À quelques mois de la présidentielle, les stratèges du premier ministre Amadou Ba affinent leur plan sous la houlette du président Macky Sall. Un effort auquel sont associés responsables politiques, technocrates de l’administration et hauts gradés de l’armée.
Depuis quelques semaines, un discret aréopage de conseillers s’affaire autour du premier ministre sénégalais Amadou Ba. Désigné en septembre dernier comme candidat officiel de la majorité pour succéder au président Macky Sall, ce dernier s’est entouré de plusieurs cadres de l’administration avec l’aide desquels il compose une ambitieuse stratégie électorale.
Parmi eux, on trouve l’actuel directeur général de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, Aboubacar Sédikh Beye. Ancien patron du Port autonome de Dakar passé par l’ambassade du Sénégal à Washington, ce grand commis de l’État planche avec une poignée d’experts affiliés à l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, sur un découpage du pays en zones géographiques en fonction de leur affinité avec le pouvoir. Un travail minutieux auquel participe également le patron de l’Agence sénégalaise de la reforestation et de la Grande muraille verte, l’ex-conseiller à la présidence, Oumar Abdoulaye Ba.
L’option des parrainages « citoyens »
Après avoir scrupuleusement épluché les résultats des derniers scrutins du pays, cette task force électorale a identifié un important vivier de votants relativement favorables au camp de la majorité, mais sur lequel l’incertitude planant autour d’un éventuel troisième mandat de Macky Sall — option désormais écartée — aurait eu un effet de démobilisation lors des élections locales et législatives de 2022. C’est un réservoir de voix crucial, principalement situé dans les zones rurales du pays, qu’Amadou Ba entend rallier coûte que coûte.
Le premier ministre, qui pourrait rester au gouvernement jusqu’à la fin de l’année, mise notamment sur la phase de collecte des parrainages pour renforcer son ancrage sur le terrain.
Amadou Ba aurait pu se contenter des seules signatures des élus de son camp : la loi électorale sénégalaise prévoit que chaque candidat peut se présenter à la présidentielle dès lors qu’il obtient la signature de treize députés et la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar (BBY), compte plus de 80 parlementaires. Mais le premier ministre envisage une démarche plus ambitieuse.
Comme la plupart des candidats à la présidentielle, son choix pourrait se porter vers un parrainage « citoyen » qui requiert entre 40 000 et 60 000 signatures collectées au minimum dans sept des quatorze régions du pays.
L’obtention des précieux paraphes est orchestrée par Abdoulaye Diagne, jeune député du parti présidentiel récemment désigné coordonnateur des parrainages pour le compte du premier ministre. Alors que l’opposition moque son relatif manque d’expérience sur la scène politique, les ténors de l’APR soulignent sa prétendue capacité à se faire entendre auprès de la jeunesse du pays, mettant en avant son ancienne casquette de responsable de la section « élèves et étudiants » du parti.
L’ombre de Macky Sall
Le chef de l’État suit de près ces efforts de mobilisation, à tel point que certains membres de l’entourage du candidat Ba n’hésitent pas à qualifier le président sortant de directeur de campagne « officieux » du premier ministre. Les deux hommes, qui ont eu des relations complexes par le passé, s’entretiennent quasi quotidiennement au sujet de la prochaine course à la présidentielle.
Toujours à la tête de l’APR, Macky Sall en a réuni le secrétariat exécutif le 30 septembre afin de définir les grandes étapes de la campagne. Une réunion du conseil national du parti, qui comprend ses 200 plus hauts cadres, est également programmée pour le 29 octobre.
La mouvance présidentielle doit cependant se passer d’un de ses stratèges les plus expérimentés, Moubarack Lô. Longtemps consulté par Macky Sall en amont des grandes échéances électorales, ce spécialiste des sondages est lui-même candidat à la présidentielle, sous la bannière de son parti, le Mouvement pour un Sénégal émergent(MOUSEM).
Modèle économique rwandais, lutte contre le terrorisme…
Amadou Ba et ses partisans mûrissent parallèlement les grands axes de leur programme. Côté économie, le premier ministre s’inspire notamment du Rwanda de Paul Kagame, qui est parvenu à opérer la transition d’une logique de moyens vers une logique de résultats dans sa gestion des finances publiques.
Afin d’envoyer un signal positif aux institutions financières internationales, l’ancien directeur des impôts et domaines veut étendre cette mutation, déjà amorcée par certains acteurs de la Teranga comme l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (ADEPME), à l’ensemble de l’administration sénégalaise.
Le candidat de la majorité est également très attentif à la situation sécuritaire, alors que les autorités sénégalaises redoutent de plus en plus le risque d’incursions djihadistes à leur frontière avec le Mali depuis l’annonce en juillet du retrait de la Minusma. Afin d’approfondir sa connaissance du sujet, Amadou Ba consulte plusieurs figures de l’armée, parmi lesquelles l’ancien chef d’état-major général des armées (CEMGA) Mamadou Sow.
Membre du directoire du groupe de sûreté Teranga SA, ce dernier a notamment présidé la commission « paix et sécurité » du dialogue national lancé par Macky Sall en juin dernier. Amadou Ba bénéficie aussi des conseils de son aide de camp personnel, le lieutenant-colonel A. Thiao. Ancien des forces spéciales, cet officier quadragénaire dispose d’une solide expérience dans la lutte contre le terrorisme après avoir servi au Mali dans les rangs de la Minusma.
Pierre-Elie de Rohan Chabot
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