsi, la région de vote de certains électeurs a été changée et d’autres électeurs ont été radiés à leur insu, etc.

Même si les électeurs Sénégalais sont de plus en plus conscients de telles pratiques électorales discriminatoires, si on n’y prend pas garde, elles seront à nouveau redéployées au scrutin de 2024. Il est déjà à constater qu’avant le début de la révision des listes électorales le 06 avril et jusqu’à présent, le portail de consultation des listes électorales n’est toujours pas fonctionnel (Consulté le 30 juillet 2023 à 16h).

La consultation des listes électorales par les électeurs est une obligation à laquelle l’État du Sénégal doit se conformer en vertu de l’article 5 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO qui dispose­: «­Les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin­».

À sept (7) mois de l’élection présidentielle du 25 février 2024, tout électeur a un besoin crucial de consulter les listes électorales. D’abord, pour vérifier qu’il n’en n’a pas été radié, et ensuite pour s’assurer de la conformité des données électorales entre les listes électorales et sa carte d’électeur. Et enfin, en cas de résultats non conformes, tout électeur peur disposer d’un délai suffisant pour faire une demande d’une nouvelle carte d’identité CEDEAO pour pouvoir exercer son droit de vote.

En considérant ce qui précède, l’État du Sénégal en ne permettant pas aux électeurs de consulter les listes électorales par la mise sur internet d’un portail d’accès fonctionnel commet un manquement à ses obligations en vertu de­ l’article 5 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO.

Un tél manquement que l’État du Sénégal est en train de commettre ne garantit pas l’exercice du droit de vote à des millions d’électeurs Sénégalais car ils sont dans l’impossibilité de vérifier la conformité des données entre leurs cartes d’électeurs et les listes électorales. Ils risquent ainsi d’être privés de droit de vote à l’élection présidentielle de 2024.

Le droit de vote est garanti par l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 25 (b) du PIDCP, l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les articles 3.7, 4.2 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et enfin l’article 1 (d) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO.

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unis a, en outre, indiqué que «­Le droit de voter lors d’élections et de référendums devrait être prévu par la loi et ne peut faire l’objet que de restrictions raisonnables, telle la fixation d’un âge minimum pour l’exercice du droit de vote.­» (Observation générale n° 25, paragraphe 10)

Il échet ainsi de constater les restrictions déraisonnables de l’État du Sénégal au droit de vote, en ne permettant pas aux électeurs de consulter les listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2024, par la mise sur internet d’un portail d’accès fonctionnel. Une restriction qui porte les germes d’une violation des droits de l’homme par l’État du Sénégal, notamment le droit de vote.

Et, si aucun recours n’est initié contre cette probable violation des droits de l’homme par l’État du Sénégal en vertu des règles et normes internationales, les listes électorales pourraient n’être consultables qu’à quelques jours du scrutin de 2024. Donc, au moment où même si on constate des erreurs sur ses données électorales, le délai sera très court pour obtenir une nouvelle carte d’identité CEDEAO pour pouvoir voter.

En outre, ce manquement de l’État du Sénégal est une violation du droit d’accès à l’information garanti par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 19.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU précise d’une part «­Le paragraphe 2 de l’article 19 du PIDCP vise un droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics. Cette information est constituée par les dossiers détenus par un organisme public, quelles que soient la forme sous laquelle elle est stockée, la source et la date de production.­» (Observation générale n°34, paragraphe 18), et d’autre part «­Pour donner effet au droit d’accès à l’information, les États parties devraient entreprendre activement de mettre dans le domaine public toute information détenue par le gouvernement qui est d’intérêt général. Les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à cette information. Les autorités devraient motiver tout refus de donner accès à une information.­» (Observation générale n°34, paragraphe 19)

Au paragraphe 10 de l’observation générale n°16, relative à l’article 17 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme de l’ONU précise­: «­tout individu doit avoir le droit de déterminer, sous une forme intelligible, si des données personnelles le concernant et, dans l’affirmative, lesquelles, sont stockées dans des fichiers automatiques de données, et à quelles fins. Si ces fichiers contiennent des données personnelles incorrectes ou qui ont été recueillies ou traitées en violation des dispositions de la loi, chaque individu doit avoir le droit de les faire rectifier.­»

Les listes électorales, outils qui permettent d’exercer le droit de voter et de se porter candidat, est constitué de données personnelles détenues par un organisme public au Sénégal. Non seulement, l’État du Sénégal ne donne pas accès à cette information pour s’assurer de leur exactitude et dans le cas contraire faire des demandes de rectification, mais aucune explication n’est donnée sur ce refus de donner accès aux listes électorales.

Au regard des textes qui ont été ratifiés par l’État du Sénégal, il est à constater des violations des droits de l’homme, notamment, le droit de vote et le droit d’accès à l’information.

Dès lors, il est d’une urgente nécessité, à sept mois (7) de l’élection présidentielle de 2024, de saisir la Cour de justice de la CEDEAO d’une requête pour violation des droits de l’homme par l’État du Sénégal. La cour est compétente, en la matière, en vertu des dispositions de l’article 9 (4) du Protocole Additionnel (A/SP 1/01/05) de 2005 portant amendement du Protocole (A/P.1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté qui disposent ­:­ « ­La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’homme survenant dans tout État membre ­».

Même si la violation du droit de vote d’électeurs Sénégalais n’est pas encore effective car l’élection présidentielle de 2024 est dans sept (7) mois, la Cour de justice de la CEDEAO a toujours considéré que si en principe, elle ne devait sanctionner que des violations avérées des droits de l’homme et non des violations possibles, potentielles ou éventuelles, elle peut valablement se préoccuper de violations non encore réalisées, mais très imminentes.

Elle a ainsi décidé dans l’affaire CDP et autres contre l’État du Burkina Faso du 13 juillet 2015 que «­ si elle devait attendre que des dossiers de candidature soient éventuellement rejetés pour agir, si elle devait attendre l’épuisement des effets d’une transgression pour dire le droit, sa juridiction dans un contexte d’urgence n’aurait aucun sens, les victimes présumées de telles violations se retrouvent alors inexorablement lésées dans la compétition électorale ­».

Toujours au titre de sa compétence, la Cour déclare en outre ­: « ­la Cour doit également préciser que s’il est hors de question qu’elle assure la police des élections que les États membres organisent, elle peut être valablement saisie lorsqu’il apparaît que le processus électoral est entaché de violations de droits de l’homme, violations dont la sanction relève de sa compétence.­ » (Arrêt CDP et Autres (Groupe de partis politiques et de citoyens) contre L’État du Burkina Faso, par. 19)

L’exercice du droit de vote étant garanti par la consultation des listes électorales pour s’assurer de la conformité des données électorales entre la carte d’électeur et ces dernières, la non disponibilité d’un portail d’accès fonctionnel, peut entraîner l’exclusion d’électeurs Sénégalais de l’élection présidentielle de 2024. Par conséquent, la Cour de justice de la CEDEAO se déclarera compétente pour connaître de la requête. Ainsi, tout électeur Sénégalais, tout candidat potentiel, tout parti politique, dispose de la qualité d’agir.

Toutefois, il est à noter que s’agissant des manquements des États membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité, des Conventions et Protocoles, des Règlements, des décisions et des directives, la Cour de justice de la CEDEAO ne peut être saisie que par un État membre et non par une personne physique ou morale. (Article 10 (a) du Protocole Additionnel de 2005).

Aussi, la saisine de la Cour se fera pour violations des droits de l’homme: «­Peut saisir la cour, toute personne victime de violations des droits de l’homme, dès lors que la demande soumise à cet effet n’est ni anonyme, ni pendante devant une autre juridiction internationale compétente­». (Article 10 (d) du protocole additionnel de 2005).

Même si, le requérant Sénégalais ne saisit pas la Cour pour faire cesser une violation effective dont il serait victime, il peut toutefois se prévaloir de cette disposition, qui ouvre l’accès au prétoire de la Cour à «­toute personne victime de violations des droits de l’homme­» en raison du fait que la violation des droits de l’homme alléguée est imminente et inévitable.

