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Pourquoi Alassane Ouattara sera candidat

Après le décès de son Premier ministre et dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, le président ivoirien s’est finalement résolu à briguer un troisième mandat. Histoire secrète d’un revirement qui s’annonce lourd de conséquences.

Abidjan, esplanade du palais présidentiel, le 14 juillet en milieu de matinée. Tout de noir vêtu et portant un masque chirurgical, comme les règles sanitaires l’imposent, Alassane Ouattara écoute les hommages rendus à Amadou Gon Coulibaly par la ministre de l’Éducation nationale, Kandia Camara, puis par le secrétaire général de la présidence, Patrick Achi.

Le chef de l’État semble perdu dans ses pensées, tiraillé entre le chagrin qui l’étreint – ravivé par l’émotion qui transpire de cette cérémonie en l’honneur de son Premier ministre –, la nécessité de faire bonne figure et celle, plus insidieuse, de remettre sur le métier l’ouvrage qu’il avait si méticuleusement confectionné : sa succession.

Malgré près de trois décennies de combat politique au cours desquelles il affronta bien des tempêtes, dont une guerre civile qui fit plus de 3 000 morts, Alassane Ouattara est aujourd’hui confronté à l’une des séquences les plus pénibles de sa carrière. Son fidèle compagnon, son fils spirituel, celui en qui il avait une confiance aveugle, s’est éteint le 8 juillet.

Un vide immense
Le cœur du « Lion », fragile au point de lui valoir une transplantation cardiaque en 2012 et deux mois de convalescence en France cette année, en mai et juin, après un infarctus, a lâché. Amadou Gon Coulibaly, celui qui a cheminé trente ans durant dans l’ombre de son mentor sans une seule anicroche, celui qui souffrait de devoir prendre la lumière pour être président à sa place et qui ne vivait que pour servir son chef, n’est plus. Il laisse autour de ce dernier un vide immense. Plus de Premier ministre, plus de dauphin, plus de confident, plus de « fils ».

Le sort s’acharne : au même moment, le vice-président Daniel Kablan Duncan, autre proche parmi les proches et vieux compagnon de route, contraint Ouattara à rendre publique sa démission, remise fin février. Ce n’est pas une foucade décidée un soir de déprime : Kablan avait déjà envoyé une première lettre de démission en… juin 2018. C’est désormais un secret de polichinelle, Kablan nourrissait des ambitions présidentielles, qui se sont heurtées au choix d’AGC.

S’il avait fini par intégrer cette donne, il aurait au moins aimé que les formes soient mises, qu’une primaire ou une sorte de consultation aient été organisées pour désigner le dauphin, sentir que le chef hésitait. Kablan n’a guère supporté ce qu’il a ressenti comme un manque de considération et a préféré se retirer la tête haute.

« Préserver la stabilité du pays »
Du fameux conseil présidentiel, ce quatuor des plus proches collaborateurs d’ADO constitué d’Amadou Gon Coulibaly, de Daniel Kablan Duncan, du ministre d’État de la Défense, Hamed Bakayoko, et de Patrick Achi ne restent donc que les deux derniers cités.

Sans oublier les portes claquées précédemment par d’autres anciens alliés comme Henri Konan Bédié et Guillaume Soro mais aussi, plus récemment, par Marcel Amon-Tanoh ou Albert Toikeusse Mabri. La voie royale annoncée en mars dernier, quand un Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) au faîte de sa puissance désignait Amadou Gon Coulibaly comme candidat à la présidentielle du 31 octobre, a aujourd’hui des allures de chemin de croix…

Que va faire Alassane Ouattara ? Deux tendances se dessinent dans son entourage. D’un côté, il y a ceux qui le poussent à se représenter pour un troisième mandat, notamment parce que cette option les rassure et leur garantit une place au soleil – ce qui serait moins évident avec la désignation d’un candidat de substitution comme Bakayoko ou Achi. De l’autre, on a les tenants du respect de sa promesse de transmettre le témoin aux générations suivantes, que ce soit par conviction ou par opportunisme.

Le premier camp est aujourd’hui majoritaire. « La haute direction du RHDP, nous explique l’un de ses membres, a demandé officiellement au chef de l’État de se représenter. Il a voulu prendre le temps de réfléchir avant de répondre. Mais personne ne sait ce qu’il annoncera, ni quand. »

L’issue de ce questionnement ne fait pourtant guère de doute : ADO se représentera. « À l’heure actuelle, compte tenu des délais, je ne vois hélas pas d’autre solution pour préserver la stabilité du pays », nous a-t-il confié le 15 juillet, lors d’un entretien à sa résidence de Riviera- Golf, tout en précisant poursuivre sa réflexion. Car, évidemment, le changement de cap est pour le moins brutal.

