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Saint-Louis du Sénégal, la Venise africaine au destin suspendu à sa « Langue »

– La ville tricentenaire est mise à rude épreuve depuis quelques années par l’érosion côtière ; un phénomène qui l’agresse dangereusement et lui fait perdre, au fil des ans, ses terres, habitations, ressources et infrastructures.

Une île autour de laquelle est bâtie une métropole. Un centre-ville (sur l’île) harmonieusement aménagé depuis l’époque coloniale et relié par un pont de 508 mètres, s’ouvrant sur le quartier Sor, vers la partie continentale, en dorsale, en face de l’océan, la Langue de Barbarie, une étroite bande de terre qui se dresse sur une vingtaine de kilomètres en rempart pour l’ile contre la mer.

Voilà Saint-Louis du Sénégal, ville du Nord-Ouest dénommée autrefois la ‘’Venise africaine’’. Première et plus importante ville coloniale de l’Afrique occidentale française (Aof), Saint-Louis n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son riche patrimoine architectural rappelant un passé glorieux et se mouvant désormais dans une profonde décrépitude peine à être préservé.

La capitale de l’Aof (1872 et 1957) avait en effet, de par son statut, impulsé son influence sur toute la colonie. En ce temps, la population tournait autour de 21 mille habitants dont 2000 blancs.

Quand bien même est intervenu le transfert de la capitale à Dakar, altérant, de facto, l’importance au plan administratif, mais il n’en demeurait pas moins que la ville gardât son attractivité en tant que centre d’intérêt particulier.

Occupée actuellement par 258 592 habitants et confrontée à un souci de préservation de ses bâtiments coloniaux en dépit de son inscription au patrimoine de l’Unesco en 2000, la ville tricentenaire est mise à rude épreuve depuis quelques années par l’érosion côtière ; un phénomène qui l’agresse dangereusement et lui fait perdre, au fil des ans, ses terres, habitations, ressources et infrastructures.

Le littoral recule d’environ 1,8 mètre par an
Un rapport de l’Organisation météorologique mondiale publié en 2019 assure que l’érosion fait reculer le littoral d’environ 1,8 mètre par an dans la région, tandis qu’un autre, du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU relevait la même année que le niveau de la mer sur la côte ouest-africaine augmentait de 3 à 4 millimètres par an.

Sa position entre l’Atlantique et le fleuve en fait forcément un cas assez singulier. Elle est aussi à la porte du Sahel au Nord à sa frontière avec la Mauritanie.

« Saint-Louis est un exemple particulièrement aigu de problèmes communs à plusieurs métropoles côtières d’Afrique de l’Ouest », explique Boubou Aldiouma Sy, géomorphologue et enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

Pour l’environnementaliste Moustapha Dieng, c’est dans une course contre la montre qu’est engagée Ndar (dénomination locale de la ville) pour ne pas disparaître.

« Depuis 10 ans, on nous dit que la Langue de Barbarie va disparaître (…) Compte tenu du réchauffement climatique, compte tenu de la remontée des eaux, il faut de grands moyens. Il ne s’agit pas simplement de protéger la Langue de Barbarie, c’est toute la ville qu’il faut protéger », confie Dieng à l’Agence Anadolu.

« Ce qui est sûr, c’est que le jour où la Langue de Barbarie va disparaître, l’Ile ne tiendra pas un jour, c’est la Langue qui lui sert de rempart », poursuivit-il.

La brèche, un amplificateur du phénomène
Dans la Langue de Barbarie qui abrite le quartier pêcheur de Guet Ndar, une ouverture d’une largeur de 4 mètres pour une profondeur de 1,5 mètre avait été réalisée en 2003 pour permettre le déversement des eaux de crues dans la mer. Une canalisation reliant désormais le fleuve et la mer qui a soulagé les populations suite aux terribles inondations causées par les eaux fluviales cette année.

« La brèche s’est élargie ce qui, à priori, n’avait pas été prévu par les autorités locales. Sa largeur est passée de 4 mètres le 3 octobre, à 80 m dès le 5, puis 330 m moins de trois semaines plus tard », a indiqué le géomorphologue Boubou Aldiouma Sy, assurant que l’ouverture de ce canal situé « à 23 km au nord de l’embouchure du Sénégal à l’époque » a créé un déséquilibre important et brutal dans la zone littorale.

La menace de submersion pour la ville a ainsi changé de source. Le fleuve a passé le relais à la mer qui, par ses courants, a colossalement agrandi la brèche qui s’étire désormais sur une dizaine de kilomètres .

« Depuis cette époque, la ville n’a plus été inondée par le fleuve car l’élargissement spectaculaire de la brèche, qui est devenue la nouvelle embouchure, permet d’évacuer rapidement les eaux pluviales lors des crues. Cependant, en corollaire, les courants marins ont fortement modifié le régime hydrologique », relève Aldiouma Sy.

« L’effet du changement climatique est observable dans la Langue de Barbarie surtout depuis l’ouverture de la brèche en 2003 et son corollaire d’inondations répétitives de la ville », a affirmé Djiby Sambou, environnementaliste et professeur à l’université Amadou Makhtar Mbow de Dakar.

« Les terres du Gandiol, un terroir situé un peu au sud de Saint-Louis, qui étaient jadis propices au maraîchage, sont affectées par la salinisation à cause de l’intrusion du biseau salé », a soutenu Sambou, auteur d’une étude sur la vulnérabilité de la zone face aux changements climatiques.

« Les villages de Doun Baba Dièye et de Keur Bernard ont disparu. Les habitations et les infrastructures qui se trouvent près de la plage sont touchées par l’érosion alors que les activités comme la pêche, la transformation des produits halieutiques et le tourisme sont perturbées par la brèche, la montée de la houle et la diminution des espaces dédiés », a-t-il développé, indiquant que la brèche a changé les caractéristiques biophysiques de la zone.

