Mali

Karim Keïta et Moussa Diawara, un duo d’initiés au cœur du coup d’Etat malien du 18 août

Principaux collaborateurs d’Ibrahim Boubacar Keïta, l’ex-directeur du renseignement Moussa Diawara et le député et fils aîné du chef de l’Etat, Karim Keïta, ont pourtant pu s’exiler en toute discrétion. Nos confrères d’Africa Intelligence retrace leur itinéraire, avant puis après la chute du président, et révèle le rôle pour le moins ambigu qu’ils ont joué dans les semaines qui ont précédé le coup d’Etat.

« Diawara ? Doesn’t ring a bell. » Officiellement, personne à Banjul ne connaît ni n’a vu Moussa Diawara, surtout pas les fonctionnaires du State Intelligence Services (SIS), le puissant service de renseignement local.

C’est pourtant grâce à sa vieille complicité avec Ousman Sowe, chef du SIS depuis 2017, que Moussa Diawara, qui fut successivement l’aide de camp d’Ibrahim Boubacar Keïta lorsque ce dernier dirigeait l’Assemblée nationale (2002-2007), puis chef de la Direction générale de la sécurité d’Etat (SE) de 2013 à 2020, a pu venir se réfugier dans la capitale gambienne après le coup d’Etat du 18 août. Depuis, il y vit incognito, grâce à ses liens avec le service de sécurité local et la considérable fortune qu’il a accumulée durant ses sept années à la tête de la SE.

A Bamako, sa vaste villa, site d’une fête extravagante pour ses 50 ans en mars 2019, a été filmée pour dénoncer les excès du régime.

La résidence avec piscine louée par Karim Keïta a été, pour sa part, envahie par les manifestants dès le 18 août. Mais le propriétaire des lieux a, lui aussi, disparu de Bamako. Il est réapparu quelques jours après le putsch à Abidjan, où il avait prudemment exfiltré son épouse et ses enfants dès le mois de juillet.

Un déménagement discrètement organisé à la faveur du déplacement d’une délégation de la présidence malienne aux obsèques de l’ancien premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly et supervisé par son frère cadet Bouba Keïta. Depuis, Karim Keïta coule des jours paisibles sur les bords de la lagune Ebrié, où il fréquente les restaurants qui bordent les plages de la capitale économique ivoirienne.

Cluedo à Bamako
Comment les deux plus proches collaborateurs d’Ibrahim Boubacar Keïta ont-ils pu échapper à toute mise en cause après la chute du président ? Poser cette question revient à revisiter l’arrivée au pouvoir des officiers du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), et largement réécrire la version officielle du coup d’Etat.

Car il n’y a pas eu une tentative de putsch à Bamako cet été mais au moins trois, qui se sont succédé entre les mois d’avril et de juillet. La dernière tentative pour renverser le gouvernement est intervenue début juillet dans un contexte très particulier. Fin juin, le président malien, qui souffre depuis plusieurs semaines de ce qu’il qualifie d’une « rage de dents », s’est envolé pour Abou Dhabi afin de subir des examens approfondis de la mâchoire. Les tests se transforment en épreuves : les médecins diagnostiquent une affliction nécessitant un traitement lourd.

C’est donc un IBK particulièrement affaibli qui revient à Bamako. Ses plus proches collaborateurs remarquent immédiatement sa pâleur et, surtout, les plis d’inquiétude qui lui barrent le visage, vite cachés sous un masque et un bouc de barbe grisonnant. Dès le début du mois de juillet, plusieurs de ses proches sont mis dans la confidence, à commencer par le chef d’état-major particulier, le général Oumar Dao, cousin de Moussa Diawara. La nouvelle provoque une vague de trouble au sein du premier cercle présidentiel, déjà rongé par la paranoïa occasionnée par les manifestations du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) qui paralysent Bamako depuis deux mois.

Une situation explosive que des vidéos de Karim Keïta faisant la fête sur une plage des Baléares et consommant de l’alcool en compagnie de jeunes femmes en bikini viennent électriser. La publication des images met le fils du président, ainsi que Moussa Diawara, en difficulté : tous deux forment un binôme inséparable, le chef de la SE couvrant systématiquement les activités de l’autre lorsque le président s’enquiert des voyages ou des finances de son fils aîné.

Les deux hommes gèrent également de concert plusieurs dossiers sécuritaires sensibles : mi-juin, le premier ministre Boubou Cissé, qui supervisait jusqu’alors les négociations avec les ravisseurs du chef de l’opposition Soumaila Cissé et de la Française Sophie Pétronin, se voit retirer le dossier. Il échoit à Moussa Diawara, qui y associe immédiatement Karim Keïta (le fils aîné du chef de l’Etat préside la commission de défense du Parlement malien).

