Dakar-Echo

L’APR réveille le traumatisme des troisièmes mandats

L’APR réveille le traumatisme des troisièmes mandats

Parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR) est devenue une formation totalitaire minée par les dénonciations et le mouchardage. Les principales cibles de cette entreprise de délation ne sont autres que ses propres leaders coupables de délits d’ambitions.

Les uns indexés comme ‘traitres‘, d’autres taxés de ‘complotistes’ guettant le fauteuil du président Macky Sall lui-même en posture ambigüe pour un troisième mandat à la tête du pays. Qu’est ce qui, véritablement, se cache derrière l’agitation d’un tel débat aux relents de virus sur la place publique dans un contexte socioéconomique qui frôle l’urgence ? Les analystes politiques nous expliquent les dessous de cette guéguerre fratricide.

Quel proche du Chef complote contre le projet secret du Chef ? Qui roule pour qui et dans quel sens ? Ces questions taraudent actuellement les esprits au sein du parti au pouvoir, l’APR. Les agents doubles voire triples pulluleraient dans cet univers d’espionnite. Mame Mbaye Niang, le ministre chef de cabinet du président Macky Sall, qualifie de « traitres » d’obscurs camarades de parti tapis dans les couloirs du pouvoir en bousculant le chef pour lui succéder.

Dans la foulée de cette traque aux « félons », Bara Ndiaye, un autre responsable de l’APR et directeur de la Maison de la presse ( !), dénonce carrément « des réseaux internes dans la logique de leur agenda personnel ». Au banc des accusés : Amadou Ba, ministre des Affaires étrangères, et Aminata Touré, présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Deux poids lourds du parti présidentiel, acteurs majeurs de la réélection du président Macky Sall.

« C’est une suite logique. Bara Ndiaye n’a fait qu’enfoncer le clou en citant l’identité des personnalités qu’il considère être les traitres dont parle Mame Mbaye Niang. Aujourd’hui, il faut admettre que le parti APR vit une profonde crise de positionnement pour la présidentielle à venir alors que le président Macky Sall lui-même n’a pas dit son dernier mot. C’est pourquoi, on assiste actuellement à ce qu’on peut qualifier de chasse aux sorciers autour du fauteuil présidentiel », constate l’analyste politique Assane Samb.

Selon lui, derrière ces déballages — Ndlr, en réalité, il n’y a pas eu de déballages mais plutôt des accusations gratuites — se dessinerait une volonté de freiner la dynamique enclenchée par des ténors comme Moustapha Diakhaté qui ont opté pour la refondation de l’APR. «Depuis que Moustapha Diakhaté a créé son courant au sein du parti présidentiel, l’entourage proche du président cherche à dénicher, par tous les moyens, des personnalités qui tireraient les ficelles en catimini. Malheureusement pour eux, il ne s’agit que de suspicions nées d’une situation de panique car jusqu’à présent, ils n’ont aucune preuve à brandir à l’encontre de ces leaders cités comme étant lancés dans une éventuelle course à la succession », précise M Samb qui entrevoit à travers ces sorties des manœuvres orchestrées au plus haut sommet de l’Etat.

BAKARY DOMINGO MANE : « EN REALITE, ILS PRECHENT POUR LEUR PROPRE CHAPELLE »
Ces dénonciations tous azimuts, est-ce que ce n’est pas une stratégie utilisée par le pouvoir pour pousser ceux qui ont des ambitions présidentielles à se manifester publiquement? Ceux qui incarnent ce combat sur fond d’accusations le font-ils pour le président ou pour se protéger eux-mêmes ? Sont-ils en mission commanditée par d’autres leaders encagoulés ? Ces trois questions, Bacary Domingo Mané, enseignant en communication politique, se les pose dans son analyse de la théorie du complot en vogue dans les rangs du parti au pouvoir. « Mais l’un dans l’autre, ceux qui incarnent ce combat en disant qu’il y a des traitres parmi eux, en réalité ils prêchent pour leur propre chapelle. Allez-y voir leur gestion des responsabilités qu’on leur a confiées pour comprendre le pourquoi de certains agissements.