Au demeurant, cette position de la Cour, relativement aux caractéristiques du préjudice allégué devant elle, a été clairement expliquée dans l’arrêt « Hissène Habré contre État du Sénégal », rendu le 18 novembre 2010. La Cour y rappelle qu’il se peut que dans des circonstances particulières, « le risque d’une violation future confère à un requérant la qualité de victime ». Il existe alors « des indices raisonnables et convaincants de probabilité de réalisation d’actions » susceptibles de violer les droits de la personne.

Tout requérant Sénégalais peut se prévaloir de ces jurisprudences de la Cour.

Enfin, le recours d’un parti politique ne peut pas être déclarée irrecevable car la restriction du droit de vote peut parfaitement léser un parti politique, structure dont la vocation consiste précisément à solliciter le suffrage des citoyens et à participer à la gestion des affaires publiques. Non seulement les textes qui régissent la Cour de justice de la CEDEAO n’excluent pas que celle-ci puisse être saisie par des personnes morales, à la condition qu’elles soient victimes, (article 10 (d) du Protocole de 2005), mais ce serait déraisonnable qu’elle refuserait à des partis politiques le droit de la saisir dès lors que des droits liés à leur vocation relative aux processus électoraux étaient violés.

Pour toutes ces raisons, la requête de tout électeur Sénégalais, de tout candidat potentiel, de tout parti politique sera déclarée recevable.

Au regard du contexte d’urgence, la requête sera soumise à la procédure accélérée sur le fondement de l’article 59 du règlement de procédure, pour solliciter de la Cour­:

De constater sur le fondement de la modification des listes électorales à l’insu des électeurs à l’élection présidentielle de 2019 et aux élections locales de 2022, l’existence d’indices concordantes de probabilité, de nature à porter atteinte aux Droits de L’Homme, notamment, le droit de vote d’électeurs Sénégalais à l’élection présidentielle du 25 février 2024­;

De dire que l’État du Sénégal en ne permettant pas aux électeurs de consulter les listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024, par la mise sur internet d’un portail d’accès fonctionnel, est en train de violer ses obligations en matière de droits de l’homme en vertu du droit international, notamment, le droit de vote­;

De dire que l’État du Sénégal en ne permettant pas aux électeurs de consulter les listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024, par la mise sur internet d’un portail d’accès fonctionnel, est en train de violer ses obligations en matière de droits de l’homme en vertu du droit international, notamment, le droit d’accès à l’information­;

D’ordonner, en conséquence, à l’État du Sénégal de lever tous les obstacles relatifs à l’exercice du droit de vote et du droit d’accès à l’information en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024.

En sus, de la saisine de la cour de justice de la CEDEAO, une campagne de communication d’alerte sur ces violations de droits de l’homme est à initier afin que l’État du Sénégal mette en ligne un portail d’accès fonctionnel aux listes électeurs. Toutefois, il est crucial de faire remarquer qu’un portail d’accès fonctionnel qui donne la confirmation de la conformité des données entre les listes électorales et les cartes d’électeurs, ne garantit nullement l’exercice du droit de vote le jour du scrutin.

Il est à noter que les listes électorales sont extraites d’une base de données modifiable à tout instant par ses administrateurs. En effet, ces derniers peuvent lire les données des électeurs, les modifier, inscrire de nouveaux électeurs en dehors des périodes de révisions des listes électorales et enfin radier des électeurs. Par conséquent, d’une base de données d’électeurs plusieurs listes électorales peuvent être produites, tout dépend des besoins et des objectifs. Ainsi, ceux qui disent qu’au Sénégal, il y a plusieurs fichier électoraux n’ont pas torts, techniquement c’est possible.

À cet effet, une base de données miroir peut être créée, à partir de laquelle sont faites aussi bien les modifications que l’impression des listes électorales qui seront dans les bureaux de vote (listes d’émargement). En conséquence, le jour du scrutin, tout électeur affecté par les modifications ne pourra pas voter s’il n’a pas une nouvelle carte d’électeur ou s »il est radié. A noter que, les nouveaux inscrits hors période de révision des listes électorales pourront voter.

À l’élection présidentielle de 2019, cette pratique consistant à créer deux (2) listes électorales dont l’une traficotée pour être déployée dans les bureaux de vote et l’autre officielle distribuée aux partis politiques avant le scrutin a fait l’objet d’une présentation par le Président Abdoulaye Wade. Et effectivement, des électeurs en ont été victimes au scrutin de 2019 de modification des listes électorales.

