EcologieEnvironnement

80 millions de palétuviers plantés au Sénégal : quand l’ingénierie sociale et l’innovation permettent de générer des impacts positifs à grande échelle

Le projet Livelihoods-Sénégal figure comme le plus grand programme de restauration de mangroves au monde. Il est le fruit de la collaboration entre des milliers de villageois, Océanium, une ONG sénégalaise qui milite pour la préservation des mangroves, et le Fonds Carbone Livelihoods, un fonds d’investissement à impact porté par des entreprises privées engagées dans la compensation volontaire de leurs émissions de CO2. Retour sur les origines de ce projet hors-norme et sur les innovations qu’il a permis de faire éclore.

Quand planter un palétuvier devient simple et reproductible à grande échelle
La mangrove est une forêt qui pousse entre terre et mer dans des zones tropicales et subtropicales. Elle est composée principalement de palétuviers, ces arbres aux racines aériennes, immergées à marée haute, qui servent de refuge aux poissons, crevettes, huîtres et autres oiseaux et animaux. Par conséquent, elle est l’une des sources d’alimentation principales pour les communautés qui vivent à proximité, en plus de leur fournir du bois de chauffe et du bois d’œuvre. Elle sert aussi de filtre entre l’eau de mer et l’eau douce, protégeant ainsi les terres arables. De plus, la mangrove est un très efficace puits de carbone, capable de séquestrer entre 3 et 4 fois plus de carbone que les forêts tropicales[1].

Au Sénégal, les estuaires des fleuves Casamance et Sine Saloum constituent l’une des plus grandes réserves de mangroves d’Afrique. Depuis les années 70, la région avait perdu plus de 45 000 ha de palétuviers à cause de sécheresses successives, de pratiques agricoles peu durables, de la coupe du bois pour la cuisson et la construction ainsi que les infrastructures routières bloquant le flux entre eau douce et eau salée. D’année en année, les habitants de villages côtiers de Casamance et du Siné Saloum commencèrent à percevoir les conséquences de la disparition des mangroves avec notamment moins de poissons, de crevettes et d’huîtres.

Pour faire face à cette situation, l’ONG Sénégalaise Océanium, présidée par Haïdar El Ali, militant écologiste et ancien ministre de l’environnement sénégalais, et Jean Goepp, alors directeur des programmes de l’ONG, met en avant un concept simple mais d’une efficacité indiscutable : collecter des propagules, ces longues graines qui permettent aux palétuviers de se reproduire, dans des mangroves en bonne santé, et les planter là où la mangrove avait disparu et là où le sol (dit localement le poto-poto) restait quelque peu fertile. Le plus grand défi réside dans la mobilisation des villageois.

Océanium part alors en campagne à travers des centaines de villages à bord d’un camion arborant le slogan « Plante ton arbre ». Océanium sensibilise les habitants sur l’importance des mangroves à travers des ciné-débats et des groupes de discussion. L’ONG les forme à la plantation des mangroves : identifier les propagules en bonne santé à collecter, reconnaître les zones à reboiser, savoir composer avec la marée pour planter… En 2006, à force de conviction et de sensibilisation, Haïdar et son équipe ont pu replanter 65 000 palétuviers avec l’appui des habitants dans la région de Tobor.

En 2009, le partenariat entre Océanium et le Fonds Carbone Livelihoods[2] a permis à l’ONG de donner une plus grande envergure à cette action. Grâce à l’investissement du Fonds Carbone Livelihoods, l’ONG a pu financer à grande échelle des équipes de terrain, des camions, des pirogues, du matériel informatique et la formation des villageois. En 3 ans, elle a réussi à mobiliser plus de 100 000 volontaires de 450 villages différents pour planter 80 millions de palétuviers.

En plus des bénéfices sociaux générés par ces nouvelles mangroves, les 8 000 ha de mangroves restaurées grâce à ce projet permettront de séquestrer près de 600 000 tonnes de CO2 sur 20 ans. Le projet sera en effet suivi jusqu’en 2029 grâce à l’engagement à long-terme des entreprises qui ont investi dans le Fonds Carbone Livelihoods.

L’innovation au cœur du plus grand programme de restauration de mangroves au monde
L’envergure du projet Livelihoods-Sénégal et l’engagement à long-terme des investisseurs du Fonds Carbone Livelihoods ont permis d’en faire un laboratoire pour lancer des innovations qui profitent à tous les projets de restauration de mangroves à travers le monde.

Ainsi, l’ONG Océanium, Le Fonds Carbone Livelihoods et l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN), ont développé une nouvelle méthodologie permettant de mesurer à grande échelle la séquestration de CO2 par les mangroves. Cette méthodologie dérivée des méthodologies forestières a été validée par les Nations Unies, et a permis aux projets de restauration de mangroves de pouvoir bénéficier de crédits carbone. Elle a de ce fait permis de mobiliser des investissements issus de la finance carbone pour développer des projets de restauration de mangroves partout dans le monde. Cette même méthodologie a été utilisée par Le Fonds Carbone Livelihoods pour développer d’autres projets en Inde et en Indonésie pour améliorer les conditions de vie de populations vulnérables et pour combattre le changement climatique.

En 2011, le projet Livelihoods-Sénégal englobait 3500 parcelles réparties sur un territoire de 40 000 km2. Cartographier et identifier précisément toutes ces parcelles représentait un véritable défi. Pour cela, le Fonds Carbone Livelihoods a collaboré avec le cabinet de conseil Agresta et l’Agence Spatiale Européenne pour élaborer une cartographie des parcelles par satellite, avec une quantification précise des parcelles ainsi qu’une mesure de la densité de plantation par GPS. Cette méthode est aujourd’hui déployée sur tous les projets du Fonds Carbone Livelihoods grâce à l’utilisation d’outils de cartographie plus accessibles.

Plus récemment, du fait de la bonne croissance des plantations, il était devenu impossible de pénétrer dans les plantations sans endommager les arbres. De ce fait, les techniques forestières « classiques » consistant à évaluer le carbone séquestré par des mesures physiques (hauteur, diamètre du tronc) n’étaient plus utilisables. Une nouvelle technique de suivi de la croissance des mangroves a alors été mise en place par une mesure tridimensionnelle effectuée par un drone. Grâce à clichés à 360°, il est désormais possible de reconstituer virtuellement le couvert forestier et d’en mesurer la croissance. Cette méthode, développée avec le soutien du Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), a été homologuée par les Nations Unies et a permis la seconde vérification du projet en 2017.

Photos : Hellio-Vaningen/ Livelihoods Funds.

[1] http://www.mangrovealliance.org/mangroves/
[2] Le Fonds Carbone Livelihoods, un fonds d’investissement à impact, est soutenu par 10 entreprises : Crédit Agricole, Danone, Firmenich, Groupe Caisse des Dépôts, Hermès, La Poste, Michelin, SAP, Schneider Electric, Voyageurs du Monde.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

Articles Similaires

1 sur 36

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *