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Des « groupes d’encouragement » masculins japonais se battent pour sauver leur tradition

Ils sont trempés de sueur, les paumes ensanglantées à force d’applaudir et les voix enrouées: voici les « oendan », ou « groupes d’encouragement », des troupes majoritairement composées d’hommes et ouvertement machos du Japon, où leur tradition centenaire est menacée de disparition.

Habituellement vêtus d’uniformes scolaires noirs, ces « pom-pom boys » se démènent pour soutenir les équipes sportives de leur lycée ou université.

Leur danse martiale, ponctuée de cris d’encouragement et de battements de tambours et rythmée de mouvements rigides, offre un spectacle énergique aux côtés des fanfares et des pom-pom girls à l’américaine.

« On se donne à fond au point de paraître ridicules, mais c’est ce qui nous rend cools », pense Taisuke Ono, 21 ans, membre d’une section de l’université Waseda à Tokyo.

« Même si nous avons dix points de retard et qu’il n’y a quasiment aucune chance de remonter, nous parvenons à nous convaincre que nous pouvons encore gagner. »

Mais aujourd’hui, certains craignent que cette tradition ne disparaisse, les étudiants intéressés par cette activité très physique se faisant rares. Une dizaine d’oendan ont ainsi disparu en 15 ans, souligne une enquête.

Le protocole sanitaire durant la pandémie, incluant interdiction de crier et restrictions du nombre de spectateurs, n’a fait que renforcer cette tendance.

Alarmées par la situation, des dizaines d’universités ont uni leurs forces l’an dernier dans une campagne pour que le ministère japonais de la Culture reconnaisse les oendan comme patrimoine culturel immatériel du pays, au même titre que la calligraphie ou le brassage du saké.

« Au cœur de ce que font les oendan, se trouve l’idée qu’ils s’entraînent et s’améliorent grâce à l’art d’encourager. C’est cet état d’esprit que nous espérons préserver », explique Jun Tochimoto, lanceur de la campagne.

« Perceptions négatives »
Le déclin des oendan est également dû à leur image machiste et à des rumeurs de bizutage.

Héritage de la contre-culture japonaise de l’ère Meiji (1868-1912), les oendan auraient été imprégnés d’esprit militaire par des étudiants démobilisés après la Seconde Guerre mondiale.

Une hiérarchie draconienne prédominait alors, les étudiants aînés vénérés comme « l’empereur » et les nouveaux considérés comme des « esclaves », se rappelle Hiroshi Imazu, 76 ans, ancien membre d’oendan à l’université Chuo de Tokyo.

Ce fonctionnement a favorisé des rixes par le passé, entre oendan d’universités rivales ou face aux étudiants militants de gauche qui bloquaient des campus.

Si la plupart des universités ne tolèrent plus de telles violences aujourd’hui, ces incidents ont nourri des « perceptions négatives », indique un rapport d’anciens étudiants en 2018.

Mais depuis quelques années, ces oendan en difficulté voient un changement majeur autrefois jugé impossible: des recrues féminines qui défilent aux côtés de leurs homologues masculins, parfois en tant que cheffes de section.

« Je ne veux pas accepter aveuglément que les diktats sociaux définissent comment les femmes doivent vivre et j’ai voulu voir jusqu’où je pourrais aller dans cet univers masculin », témoigne Kazuha Nagahara, 22 ans, étudiante à l’université Tokai, estimant que les femmes donnaient « un nouveau souffle » aux oendan.

« Annihiler le moi »
Mais les valeurs fondamentales des oendan comme l’ascétisme et l’endurance sont loin de disparaître.

A l’université Meiji, les jeunes « pom-pom boys » battent des mains à s’en ensanglanter les paumes pour parfaire leurs applaudissements.

L’entraînement est supervisé par des aînés au regard sévère qui n’hésitent pas à élever la voix pour réprimander les plus jeunes, une attitude qui cède toutefois la place à des sourires et des courbettes lorsqu’ils s’adressent aux spectateurs.

« Annihiler le moi et servir les autres », tel est l’esprit qui les motive, explique Yasunori Sugaya, 50 ans et ancien membre d’oendan à l’université Meiji, aujourd’hui devenu son entraîneur.

Cette valeur a bien été préservée, comme témoigne l’actuel capitaine Motomichi Tanaka.

Récemment, lors d’un match de baseball, l’étudiant de 21 ans s’est mis au garde-à-vous pendant une averse qui a interrompu le jeu, afin d’aider les supporters à garder le moral.

« Une partie de moi-même rêve d’une vie étudiante plus amusante et plus détendue », confie-t-il en riant.

Contrairement à d’autres disciplines, où le physique et le talent sont primordiaux, « quiconque veut faire de son mieux et être cool peut faire partie de la section », estime M. Tanaka.

« Tout le monde peut devenir une star. Je suis fier de ce que je fais. »

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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