Depuis 2019, à chaque élections des Sénégalais sont ainsi privés de leur droit de vote par la modification des listes électorales à leur insu. Des sénégalais en ont été aussi victimes aux élections municipales du 23 janvier 2022, et se voient notifier qu’ils ne voteront pas. Une décision confirmée par le préfet sur saisine d’une présidente d’un bureau de vote.

Certains d’entre eux se connecte sur le fichier électoral en ligne à l’adresse elections.sec.gouv.sn pour se rendre compte que leur lieu de vote a été changé à leur insu. Toutefois, n’ayant pas une nouvelle carte d’électeur avec les données électorales actualisées, ils ne purent pas voter. ­À cet égard, dans un seul lieu de vote de Dakar, 800 électeurs étaient concernés. En considérant par exemple, la moitié des 800 victimes, soit 400, à l’échelle des 6.639 lieux de vote, 2 655 600 électeurs ont été exclus du scrutin de janvier 2022.

Aussi, que­ 3 439 559 électeurs Sénégalais n’aient pas voté sur un total des électeurs du territoire national 6.614.259, soit un taux d’abstention record de 52,01­%, s’explique en partie par ces modifications des listes électorales à l’insu des électeurs. Il est à relever que la CENA annonce un taux de participation de 53,49 % pour les élections municipales, sans donner le nombre d’électeurs ayant participé au scrutin et le total des électeurs du territoire national. (Page 41, rapport CENA)

Ainsi donc, l’État du Sénégal en perspective des élections municipales du 23 janvier 2022 avait modifié les listes électorales, sans informer les électeurs. En conséquence, des incohérences entre les données sur les cartes d’électeurs et les listes d’émargement des bureaux de vote. Ce constat est confirmé, à la page 41, du rapport de la CENA sur les élections départementales et municipales du 23 janvier 2022­: Des électeurs munis de leur carte mais ne figurant pas sur les listes d’émargement et qui n’ont pu voter ; des électeurs dont le nom figurant sur la carte est différent de celui porté sur les listes d’émargement. Toutefois, la CENA se garde bien d’évaluer les victimes, encore moins, les recenser, ce qui aurait certainement révélé l’ampleur de ce phénomène qui remettrait en cause l’honnêteté de ce scrutin.

Au regard de ce qui précède, tout électeur est dans le besoin de consulter en permanence les listes électorales en vue d’une élection. Et à chaque consultation, il doit faire une copie d’écran du résultat pour étayer une demande de production d’une nouvelle carte d’électeur en cas d’incohérence.

Il est à noter, par ailleurs, que priver de vote à environ 2 000 000 d’électeurs, sur un fichier électoral de 7 400 000 d’inscrits, soit un taux d’abstention de 27­%, ne saurait être un argument décisif susceptible de remettre en cause la crédibilité de l’élection présidentielle de 2024.

En effet, depuis la refonte partielle des listes électorales en 2016 (loi n°2016-27, voir page 71), dont l’objectif principal était de les rendre plus proche de la situation réelle des électeurs, en ajoutant dans le fichier général de nouveaux électeurs jusque-là jamais inscrits et de radier le « stock mort ­», des taux d’abstention et de non-participation encore très élevés sont constatés (la non-participation à un scrutin correspond au total des abstentionnistes et des non-inscrits sur les listes électorales).

À la première élection après cette refonte, les législatives de 2017 le taux d’abstention était de 46,33­%, à l’élection présidentielle de 2019, ­il était à 33,73­%. Aux élections municipales de 2022, 3 439 559 n’ont pas voté, soit un taux d’abstention record de 52,01­%. Enfin, aux­ législatives de 2022, 3 757 356 électeurs n’ont pas voté sur un fichier électoral de de 7 036 466 inscrits, soit un autre taux d’abstention record de 53,4­%.

Malgré ces taux d’abstention très élevés, toutes ces élections ont été jugées crédibles par les observateurs. Donc, un taux abstention de 27­% à la présidentielle de 2024, non seulement, il ne pourrait être invoqué pour entacher l’honnêteté du scrutin, mais serait plutôt un indicateur révélateur d’un scrutin démocratique.

