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La banque centrale turque relève son taux directeur à 15% dans un revirement politique majeur

La Banque centrale turque a relevé jeudi son taux directeur à 15% dans un revirement politique majeur, abandonnant pour la première fois depuis deux ans les mesures économiques non conventionnelles promues par le président turc Recep Tayyip Erdogan.

La banque a ainsi porté son taux directeur de 8,5% à 15% lors de sa première réunion de politique monétaire depuis la réélection du chef de l’Etat turc en mai.

La décision vise « un resserrement monétaire afin d’établir au plus tôt le cours de la désinflation », a précisé la banque centrale dans un communiqué.

« Le resserrement monétaire sera renforcé autant que nécessaire, de manière opportune et progressive jusqu’à ce qu’une amélioration significative des perspectives d’inflation soit obtenue », a-t-elle ajouté, laissant entendre que la hausse des taux pourrait continuer dans les mois à venir.

M. Erdogan avait affirmé la semaine dernière que sa conviction sur la nécessité de baisser les taux restait « inchangée ». Il a néanmoins laissé entendre qu’il avait donné son accord pour une hausse des taux.

Avant la décision, Fitch Ratings avait annoncé prévoir une hausse des taux jusqu’à 25% d’ici la fin de l’année.

Le relèvement des taux à 15% reste en bas des attentes des marchés, soulignent des observateurs.

La livre turque a chuté de 2,5% par rapport au dollar jeudi après-midi, montrant la déception des investisseurs concernant la décision de la banque centrale d’opter pour une approche progressive au lieu d’une hausse importante.

« Pas suffisant. Ils auraient du augmenter d’un coup », estime l’économiste Timothy Ash de BlueBay Asset Management.

« De nouvelles hausses sont nécessaires lors des prochaines réunions pour s’attaquer au problème de l’inflation en Turquie », ajoute Liam Peach, analyste des marchés émergents chez Capital Economics.

A rebours des théories économiques classiques, M. Erdogan, réélu fin mai pour un troisième mandat, estime que les taux d’intérêt élevés favorisent l’inflation.

Au cours des deux dernières années, il a contraint la banque centrale turque à baisser les taux dans le cadre d’un « nouveau modèle économique » privilégiant la croissance et la création d’emplois.

Mais ce choix a contribué à la flambée de l’inflation – repassée en mai sous la barre des 40% pour la première fois en seize mois, selon les chiffres officiels – ainsi qu’à la chute de la livre turque qui a perdu plus de 80% de sa valeur par rapport au dollar en cinq ans.

Les économistes indépendants contestent le taux officiel de l’inflation et l’estiment à plus de 100%.

Ils critiquent aussi la banque centrale turque pour avoir dépensé près de 30 milliards de dollars pour soutenir la monnaie nationale entre le 1er janvier et le scrutin présidentiel, poussant ses réserves de change en terrain négatif pour la première fois depuis 2002.

« Mesures rationnelles »
Le chef de l’Etat a donné des signes d’un possible retour à des politiques plus conventionnelles depuis sa réélection, en nommant notamment un ancien économiste de la banque américaine Merrill Lynch, Mehmet Simsek, au ministère de l’Économie, et une ancienne cadre de Wall Street, Hafize Gaye Erkan, à la tête de la banque centrale.

Lors de sa prise de fonctions, M. Simsek, déjà ministre de l’Économie (2009-2015) puis vice-Premier ministre chargé de l’Économie (jusqu’en 2018), a prévenu qu’il faudrait revenir à des « mesures rationnelles » pour redresser l’économie turque.

M. Erdogan a plusieurs fois invoqué dans le passé les préceptes de l’islam, qui interdit l’usure, et affirme que les taux d’intérêt élevés sont promus par un « lobby » étranger. Il a cependant affirmé mercredi dernier avoir « accepté » que sa nouvelle équipe puisse prendre des mesures qui contredisent ses convictions.

M. Simsek et le nouveau vice-président Cevdet Yilmaz se sont envolés jeudi vers Abou Dhabi pour mobiliser de nouveaux investissements et prêts. La nomination de M. Simsek et de Mme Erkan avait été applaudie par les marchés.

Mais des observateurs craignent que le champ d’action de la nouvelle équipe soit à court terme restreint par le président turc qui a déjà fait valser plusieurs ministres et gouverneurs de la banque centrale lorsque ceux-ci contredisaient ses décisions.

« L’ampleur de la hausse des taux était inférieure à l’attente moyenne du marché d’une augmentation comprise entre 17 et 20% », affirme Hamish Kinnear, analyste du cabinet de conseil en risques Verisk Maplecroft.

« C’est un signe que la nouvelle gouverneure cherche à faire preuve de prudence pour éviter un affrontement avec le président Erdogan. » 

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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