AGC ou rien
De l’aveu de ses plus proches, le chef de l’État avait vraiment tourné la page depuis son annonce de mars. Il se préoccupait de plus en plus de sa future vie, et notamment de la mise en place de son institut, destiné à mettre au service de qui le solliciterait son expérience africaine et internationale. Et il se focalisait sur la campagne à venir, au cours de laquelle il ne comptait pas ménager son soutien à son candidat. Il devait l’accompagner à un premier meeting qui devait se tenir à Korhogo. Cruel clin d’œil du destin : en lieu et place de cette réunion dans la capitale du Nord, ce sera l’inhumation de son « fils »…

Pouvait-il prendre une autre décision ? Depuis le début du processus qui l’avait conduit à renoncer à un troisième mandat et à désigner Gon Coulibaly pour briguer la présidentielle, ADO n’a jamais envisagé de plan B. C’était AGC ou rien.

« Pour de multiples raisons, le président ne peut concevoir qu’un autre prenne la place d’Amadou, décrypte l’un de ses proches. D’abord parce qu’il estime que Gon était le meilleur d’entre nous. Ensuite parce que personne ne peut se prévaloir du même niveau de confiance. AGC au palais, Alassane Ouattara serait demeuré à ses côtés et Amadou l’aurait écouté attentivement, les yeux fermés. Un tel scénario n’est pas garanti avec d’autres.

Enfin, et ce n’est pas anodin, il estime que tout autre candidature dans les délais impartis, qui sont très courts puisque la date de l’élection est maintenue, serait susceptible de créer des clivages et pourrait plonger le pays dans l’instabilité. Le plan AGC, même s’il n’a été officialisé qu’en mars, est lancé depuis de longs mois, il est minutieusement préparé. La machine électorale mise à sa disposition n’a qu’à être rebranchée pour le chef de l’État. Avec un autre candidat, quel qu’il soit, ce serait beaucoup trop compliqué en seulement cent jours… ».

Exit donc les options Bakayoko ou Achi, le plus souvent évoquées. « Toute la difficulté pour le chef de l’État va être de faire passer la pilule auprès de ses troupes, notamment auprès de ces deux caciques dont il a plus que jamais besoin, mais à qui il envoie un signal guère positif, puisqu’il ne peut se résoudre à leur transmettre le flambeau dès aujourd’hui, poursuit notre source. Hamed, qui semblait être le plan B le plus évident, est trop libre, trop autonome aux yeux du président. Mais ce dernier sait qu’il peut compter sur lui, qu’il ne fera pas de vagues. En outre, il lui offre quand même des perspectives intéressantes : la primature et peut-être la vice-présidence plus tard. Et n’oublions pas qu’il est désormais son successeur constitutionnel en cas de vacance… »

Qu’en pense l’intéressé ? Contacté le 14 juillet, voici ce qu’il nous a répondu : « Il y a quatre ans, dans le cadre d’une interview, vous m’aviez demandé quelle serait mon attitude pour la présidentielle de 2020. Je vous avais répondu : « Je ferai ce que le président me dira de faire. » Je n’ai pas changé d’avis. »

Du pain bénit pour les opposants
D’après nos informations, Alassane Ouattara devrait rendre publique sa décision dans la seconde moitié du mois d’août, une fois écoulés les quarante jours du deuil musulman. La suite ne s’annonce pas de tout repos. Il lui faudra trouver les bons arguments pour motiver un choix que ses détracteurs ne manqueront pas de présenter comme une forfaiture.

Aussi exceptionnelles que soient les circonstances, le chef de l’État donnera l’impression de se contredire et de renoncer à favoriser l’émergence d’une nouvelle génération. Même s’il souhaitait vraiment quitter le pouvoir avant le décès d’Amadou Gon Coulibaly, il se retrouvera de facto rangé dans la catégorie des présidents qui ne savent pas quitter leur palais. Du pain bénit pour ses opposants. Et si, sur le papier, il est théoriquement autorisé à briguer un troisième mandat, puisqu’une nouvelle Constitution a été adoptée en 2016, ses adversaires lui contesteront ce droit, rappelant qu’il a déjà effectué ses deux mandats. Voilà qui promet le retour de passionnants débats de constitutionnalistes sur la Radio-télévision ivoirienne (RTI)…

ADO sait qu’il ne sortira pas indemne de cette campagne, que l’aura acquise depuis mars, en Côte d’Ivoire mais aussi dans tout le continent, pâtira inévitablement de sa candidature. Certes, les circonstances ont dramatiquement changé. Certes, il pourra également expliquer vouloir préserver la stabilité du pays, fût-ce au détriment de son image. Certes, enfin, il trouvera sur son chemin Henri Konan Bédié, 86 ans, qui aura lui-même bien du mal à convaincre qu’il demeure le seul recours, au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), pour diriger la Côte d’Ivoire.

Il n’empêche, alors que tout semblait en place pour une élection apaisée, autant que possible en tout cas, il ne fait plus guère de doute que les couteaux sont prêts à être tirés. Détail piquant : heureusement pour ADO et Bédié que la limite d’âge (75 ans) n’a pas été réintroduite lors de la dernière modification constitutionnelle de mars, comme ce fut un temps envisagé. Celui qui s’y était opposé, par souci d’ouverture et d’apaisement, notamment vis-à-vis du Sphinx de Daoukro, n’est autre qu’Amadou Gon Coulibaly…

Marwane Ben Yahmed 

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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