Ainsi donc, au terme de l’implémentation de cette stratégie électorale, plus de 4 000 000 millions d’électeurs Sénégalais (Plus de 2 000 000 millions par une révision de très courte des listes électorales, et plus de 2 000 000 par des pratiques électorales discriminatoires, pour exclure du vote des électeurs dont l’opinion politique est inconnue) pourraient être privés d’exercer leur droit de vote, sur une population électorale de 9 443 642 personnes en 2022, soit un taux de non-participation de 42,75­%. Un tél chiffre ne pourrait pas, non plus, être brandi pour remettre en cause la crédibilité de l’élection présidentielle de 2024.

En effet, aux législatives de juillet 2017, sur une population électorale de 7 653 482 personnes en 2016, 4 315 988 n’ont pas participé, soit un taux de non-participation de 56,39%. À la présidentielle de février 2019, sur une population électorale de 8 152 809 personnes en 2018, 3 724 129 n’ont pas voté, soit un taux de non-participation de 45,67%. Enfin, les élections de 2022, municipales et législatives ont enregistré respectivement un taux de non-participation record 64,57­%* et de 63,40­%. Sur une population électorale de 8 960 157 personnes en 2021, il a été constaté que 5 785 754* Sénégalais n’ont pas participé aux municipales et 5 681 047 aux législatives.

Malgré ces taux de non-participation très élevés, révélateurs de manquements et dysfonctionnements dans le processus électoral, les observateurs électoraux ne se sont jamais fondés sur ces faits pour remettre en cause l’honnêteté d’un quelconque scrutin au Sénégal car ils ne s’interrogent jamais sur les déterminants d’une telle démobilisation électorale.

En effet, les observateurs électoraux ne font pas une étude approfondie de la période préélectorale (de l’élaboration de la loi électorale à l’impression des listes électorales) bien qu’elle soit dorénavant celle qui détermine l’issue d’un scrutin au Sénégal. Quand ils s’y intéressent par une mission, les questions majeures relatives à la garantie de l’exercice du droit de vote, la liberté de vote, le secret du scrutin, ne sont pas examinées. Ils ne vérifient pas si les listes électorales se rapprochent de la population en âge de voter, si des obstacles ont empêchés l’inscription de la population électorale, si les listes électorales ont été établies dans la transparence, etc. Ils observent essentiellement que la période électorale (du déploiement du matériel électoral à la proclamation des résultats).

Ainsi, tous les dysfonctionnements et manquements ne sont pas pris en compte dans l’évaluation de la crédibilité d’une élection au Sénégal par ces derniers. À l’évidence un taux de non-participation très élevé n’est pas un indicateur pertinent pour évaluer l’honnêteté d’une élection. L’Union Européenne est la seule exception notée car elle fait, non seulement, une étude complète de tout le processus électoral au Sénégal mais aussi un suivi de ses recommandations.

Pour toutes ces raisons, déconstruire la stratégie électorale en cours de mise en œuvre du parti politique au pouvoir doit débuter, dès à présent et sans délai. Cette stratégie électorale a fait ses preuves d’efficacité à la présidentielle de 2019. Si bien que, leur conviction en sa réussite leur permet de clamer déjà, à plus d’un an du scrutin qu’il la gagnerons.

A cet effet, maintenir le climat de tension politique jusqu’au jour du scrutin, alimenté par des cas de violences, serait faire d’une pierre trois coups. D’abord, il permet de détourner du processus électoral l’attention des acteurs politiques, des médias et de l’opinion publique. Ensuite, il est un un argument de poids pour justifier l’absence de 2 000 000 d’électeurs des bureaux de vote. Enfin, il est un prétexte pour instaurer un État d’exception et ainsi reporter l’élection présidentielle de 2024.

Ainsi donc, un contexte de violence est favorable à l’objectif de conservation du pouvoir par le régime en place au Sénégal. En effet, toute victoire annoncée du parti politique au pouvoir, quelque soit la démobilisation électorale, ou tout report, ne sera pas remise en cause par les observateurs électoraux au regard de ce contexte.

