Mode Africaine

Noémie Lenoir enquête sur les paradoxes de la mode africaine

La mannequin s’est rendue au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Cameroun pour comprendre pourquoi le continent, malgré ses ressources et ses talents, produit si peu de vêtements.

L’Afrique aime la mode, la belle étoffe, l’harmonie des couleurs fauves ou solaires. L’Afrique inspire la mode. Et si à Paris ou Milan, les couturiers jouent la thématique plein pot, un de premiers à avoir mis en scène cette noce des continents en haute couture reste Jean-Paul Gaultier.

Le styliste aime se souvenir de l’image qui l’a inspiré, la première fois qu’il a décentré son regard sur le continent. Celle d’une femme croisée dans le quartier de Barbès, à Paris, un boubou sous son pardessus d’homme. Ce mariage inattendu lui a inspiré sa toute première collection entièrement construite sur le « mélange du dandy avec l’Afrique », comme il la résume lui-même. Ça, c’est sans doute un peu pour la belle histoire, mais c’est ce que Noémie Lenoir voulait s’entendre raconter avant de partir enquêter sur ce qui se joue côté fringues et fripes sur cette terre qui inspire l’hémisphère nord.

La mannequin d’origine réunionnaise, qui a défilé pour Victoria’s Secret, a fait les unes de Vogue, Marie Claire ou Elle et a joué des petits rôles au cinéma, est partie la tête remplie de questions. Le double documentaire (deux fois 52 minutes) qu’elle cosigne avec le réalisateur Antoine Rivière, Habille-nous Africa, en pose de nombreuses. Comment se fait-il que l’Afrique, qui inspire autant la mode européenne, produise aussi peu de vêtements ?

Pourquoi un continent qui cultive autant de coton le laisse-t-il quitter les frontières brut, sans cette transformation qui pourrait donner de l’emploi aux jeunes ? Qui sont les espoirs de demain, les jeunes créateurs d’Afrique de l’Ouest ? Où s’habille la jeunesse branchée qui émerge à Dakar, Abidjan ou Douala, inondant les réseaux de selfies dans des sapes imaginatives ?

Pour répondre à ce questionnement, Noémie Lenoir a choisi une trame narrative simple. La mannequin s’est mise en scène, du Sénégal au Cameroun en passant par la Côte d’Ivoire, en quête d’une moisson de fringues pour organiser un défilé dans le désert marocain. Un périple truffé d’entretiens où on la suit pas à pas à la rencontre de ceux qui font la mode de l’ouest du continent, artistes ou businessmen qui racontent leurs success stories et nous entraînent au fond de concept stores que le téléspectateur français s’attendrait plus à découvrir dans une rue parisienne que dans les faubourgs de Dakar.

« Un secteur de richesse énorme »
Installé à Abidjan, le styliste Aristide Loua, patron de la marque Kente Gentlemen, est un bel exemple de ces jeunes dynamiques qui font tomber les barrières. Lui a étudié la finance aux Etats-Unis, avant de créer sa marque et de développer des partenariats avec New York, Tokyo ou Istanbul pour la diffusion. Si économiquement, tout va bien pour lui, il reconnaît que son « vrai challenge est d’inciter à acheter ce qu’on produit ». Ce qui n’est pas encore le cas… Comme si le continent entier nourrissait un sentiment d’infériorité et préférait copier ce qui vient d’ailleurs que promouvoir sa production.

Que faudrait-il pour franchir le pas ? Le patron de Pathé’O a sa petite idée. Lui, le gamin burkinabé arrivé à 14 ans dans les rues d’Abidjan pour ne pas mourir de faim dans son pays, a vu son business décoller le jour où Nelson Mandela a commencé à porter sa marque. Alors aujourd’hui, il martèle sa solution miracle : « Si nos chefs d’Etat acceptaient d’être nos modèles, on y gagnerait », souffle-t-il, convaincu, à Noémie Lenoir. Pour lui, il y a une industrie de la mode à développer sur le continent. « Ce serait le meilleur endroit pour faire des accessoires, il y a des petites mains, il y a tout », ajoute-t-il, rappelant que « l’Afrique de demain appartient aux créateurs de richesse » et que la mode est justement « un secteur de richesse énorme ».

Richesse ? Industrie ? Noémie Lenoir a voulu comprendre comment il était possible qu’en produisant 400 000 tonnes de coton en Côte d’Ivoire et 200 000 au Cameroun, on ne trouve pas de gros site industriel où l’on carde, file et couse encore cette matière première qui, par-dessus le marché, est biologique. En fait, 95 % de la production part directement à l’export… Ce produit, qui nécessite pourtant de la main-d’œuvre, quitte le continent sans avoir été ni égrainé ni effilé… La preuve en images : l’enquêtrice erre dans une cité fantôme qui, dans les années 2000, abritait une quarantaine d’unités de traitement du coton et n’en a plus que dix aujourd’hui, dans une Côte d’Ivoire pourtant minée par le manque d’emplois. Le pire exemple étant les usines Gonfreville, à Bouaké, réduites à 100 employés quand elles en ont fait travailler plus de 4 000…

L’enfer étant pavé de bonnes intentions, Aïssa Dione, qui s’est lancée dans le tissu d’ameublement à Dakar, rappelle que l’attitude des pays du Nord empêche cette ré-émergence d’une filière textile : « On fait partie d’un système très compliqué. Dans les pays du Nord, on donne [les vêtements usagés] à Emmaüs. Tout est envoyé ici pour rien et la production textile s’écroule chez nous. » C’est d’autant plus grave à ses yeux que le secteur de la création, si on inclut tous les métiers, du tisserand à la couturière, pourrait fournir facilement 50 000 emplois, d’après ses estimations, ce qui « aiderait à freiner la migration des jeunes ».

« Se définir une nouvelle identité »
En fait, c’est à chaque rouage de la filière de la mode que ça coince. La créatrice camerounaise Anna Ngann Yonn, à l’origine de la marque Kreyann, a voulu promouvoir le haut de gamme et localiser en Afrique des défilés de mode. Pour cela, elle a mis sur pied le K-Walk, un défilé 100 % africain ; mais après quatre saisons elle s’est retrouvée étranglée financièrement, sans fonds et sans repreneur. C’était pourtant « un des fashion shows les plus reconnus du continent », regrette celle qui aurait tellement aimé que d’autres pérennisent ce rendez-vous continental et lui donnent une dimension supérieure.

Alain Ngann, photographe camerounais (de mode notamment), estime que ces histoires avortées résultent d’un manque de prise de conscience. « Les gens ne sont pas conscients de notre richesse. Beaucoup de choses ne sont plus transmises de génération en génération et c’est dommage », dit-il, persuadé que l’Afrique inspire bien plus qu’elle ne l’imagine le reste du monde et qu’elle doit se servir de cette force.

C’est aussi le parti pris de Loza Maléombho, 70 000 abonnés sur Instagram, avec sa marque de vêtements. Après six années à New York, elle est rentrée en Côte d’Ivoire pour « utiliser les matières locales », les faire vivre. Aujourd’hui, elle crée des vêtements à partir du tissu utilisé pour les sacs de cacao, cette sorte de toile de jute aux aspects bruts qui ne demande qu’à être travaillée, ou à partir de pagne tissé, une autre spécificité locale.

Si les entretiens de Noémie Lenoir montrent tout le chemin qu’il reste à parcourir, ils s’arrêtent aussi sur de vraies success stories, car tous les créateurs sont convaincus que la mode mondiale sera rapidement bien plus africaine qu’elle ne l’est aujourd’hui. A Dakar, si Aïssa Dione vend aujourd’hui à Christian Lacroix, Paco Rabanne, Louis Féraud ou Hermès, celle qui a grandi et étudié en France s’est étonnée, en rentrant, de la difficulté à meubler et décorer une maison au Sénégal. « A l’époque, 100 % du tissu d’ameublement était importé », s’offusque la jeune femme, dont l’entreprise fait désormais travailler 100 employés et ne cesse de grandir.

Trouver les créneaux porteurs, croire en ses capacités à inventer un avenir nourri par le passé. « Une des problématiques de l’Afrique de l’Ouest est le questionnement de l’ancien et du nouveau », résume Selly Raby Kane, styliste du collectif Muus Du Tux, à Dakar. Le continent doit à ses yeux « se définir une nouvelle identité non imitatrice de l’Occident, à la fois respectueuse de son héritage et pourtant résolument moderne ». Un défi qui résume bien ce que pourrait être l’Afrique de demain.

Habille-nous Africa, de Noémie Lenoir et Antoine Rivière, sur TV5 Monde Afrique le 8 avril à 21 heures (heure de Dakar) et sur TV5 Monde France le 10 avril à 21 heures (heure de Paris).

Maryline Baumard

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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