Des centaines de morts depuis l’ouverture de la brèche
Le canal de délestage, appelé ‘’Beulbi’’, par les locaux est ainsi, par la force des choses, devenu la nouvelle embouchure du fleuve. Passage obligé des pirogues, le canal est à l’origine de plusieurs morts à travers des accidents d‘embarcation.

« Pour accéder à la mer, maintenant, il faut obligatoirement passer par la brèche et, malheureusement, on constate que depuis son ouverture, les collisions et chavirements de pirogues interviennent fréquemment », raconte Baye Ndiaye, un septuagénaire ayant perdu un fils en mars 2021 lors d’un chavirement. « Il faut que les autorités nous aident pour sécuriser la brèche sinon les accidents mortels persisteront », insiste-t-il.

D’après un décompte établi par les acteurs de la pêche, plus de 400 personnes ont perdu la vie dans des accidents à hauteur de la brèche.

« La maison où je suis né n’existe plus, la mer l’a complètement engloutie. Il n’en reste plus aucun débris visible », regrette Samb Fall, habitant du quartier Guet Ndar dans la Langue de Barbarie.

Dans cette partie de la ville où vivent quelque 25 mille âmes, la pêche est la principale activité. « La pêche est devenue un trait identitaire pour les habitants de Guet Ndar. C’est un métier certes mais ici il se transmet de père à fils c’est pourquoi nous sommes à plus de 95% une population de pêcheurs », note Babacar Fall, un autre habitant.

L’activité s’en retrouve alors forcément perturbée par l’insécurité maritime née des dégâts dans la brèche. « Si nos maris ne vont pas en mer, notre activité ne marche plus alors que les charges économiques sont là », affirme Binetou Dièye, une femme transformatrice de produits halieutiques.

« Tout ce que nous demandons à l’Etat, c’est de sécuriser la brèche pour que les pêcheurs puissent travailler en toute sécurité », indique Babacar Fall.

Avec Plus de 4000 pirogues recensées, Saint-Louis détient l’une des plus importantes communautés de pêcheurs du pays voire même de la côte ouest-africaine. Les captures annuelles dépassent 60 mille tonnes dans la zone, selon les chiffres en date du mois de juin 2021.

« Le département de Saint-Louis fournit plus de 60 mille tonnes de poisson chaque année pour une valeur estimée à 14 milliards francs (22.5 millions USD) », avait indiqué Ndioro Sarr, adjoint du préfet lors d’une rencontre organisée par la FAO pour parler de la pêche artisanale.

Mur de protection
Face à la furie régulière des vagues s’abattant sur le quartier, Samba Fall salue la réalisation du mur de protection en cours qui est selon lui « un début de solution ».

Au-delà de la pêche, l’activité économique tourne autour du maraichage à Doune Baba Dièye et autres localités et du tourisme grâce au patrimoine culturel, à l’ancrage culturel et aux réserves naturelles dont le parc d’oiseaux de la Langue de Barbarie, menacés également par le phénomène de l’érosion.

Depuis 2020, l’Etat s’active à la construction d’un mur pour protéger les habitations qui tiennent encore. Plus d’une centaine ont déjà été rayées de la carte de Guet Ndar.

« Le projet est à 96% d’exécution. Pour une longueur de 2175 mètres, on en est à plus de 2000 mètres réalisés. Il ne reste que le raccordement sur les deux extrémités », a expliqué Pape Aldiouma Cissé, chargé de projet technique à l’Agence de développement municipal (ADM).

« Le trait de côte a nettement ralenti sa progression vers les habitations », a-t-il noté lors d’une visite de l’infrastructure au mois de mars.

S’adapter ou périr
Cissé a fait savoir toutefois que le mur financé pour un montant de 27 milliards francs (43 millions de dollars) est juste une réponse urgente pour arrêter les dégâts sur les habitations et sur l’activité économique. Avant celui-ci, un autre avait été réalisé mais n’avait pas pu freiner les agressions de la déferlante bleue sur la ville.

Le projet de dragage et de balisage de la brèche pour un montant de 7 240 milliards francs CFA (11 millions 245 mille dollars) a été finalisé au début du mois de mars 2022 en réaction au drames maritimes au niveau de la brèche.

« L’Etat est en train de travailler avec ses partenaires sur des solutions plus pérennes pour stopper l’avancée de la mer sur tout le littoral de Saint Louis », a ainsi relevé Cissé.

Seules des solutions d’envergure peuvent ainsi sauver la ville. D’où l’appel de Zair Fall, coordonnateur du mouvement Wallu Ndar (secourir Saint-Louis).

« Seule une volonté politique réelle pourra permettre de résoudre ce problème pour de bon. II est même possible de récupérer une partie de la mer comme c’est le cas ailleurs », a insisté le membre de la société civile.

« La brèche s’est stabilisée autour de Tassinère dans la commune de Ndiébène Gandiol. Il faut la laisser évoluer naturellement vers le Sud. Quand elle va atteindre son extension maximale, elle va se stabiliser, elle-même, naturellement », relève Boubou Sy avec optimisme. Tout comme le géomorphologue Sy, Pape Goumba Lô est d’avis que la ville ne va pas disparaiitre.

« Saint-Louis ne va pas bouger parce que les solutions techniques sont là », a lancé le directeur du Centre expérimental d’étude et de recherches pour l’équipement (Cereeq).

« L’avenir du littoral côtier africain est radieux, l’essentiel est de s’y mettre avec des solutions durables et définitives », a-t-il émis sur un plan plus large, évoquant comme maître-mot pour se faire « l’adaptation ».

Alioune NDIAYE

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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