Parce que, dans une guerre de positionnement, chacun essaie de tirer la couverture de son coté. Et le plus souvent, ce sont des gens qui ont des choses à se reprocher qui crient le plus fort. Donc, une occasion pour eux de se mettre dans une position de défenseurs du Président afin d’éviter des poursuites judiciaires sur les dossiers que les corps de contrôle ont mis sur la table », croit savoir le journaliste. Alors, de quel œil faut-il voir la posture adoptée par le responsable en chef, le président Macky Sall, sur les supputations actuelles autour de sa succession ?

Pour Bakary Domingo Mané, ce sont des suspicions nourries par le Président lui-même pour s’appuyer prochainement sur l’inévitable contradiction des juristes que va susciter l’article 27 de la Constitution. Sur ce, le spécialiste en communication politique évoque une nouvelle impasse constitutionnelle à l’orée de la prochaine échéance présidentielle.

« En sachant que les juristes ne vont jamais s’entendre entre eux sur les interprétations de cet article, il va attendre deux ans avant la présidentielle de 2024 et saisir le Conseil constitutionnel pour avis sur la question du troisième mandat. Naturellement, le jour où il saisira cette haute juridiction, elle lui dira : Monsieur le président, de la République, vous avez la possibilité de vous présenter pour une troisième fois ! », prédit avec assurance l’ancien président du CORED (Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie), Bakary Domingo Mané. Rappelant que l’appétit vient en mangeant, le confrère explique qu’aujourd’hui le président Macky Sall a pris goût au pouvoir. Les choses sont tellement faciles pour lui qu’il a presque toute l’opposition dans sa poche. Quant au peuple, il est devenu amorphe en acceptant tout ce qu’on lui soumet. Par conséquent, le Président est tenté de croire qu’il a un boulevard devant lui !

DR MOMAR THIAM : « ON NAGE VERS LE REVEIL DES VIEUX DEMONS »
Docteur en communication politique, Momar Thiam voit quelque part une stratégie de contre-feu dans le débat autour du troisième mandat et la théorie du complot agitée sur la place publique. « C’est une stratégie de communication bien huilée si on se fonde sur les sorties des pontes du régime comme Boun Abdallah Dionne, secrétaire général de la présidence, qui alimente le débat sur le troisième mandat.

Dans la même logique, d’autres personnalités proches du président sont venues y greffer la fameuse histoire des traitres et complotistes qui, selon eux, agissent pour leur agenda personnel. Et sur le plan médiatique, ce sont des sorties qui visent à parasiter le débat public », décrypte l’expert en sciences politiques. Pour étayer ses arguments, Dr Momar Thiam convoque les dernières interpellations du Fmi à propos de la lourdeur de la dette du Sénégal mais également la morosité actuelle dans plusieurs secteurs économiques du pays.

Ce débat, dit-il, peut être installé sciemment par le pouvoir mais surtout il peut aussi constituer pour lui un moyen de sonder l’opinion dans sa généralité par rapport à la question du troisième mandat. « Quand Mbaye Ndiaye, très proche du président de la République, arrive à soutenir que le président est à son premier mandat alors que ce dernier avait sifflé la fin d’un tel débat, cela n’est pas fortuit.

Et actuellement on a l’impression qu’on nage vers le réveil des vieux démons si on se rappelle de ce qui s’était passé avec la troisième candidature du président Wade en 2012 », rappelle M. Thiam avant de se désoler du fait que ce tollé médiatique risque de compromettre l’action gouvernementale. « Si le pouvoir perdure à lancer des sondes pour voir quelle sera la réaction de l’opinion publique sur des projets de politique – politicienne, non seulement il va perdre du temps dans les chamailleries mais également cela va être un obstacle à toute la communication qu’il doit faire sur ses réalisations et sur les besoins des Sénégalais » avertit l’ancien conseiller en communication du président Abdoulaye Wade.

Falilou MBALLO 

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