PolitiquePrésidentielle 2024

Élections reportées au Sénégal : une démocratie fortement ébranlée

Le report des élections présidentielles au Sénégal, qui devaient se tenir le 25 février, fissure encore un peu plus le socle de la démocratie sénégalaise. Il est vécu comme un séisme politique dans un des rares pays d’Afrique à n’avoir jamais connu de coup d’État. C’est la première fois depuis l’indépendance du pays en 1960 que les présidentielles sont reportées. Pour les opposants au président Macky Sall, c’est un coup d’État constitutionnel.

Les images de gendarmes en train d’envahir l’Assemblée nationale du Sénégal, lundi soir, pour sortir de force les députés de l’opposition, sont choquantes. L’évacuation forcée des élus de l’opposition a permis au camp présidentiel de faire adopter, à la quasi-unanimité, un projet de loi qui reporte le scrutin au 15 décembre 2024 et prolonge le mandat de Macky Sall jusqu’à l’entrée en fonction d’un nouveau président, en 2025.

Un projet de loi est-il légal s’il est adopté dans de telles circonstances? Ce coup de force soulève de sérieux doutes sur la qualité démocratique de la démarche annoncée samedi par Macky Sall.

C’est une tentative pour lui de rester au pouvoir, affirme Aziz Fall, politologue et chargé de cours à l’UQAM, joint à Dakar, où il est en année sabbatique. C’est une tentative pour le front libéral de rester au pouvoir. C’est cette coalition libérale qui a sinistré le pays, qui a vendu une bonne partie des ressources nationales au capital étranger. M. Fall participe au débat politique au Sénégal avec une plateforme qui propose les fondements d’une nouvelle république.

Ce n’est pas la première fois que la démocratie sénégalaise est mise à mal par un président qui tente de s’accrocher au pouvoir. Abdoulaye Wade l’avait fait en 2011 et Macky Sall a fait exactement ce qu’il avait reproché à son prédécesseur.

Il a manipulé la Constitution et son interprétation pour tenter de prolonger son règne. Il a finalement renoncé à un troisième mandat très contesté, en juillet dernier, après que des manifestations violemment réprimées ont fait plus de 20 morts à Dakar.

Principal opposant en prison
Manifestement, le président sortant travaille fort pour que son parti, son clan politique, reste au pouvoir. Son principal opposant, Ousmane Sonko, le candidat d’une jeunesse révoltée, est en prison, et son parti a été dissous. Mais cela n’a pas suffi à neutraliser les forces de l’opposition qui dominaient la campagne électorale jusqu’à samedi.

Le Conseil constitutionnel a causé la surprise en acceptant la candidature du bras droit de Sonko, Bassirou Diomaye Faye, qui est aussi emprisonné. Toutefois, même derrière les barreaux, la candidature de Faye est plus populaire que celle du dauphin du président Sall. Le premier ministre actuel, Amadou Ba, se dirigeait apparemment vers une défaite presque assurée.

C’est une atmosphère de fin de régime, dit Aziz Fall. C’est le régime néocolonial qui arrive à sa fin dans toute l’Afrique de l’Ouest. C’est l’État néocolonial français, issu des indépendances, qui en train de se désagréger au Sahel. Il s’est effondré au Mali, au Burkina et au Niger. Les bastions du franc CFA restent quand même la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les endroits où les investissements extérieurs sont importants. Ce sont eux qui ont joué la mondialisation à la française. Mais là, c’est une fin de régime qui est en train de s’annoncer pour toute la sous-région.

Exclusion
Samedi, le président a justifié le report de l’élection en invoquant des irrégularités dans le choix, par le Conseil constitutionnel, des candidats à l’élection présidentielle. Vingt candidatures ont été retenues, dont celle, controversée, de Bassirou Faye, un dirigeant du Pastef, le parti dissous d’Ousmane Sonko.

L’autre décision qui semble problématique pour le camp présidentiel, c’est le rejet de la candidature de Karim Wade. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et candidat du PDS, le Parti démocratique sénégalais, a été exclu en raison de sa double nationalité franco-sénégalaise. Cette exclusion aurait déstabilisé l’entourage du président, qui se cherche, semble-t-il, un nouveau porteur de ballon. Karim Wade aurait abandonné trop tardivement sa citoyenneté française, une renonciation signée le 16 janvier dernier par le tout nouveau premier ministre Gabriel Attal.

Le report de l’élection permet au camp présidentiel de gagner du temps, possiblement pour mousser une autre candidature, mais laquelle? Lundi soir, les députés du PDS, le parti de Karim Wade, ont voté avec les députés du parti présidentiel pour retarder les élections au 15 décembre 2024.

Il faut savoir que les anciens ennemis, Macky Sall et Karim Wade, se sont rapprochés ces derniers mois. Wade, surnommé le ministre du ciel et de la terre durant le deuxième mandat de son père, de 2007 à 2012, avait été condamné en 2015 à six ans de prison et à une amende de 308 millions de dollars pour enrichissement illégal. Libéré moins d’un an plus tard, il s’était exilé au Qatar pendant sept ans.

Proche de la France
Des proches de Macky Sall affirment au mensuel Jeune Afrique que le président comptait sur la candidature de Wade pour faire entrer son candidat, Amadou Ba, au deuxième tour. Mais il serait étonnant que les ténors de l’Alliance pour la république, le parti au pouvoir depuis 2012, acceptent que Karim Wade dirige une éventuelle coalition. L’impression de sa proximité avec la France d’Emmanuel Macron est un gros boulet à traîner. Les jeunes Sénégalais — 50 % de la population a moins de 20 ans — décrient sur tous les tons les abus d’une classe dirigeante encore proche de la France qui continue de favoriser les élites au détriment de la majorité.

C’est ce qui explique, raconte Aziz Fall, qui est un Sénégalais d’origine, le ressentiment d’une grande partie de la population, surtout de la jeunesse, dont les horizons de vie sont de plus en plus obscurs, des jeunes qui risquent leur vie dans le désert et les océans pour migrer. Il y a des archipels de prospérité qui n’en sont pas pour eux.

Ces jeunes — qui n’ont rien à perdre — disent depuis deux ans qu’ils sont prêts à mourir pour renverser cette classe politique, qu’ils jugent corrompue et qui dirige le pays depuis plus de 20 ans. Les partisans de l’opposition risquent fort de vouloir aussi profiter de ce délai pour descendre dans les rues afin de forcer le gouvernement à libérer de prison celui qui leur promet ce changement, Ousmane Sonko.

Depuis dimanche, 150 de ces opposants ont été interpellés par la police à Dakar, dont l’ancienne première ministre de Macky Sall, Aminata Touré.

Sophie LANGLOIS

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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