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Agir à la fois sur l’annulation de la dette et le développement endogène – Par Mamadou Ndione

En fin 2019, la dette mondiale de tous les agents économiques dépassait déjà les 250 000 milliards de dollars US (soit plus de 240% du PIB de la planète) au moment où les besoins en investissements dans des domaines fondamentaux comme la santé, l’éducation et les infrastructures de l’ensemble des pays à faible revenu s’élevaient à 500 milliards de dollars US (soit 0,5 % du PIB mondial).

A ces pays à revenu faible et aux autres qui, comme le Sénégal ont fait des efforts énormes pour être dans la grille des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, il est opposé souvent des critères de soutenabilité pour dire que leur endettement est problématique au moment où la dette publique des USA par exemple culminait à plus de 20 000 milliards de dollars et celle cumulée de tous les agents économiques américains à 69 000 milliards de dollars US contre 40 000 milliards de dollars US de dette publique et privée de la Chine. On voit bien que l’emprunt n’est pas signe de pauvreté !

Il est vrai que la problématique de la dette africaine avait poussé en 1996, le FMI et la Banque mondiale à lancer l’initiative « Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Il est tout aussi vrai qu’en 2005, il a fallu une deuxièmement initiative des institutions de Bretton Woods pour l’effacement de la dette multilatérale contractée par des pays africains auprès du FMI, de la Banque mondiale et le Fonds africain de développement.

Ces deux initiatives aussi salutaires soient-elles, n’avaient toutefois pas effacé la mauvaise perception des bailleurs sur l’endettement africain. C’est sans doute une des raisons de l’organisation par le Sénégal le 02 décembre 2019 de la Conférence sur « Développement durable et dette soutenable : trouver le juste équilibre ».

De façon quasi prémonitoire, le Président Macky Sall semblait en début décembre 2019 prendre les devants pour défendre la cause africaine. En effet, moins d’un mois après la conférence de Dakar, en Chine naissait une maladie qui, allait vite franchir les paliers d’épidémie à pandémie en moins de quatre mois pour bouleverser le Monde. Aujourd’hui, le COVID-19, a fini de mettre la planète Terre dans des prévisions de récession comprise entre 3% et 6% en fonction de scénarios optimistes (fin pandémie à fin juin 2020) ou optimistes (non maîtrise de la fin après juin 2020).

La Conférence sur la dette africaine du 02 décembre 2019 qui avait réuni six Chefs d’État Africains avec entre autres autorités la nouvelle Directrice Générale du FMI, le vice-président Afrique de la banque Mondiale et le vice-secrétaire Général des Nations Unies avait déjà permis de faire bouger les lignes de perceptions de la dette publique africaine. L’Afrique n’est pas surendettée quand on sait que sa dette publique qui ne représentait en réalité que 60% de son PIB de 2018 est loin des 240% de PIB mondial que représentait l’endettement public et privé a l’échelle planétaire. La dette publique africaine en terme de ratio est encore loin des 80% du PIB que représentait la dette publique cumulée de 27 pays de l’Union Européenne.

L’Afrique n’est pas surendettée puisqu’en 2019, l’encours de sa dette était juste de 1 330 milliards de dollars US soit 57% de son PIB au moment où la dette publique mondiale était d’au moins 83,3% du PIB mondial et celle publique et privé à 240%. Lors de la conférence de Dakar du 02 décembre, la Banque Mondiale et le FMI par les voix autorisées de leurs dirigeants avaient pris bonne note et l’espoir était permis d’aller par exemple à terme vers une révision des critères de convergence monétaire ou d’appréciation de la dette en tenant compte éventuellement des dépenses dues aux chocs sécuritaires ou climatiques dans l’analyse des ratios d’endettement ou de déficit de nos pays.

En clair, le chemin était balisé pour des actions énergiques allant dans le sens d’une meilleure soutenabilité de la dette africaine. Entretemps, le COVID-19, a coulé sous les ponts plongeant le Monde dans une sorte de secousse aux conséquences dramatiques que d’aucuns voient déjà dans des schémas comparables à la crise de 1929. Tous les pays du Monde seront touchés dans leur système de production et au niveau de leur volume d’échange et personne ne peut dire avec exactitude la date du bout de tunnel. Au Sénégal, pays qui était sur la rampe d’émergence, l’État a pris, à travers le Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1000 milliards de FCFA des mesures de résilience pour agir à la fois agir au triple plan sanitaire, social et économique.

À l’instar de tous les pays africains, notre pays aura besoin de l’accompagnement des créanciers et institutions financières internationales pour mieux passer le cap par la résilience sanitaire, sociale et macroéconomique. L’Afrique qui est en train de subir les conséquences désastreuses de cette pandémie doit rester solidaire et proactive. C’est pourquoi il est salutaire de soutenir l’initiative du Président Macky Sall de demande d’annulation de la dette publique africaine et de réaménagement de sa dette privée.

Cette annulation de la dette, jumelée à un allègement des règles de discipline budgétaire, pourrait permettre après la crise d’aller avec plus de volontarisme vers le financement des infrastructures africaines condition sine qua non du développement continental. On se souvient qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, par le biais du Plan Marshall, les USA avaient en quatre ans injecté en prêts l’équivalent de l’équivalent de 173 milliards de dollars de 2019. Que serait devenu l’Europe d’après-guerre sans le Plan Marshall ? L’Afrique en construction en guerre contre le COVID-19 a besoin d’investissements massifs pour rendre ses économies plus efficientes.

La solution à l’endettement de l’Afrique n’est pas seulement dans « le plus d’endettement », mais bien dans un sursaut de réalisme des partenaires techniques et financiers dans un Monde où la pandémie du COVId-19 requiert un changement de paradigme avec un nouveau regard à porter sur le continent berceau de l’Humanité. Le Monde a besoin d’une Afrique forte pour un rebond de l’Humain après le COVID-19. Le gel du service de la dette de quarante pays africains comme réponse à la demande d’annulation est certes un premier pas important, mais ce que veut l’Afrique, c’est un effacement de sa dette publique couplé à un réaménagement de sa dette privée.

La relance de l’économie mondiale après cette pandémie se fera et ne se fera qu’avec des investissements massifs en Afrique partie la plus vierge d’un Monde qui a déjà mis un genou à terre. L’avenir du Monde est en Afrique. C’est aussi un message important que ce virus invisible a fini de rendre plus lisible.

Il est de la responsabilité des élites africaines de tout faire pour à la fois rendre la demande d’annulation de la dette plus audible et persuasive, mais aussi réfléchir déjà sur les pistes du développement endogène à l’échelle continentale ; autre message à décortiquer de cette pandémie qui nous a rappelé à tous que nous pouvons beaucoup faire par nos braves créateurs africains à l’instar de ces chercheurs de l’institut polytechnique de Thiès qui ont fabriqué en dix jours le prototype d’appareil respiratoire made in Sénégal. L’après COVID-19 doit faire de l’Afrique la prochaine usine du Monde par, pour et avec tous les Africains. Ce sujet, plus que les sempiternelles querelles de casting doit occuper en ambition et humilité l’intelligentsia africaine qui le devoir de création d’avenir.

Mamadou NDIONE – DG du COSEC

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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