Enfin, cette stratégie électorale est guidée par un code électoral voté en 2021 avec des dispositions problématiques et à interprétation large. Une loi votée à l’assemblée nationale ou la parti au pouvoir avait une majorité absolue, en rejetant tous les amendements de l’opposition, rompant ainsi la tradition établie de consensus des acteurs politiques sur les reformes électorales.

Il est à rappeler que cette majorité parlementaire a été obtenue aux législatives de 2017 en obtenant 1 637 761 suffrages (Rapport CENA législatives 2017, page 226), sur un fichier électoral de 6 219 446 inscrits (Rapport CENA législatives 2017, page 224) mais surtout sur une population électorale de 7 653 482 personnes en 2016.

Ainsi donc, une minorité d’électeurs Sénégalais a permis d’avoir une majorité parlementaire absolue et pouvoir ainsi décider et orienter la démocratie d’une population de 15 256 346 d’habitants à partir de 2017 et ce pendant cinq ans.

Le parti au pouvoir dispose ainsi d’un cadre légal qui lui permet de décider suivant uniquement leurs intérêts politiques et électoraux, sans être des hors la loi. Il peut ainsi recourir en permanence à la justice, à l’administration, aux forces de défense et de sécurité pour imposer aux Sénégalais des décisions partisanes. Néanmoins, en vertu des règles et normes internationales que de violations des droits de l’homme relatif aux processus électoraux.

Dés lors, tout Sénégalais ou qu’il se trouve doit recourir aux juridictions internationales contre ces violations de droits de l’homme de l’État du Sénégal. À cet effet, ceux qui sont au Sénégal et en Afrique doivent saisir la Cour de justice de la CEDEAO. Il faut multiplier les recours contre l’État du Sénégal pour alerter dès à présent la communauté internationale sur ce processus électoral qui programme d’avance la victoire du parti au pouvoir.

À défaut, il y aura une nouvelle réussite de cette stratégie électorale à l’élection présidentielle de 2024. Elle confirmerait définitivement que le Sénégal est passé d’une démocratie au suffrage universel à une démocratie au suffrage censitaire­; d’une démocratie de dialogue à une démocratie de la confrontation.

Un effondrement de la démocratie dont les premières fissures ont commencé à apparaître dès la première élection organisée en 2014 par ce parti politique. D’une stratégie de victoire fondée sur la désorganisation matérielle de l’élection (locales 2014, référendum 2016, législatives 2017), il en est à une stratégie plus sophistiquée guidée par le « Big data », les technologies numériques et le travail de terrain (présidentielle 2019, municipales et législatives 2022).

Dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie, les violations des règles et normes internationales relatives aux droits de l’homme sur les processus électoraux (Non-discrimination, participation dans des conditions d’égalité, liberté d’opinion et d’expression, liberté de réunion pacifique, liberté d’association, liberté de circulation, suffrage universel, scrutin secret, etc) indispensables pour garantir l’intégrité du processus électoral, sont telles que, tout observateur électoral devrait se demander s’il est encore possible, à l’image du président Wade, d’organiser au Sénégal des élections libres et honnêtes. Selon le président Wade, la seule condition pour y parvenir est d’avoir un président qui soit un démocrate et ne soit pas tenté par la fraude.

Ce dont le Sénégal ne dispose pas actuellement. En effet, au lendemain de sa réélection en 2019, l’actuel président avait déclaré lors du dialogue national organisé en mai 2019 : «­ Je ne suis pas dans des manœuvres frauduleuses. Je n’ai plus de raisons de faire des manœuvres frauduleuses. C’est fini, il n’y a plus d’enjeux pour moi. Donc, le seul enjeu, c’est le Sénégal. ­». Cette déclaration publique en dit long sur toutes les pratiques qui violent les droits de l’homme mise en œuvre pour assurer sa réélection à l’élection présidentielle de 2019.
* Ce chiffre inclus les Sénégalais de la diaspora. L’absence de statistiques sur ceux ne nous permet pas de les soustraire de la population électorale de 2021 en vue des élections municipales.

Ndiaga Gueye
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Recherche en Marketing politique, Big data, Élections et Démocratie.
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal 

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