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À quoi joue Macky Sall ?

Le chef de l’État a justifié son report de l’élection présidentielle par une crise régnant entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Mais ses adversaires y voient un coup de force.

LA SITUATION est inédite. Après la décision du président sénégalais, Macky Sall, de reporter l’élection présidentielle, prévue le 25 février, le Parlement a voté dans une ambiance chaotique un projet de loi visant à reporter le scrutin au 15 décembre prochain. C’est une première au Sénégal, considéré comme un îlot de stabilité démocratique dans une région en proie aux coups d’États militaires.

Outre le report de la présidentielle, les députés ont aussi approuvé le maintien à son poste du chef de l’État jusqu’à l’installation de son successeur. Au pouvoir depuis 2012, Macky Sall avait annoncé en juillet 2023 qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, com- me le prévoit la Constitution. Il était censé quitter le pouvoir le 2 avril.

Le président sénégalais a justifié sa décision par la crise régnant, selon lui, entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, et a dit vouloir éviter « des troubles politiques graves ». Mais ses opposants le soupçonnent de vouloir simplement se maintenir au pouvoir. L’opposant Khalifa Sall a dénoncé « un coup d’État constitutionnel » qui dissimulerait le dessein d’assouvir un « rêve d’éternité ». Qu’en est-il vraiment ?

Gagner du temps
« C’est la question à 100 000 $ », ironise Souleymane Gassama, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pour lui, l’hypothèse la plus sérieuse est que Macky Sall a voulu éviter la défaite de son camp. « Son candidat pour l’élection, son Premier ministre, Amadou Ba, n’est pas très populaire. C’est quelqu’un d’assez terne, sans charisme, et sa campagne ne prend pas », commente-t-il.

Par ailleurs, « le scénario initial qu’il prévoyait, c’est-à- dire la validation de la candidature de Karim Wade, allié potentiel du régime, et l’invalidation de celle du candidat de son ennemi juré, Ousmane Sonko, ne s’est pas produit. Tout ça mis bout à bout a été le prétexte idéal pour essayer de gagner du temps », selon le chercheur.

Mais gagner du temps pour quoi ? L’une des hypothèses envisagées par les observateurs est que Macky Sall nie sa promesse et annonce finalement sa candidature. « C’est envisageable, insiste Souleymane Gassama. Il est dans une tentation dictatoriale de garder le pouvoir. Il a des soutiens politiques qui l’encouragent à se représenter mais aussi des référents moraux et religieux qui, par leur silence, lui signifient d’une certaine manière leur assentiment. »

La manne financière du pétrole
Il faut dire qu’il aurait plusieurs raisons à rester à la tête du pays. « Dans quelques mois, le Sénégal commence l’exploitation de ses premiers barils de pétrole, une manne financière », selon Souleymane Gassama. « Cette nouveauté aggrave les possibilités de gabegie et de corruption. Il a donc intérêt à s’accrocher au pouvoir, si ce n’est pour lui, au moins pour son camp », renchérit Michel Galy, politologue et spécialiste de l’Afrique sub- saharienne au Centre d’études sur les conflits. Pour des raisons plus personnelles, « il s’est juré de ne jamais laisser Sonko gagner, déterminé à ce que ça n’arrive pas », abonde Souleymane Gassama.

Quoi qu’il arrive, rien qu’en décidant du report de l’élection, « Macky Sall vient de marquer une rupture avec la tradition démocratique que le Sénégal a engagée depuis 1980 », observe Fatou Élise Ba, chercheuse à l’Iris. On est loin de 2012, où il faisait partie de ceux qui ont combattu, au nom de la Constitution, la candidature d’Abdoulaye Wade à un troisième mandat. « Entre les enfermements arbitraires et la répression systématique des manifestations, ça fait déjà quelques années qu’il est en rupture avec ses promesses républicaines », avance la chercheuse.

Les prochains mois vont être particulièrement scrutés et déterminants pour l’avenir politique du pays. « On n’est pas à l’abri de nouvelles surprises », prédit Fatou Élise Ba.

Camille Ducrocq avec Le Parisien

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