C’est dans ce contexte pour le moins chahuté que Moussa Diawara « déjoue » un coup d’Etat dont la réalité est encore difficile à établir. Attribué à l’ancien premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, dit SBM, ennemi personnel de Diawara et ex-chef de la SE lui-même, ce putsch manqué permet au maître-espion d’IBK de consolider son pouvoir et de faire pièce d’un rival, alternativement dénoncé comme le pion d’Alger ou de Paris.

Depuis mi-avril, Soumeylou Boubèye Maïga, dont le bureau bamakois s’ornait d’un portrait où il pose aux côtés d’Edouard Philippe, était suivi de très près par Diawara. Dès le mois d’avril, l’ancien premier ministre, très au fait des pratiques de la SE, se plaignait d’être sur écoute et avait coupé plusieurs de ses téléphones pour ne plus communiquer que sur messagerie cryptée.

Le putsch, réel ou supposé, des affidés de SBM, et son démantèlement par les hommes de la SE, ont entraîné un remaniement sécuritaire d’envergure, notamment au sein de la Garde présidentielle, où Diawara place des hommes qu’il croit lui être fidèles. Dans le même temps, plusieurs officiers sont envoyés aux arrêts. La manœuvre ne passe pas inaperçue en Europe : dès la mi-juillet, les services de renseignement occidentaux, et notamment la DGSE, multiplient les notes sur les risques de coup d’Etat au Mali. Mais Diawara et Karim Keïta regardent déjà ailleurs.

Les enquêteurs de l’ONU s’en mêlent
Début juillet, les deux hommes sont informés que le groupe d’experts de l’ONU pour le Mali planche sur la mise en place d’un régime de sanctions contre plusieurs sécurocrates maliens.

Diawara figure en haut de la liste : les enquêteurs l’accusent de mener des actions « d’obstruction » à la bonne application de l’accord d’Alger signé en 2015 avec plusieurs groupes armés actifs au nord du pays, mais aussi d’avoir tenté de faire pression sur Niamey pour libérer Mohamed Ben Ahmed Mahri, un puissant trafiquant de cannabis arrêté en 2018 par le Niger.

Le 8 juillet, Africa Intelligence révèle que le panel d’experts de l’ONU pour le Mali a remis au secrétariat général des Nations unies un rapport qui recommande des sanctions contre des responsables de l’armée et du renseignement malien, resserrant encore un peu plus l’étau autour de Diawara. Quant à Karim Keïta, qui s’est fait un sang d’encre tout au long du mois de juin de peur de figurer lui aussi sur la liste des personnalités sanctionnées, il est assuré mi-juillet qu’il n’est pas directement visé par les enquêteurs onusiens.

Désertion anticipée
Mi-juillet, Moussa Diawara et Karim Keïta ne peuvent que constater que l’ambiance dans le premier cercle présidentiel a viré à la fin de règne : la santé du président ne cesse de se dégrader tandis que, hors des murs de la villa présidentielle de Sébénikoro, les manifestations du M5 prennent de plus en plus d’ampleur. Les deux hommes commencent alors à préparer leur sortie.

C’est là que Karim Keïta transfère sa famille ainsi qu’une partie de ses biens à Abidjan. Le fils aîné d’IBK entretient depuis des années une proximité avec celui qui était, à l’époque, ministre de la défense mais est devenu quelques jours plus tard premier ministre : Hamed Bakayoko. De son côté, Moussa Diawara sécurise ses avoirs à l’étranger et évacue lui aussi sa famille du Mali mi- juillet, juste avant la publication du rapport des experts onusien.

Concurrence putschiste
Mais la prudente mise en retrait des deux hommes ne passe pas inaperçue dans le premier cercle d’IBK, ce d’autant plus que la présidence, qui a jusque-là réussi à ne pas ébruiter l’état de santé du chef d’Etat, a de plus en plus de mal à garder l’information secrète : les uns après les autres, les hauts gradés de l’armée mais aussi de plus jeunes officiers apprennent qu’ils défendent un président très affaibli.

La nouvelle suscite une véritable effervescence et plusieurs groupes distincts commencent à envisager une prise de pouvoir. A la tête du très stratégique Bataillon autonome des forces spéciales depuis 2018, le colonel Assimi Goita est revenu à Bamako le 12 août de la région de Mopti, où il était jusque-là déployé. Ayant vu son périmètre étendu par le remaniement sécuritaire intervenu début juillet à la faveur de la tentative avortée de coup d’Etat, il est aux premières loges pour observer la fièvre putschiste qui se développe. Informé de tentatives en préparation, Goita partage toutes les informations avec les colonels Malick Diaw, Ismaël Wagué et Sadio Camara.

Ce dernier, ex-commandant du camp de Kati – aujourd’hui ministre de la défense du gouvernement de transition – est revenu début août d’un stage en Russie. Finalement, soucieux de ne pas être doublés par des initiatives qu’ils jugent aventureuses, les quatre hommes passeront eux-mêmes à l’action le matin du 18 août.

La trahison impossible
S’il est difficile d’affirmer que Karim Keïta et Moussa Diawara ont été informés du projet d’Assimi Goita et de ses hommes, plusieurs coïncidences montrent qu’ils ont au minimum été mis au courant de certaines des dispositions du putsch. C’est particulièrement vrai pour Moussa Diawara : la plupart des hommes que le maître-espion a placés dans l’entourage d’IBK à la faveur de la purge sécuritaire menée par ses services début juillet ont participé au coup d’Etat. Certains y ont même joué un rôle de premier plan.

Surtout, le chef de la SE a eu un rôle-clé dans un épisode du putsch : dans la matinée du 18 août, alors que les premiers bruits sur une mutinerie au camp militaire de Kati commencent à circuler à Bamako, Moussa Diawara convoque au ministère de la défense une réunion d’urgence, comme l’a raconté Le Monde Afrique dans une enquête publiée le 2 octobre. Les principaux sécurocrates du régime, à l’instar du ministre de la défense Ibrahim Dahirou Dembélé et de plusieurs hauts gradés maliens, répondent à la convocation.

Mais une fois sur place, le chef de la SE n’est pas là pour les accueillir. Et quelques minutes après leur arrivée, les ministres et généraux sont arrêtés et amenés au camp militaire de Kati par le Bataillon autonome des forces spéciales du colonel Assimi Goita. Au sein du clan IBK, l’épisode alimente la rancœur jusqu’à aujourd’hui : Diawara a- t-il trahi ?

Côté putschistes, et alors que le sujet alimente les interrogations régulières des visiteurs, on récuse toute complicité avec Diawara, par crainte d’être soupçonné de collusion avec le régime renversé. Selon la version officielle, une petite équipe sous les ordres du colonel Malick Diaw et du commandant Fousseyni Ba a ratissé Bamako de long en large pendant au moins deux jours à la recherche de Diawara, qui constituait une cible prioritaire pour la junte. C’est la même équipe qui a fouillé le 22 août la villa de Karim Keïta et interrogé à plusieurs reprises son garde du corps, Lassine Sanogo.

Intervention secrète d’Alassane Ouattara
Le jour du coup d’Etat, pourtant, les lignes de démarcation entre ancien et nouveau pouvoirs étaient beaucoup plus floues. A la fin de l’après-midi du 18 août, quand les putschistes, ayant sécurisé les principaux centres du pouvoir, pénètrent dans la villa d’IBK à Sébénikoro, ils trouvent le président malien en pleine conversation téléphonique avec Alassane Ouattara, en compagnie du premier ministre Boubou Cissé et de ses deux fils, Karim et Bouba. Le chef de l’Etat et Boubou Cissé sont emmenés en Land Cruiser vers le camp militaire de Kati. Karim Keïta, lui, reste sur place sans être à aucun moment inquiété.

Une fois les militaires partis, le fils aîné du président prend même le temps d’appeler le chef de l’Etat ivoirien pour l’avertir que son père vient d’être arrêté par les putschistes, une nouvelle qui suscite la fureur du maître d’Abidjan. Alassane Ouattara invite Karim Keïta à se réfugier au plus vite dans l’enceinte de l’ambassade de Côte d’Ivoire au Mali, située dans le quartier de Niaréla.

Puis, inquiet que la présence du fils d’IBK dans la chancellerie ivoirienne n’expose les diplomates à la fureur des manifestants, il fait volte-face et suggère finalement à Karim Keïta de se mettre sous la protection des soldats onusiens de la Minusma. Juste après avoir raccroché avec Karim Keïta, Alassane Ouattara appelle son homologue togolais, Faure Gnassingbé, pour lui demander que ses casques bleus présents au Mali prennent le fils d’IBK sous leur aile. Mais Lomé ne peut répondre à la demande : les 800 militaires togolais de la Minusma sont alors déployés dans la région de Mopti, à plus de 600 kilomètres de Bamako.

Malgré l’impuissance du président ivoirien à garantir sa protection, le fils aîné du dirigeant malien parvient tout de même, avec l’aide de plusieurs complices, à gagner l’ambassade de Côte d’Ivoire au Mali, qu’il quitte quelques heures plus tard, dans la nuit du 18 au 19 août par la route, sans encombre, alors que la voie qui relie la capitale malienne à la frontière ivoirienne est longue de plusieurs centaines de kilomètres. Une fois à Abidjan, les autorités ivoiriennes demandent en revanche à Karim Keïta de se faire discret, une promesse que le fils aîné d’IBK n’honore que de loin.

Depuis, alors que les putschistes comme les nouvelles autorités ont fait de la lutte anticorruption leur principal credo et que Karim Keïta a été l’un des principaux catalyseurs de la gronde populaire, le gouvernement malien n’a à ce jour jamais sollicité auprès d’Abidjan son rapatriement à Bamako.

Avec Africa Intelligence

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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