Mbour

Mburu, chaîne de boulangerie-pâtisserie africaine à impact

C’est en 2019 à Ngaparou, à 84 kilomètres de Dakar, qu’Isseu Diop Sakho, diplômée en finance et directrice de l’Institut supérieur de management (ISM), établissement pionnier de l’enseignement supérieur privé au Sénégal et dans toute l’Afrique de l’Ouest, qui fait aujourd’hui partie du prestigieux groupe international Galiléo Global Education, a décidé de sauter le pas et de créer une entreprise agroalimentaire dénommée Mburu, soit le mot utilisé en wolof et en bambara pour désigner le pain.

Particularité : être un acteur spécialisé dans la valorisation des produits du terroir sénégalais dans le domaine de la boulangerie et de la pâtisserie. S’appuyant sur un réseau essentiellement constitué de femmes, Mburu mise sur la proximité, un fort engagement social et l’inclusion digitale pour permettre aux femmes d’être plus autonomes dans leur entreprise.

Apprendre à travailler les produits locaux
L’équipe féminine s’active dans les cuisines de l’atelier Mburu de Ngaparou, région de la Petite-Côte sénégalaise, à quelque 80 kilomètres de Dakar. Jacqueline, 25 ans, fait partie de l’une des deux équipes de production chargée de confectionner chaque jour les produits de la marque africaine de boulangerie.

« Je travaille depuis un an pour Mburu. Au début, malgré ma formation en pâtisserie, c’était difficile, car je n’avais pas l’habitude de travailler les produits locaux. J’ai été formée, ai découvert plein de nouvelles possibilités et appris à réutiliser les ingrédients pour éviter les pertes ou encore à privilégier les fruits de saison », raconte-t-elle entre deux confections de beignets au bissap (hibiscus).

Valoriser les richesses du terroir
Mousse de tamarin, pain aux raisins et mbouraké (mélange de sucre, de pâte d’arachide et de panure), pain au moringa ou encore au fonio et aux olives, etc., ce sont là autant de produits, des pains donc, des viennoiseries, des pâtisseries, confectionnés et commercialisés avec la volonté de promouvoir et valoriser les produits du terroir sénégalais. Car ces saveurs locales sont encore sous-exploitées dans le pays.

« Les céréales comme le mil, le maïs, le sorgho sont rarement utilisées dans la boulangerie sénégalaise malgré leurs valeurs nutritives et leur disponibilité locale. L’industrie de la boulangerie préfère toujours importer du blé », détaille Isseu Diop Sakho, la créatrice du projet Mburu.

Isseu Diop Sakho, une entrepreneuse qui se veut à impact
Malgré la difficulté de l’entrepreneuriat en Afrique « en raison de l’accès difficile au financement », après cinq ans de réflexion, cette « amoureuse du pain » a finalement sauté le pas. Dès le départ, elle s’est démarquée par son positionnement. « Je ne voulais pas juste créer une boulangerie.

Je voulais avoir un impact sur les produits en favorisant le local mais aussi au niveau sociétal, en créant un ancrage local fort. J’avais la volonté de donner un nouveau souffle et de redynamiser le secteur », explique-t-elle. Et de faire ainsi le choix d’ouvrir, non pas à Dakar mais à l’intérieur du pays. « Tout se concentre à Dakar alors qu’il y a un réel besoin et des possibilités dans nos régions », souligne cette diplômée en finance.

En achetant des matières premières sénégalaises, Mburu se fournit auprès de producteurs locaux, en l’occurrence des groupements d’intérêts économiques gérés par des femmes. L’achat en grande quantité de poudres diverses, comme celle de bissap ou de bouye (pain de singe, fruit du baobab), ou encore de céréales sèches, permet ainsi de sécuriser les sources de revenus d’une dizaine de producteurs dans le pays. Cela permet aussi de stabiliser leur activité. Reste à gérer des problèmes de quantité, car faute d’être suffisamment consommés, les produits peuvent parfois manquer.

Une logique d’autonomisation des femmes
Isseu Diop Sakho ne se contente pas de bousculer les idées reçues sur les produits locaux. Dès le départ, elle a voulu casser les codes de la boulangerie, « un secteur masculin, très classique et vieillissant », en plaçant les femmes rurales au cœur de son dispositif et en misant sur le commerce de proximité. Au Sénégal, beaucoup de femmes vendent de manière informelle des petits-déjeuners et en-cas le long des routes ou sur le pas de leur porte.

Isseu utilise cette expérience dans le commerce pour lancer le réseau de distribution Mburu. Celui-ci s’appuie sur des femmes entrepreneuses baptisées Linguères, une appellation inspirée de la tradition et suggérant que ces entrepreneuses sont des reines, des guerrières. Celles-ci sont responsables de leur point de vente.

« Les femmes sont très pointilleuses dans leur manière de travailler, elles sont très impliquées. Ce sont des mères de famille. Elles ont des charges. Avec le réseau, elles ont un atout financier et sont responsabilisées », insiste Isseu Diop Sakho qui souhaite encourager l’entrepreneuriat féminin.

« On les pousse à avoir un chiffre d’affaires de 10 000 francs CFA au minimum (environ 15 euros) chaque jour », ajoute-t-elle. Gérant leur commande et leurs stocks elles-mêmes, les Linguères sont fournies chaque matin en produits Mburu grâce aux triporteurs financés par la GIZ, l’agence de coopération internationale allemande. Elles conservent ensuite 10 % du chiffre d’affaires sur les ventes de la semaine.

Des expériences individuelles convaincantes
Sur la vingtaine de points de vente situés sur l’axe Somone-Mbour, une dizaine a pu bénéficier depuis juin dernier de kiosques également financés par la GIZ. « Depuis que j’ai un kiosque, je me sens plus en sécurité, car je débute le travail à 5 heures du matin. Je sens aussi que je suis plus respectée par mes clients qui apprécient le fait que ça soit plus hygiénique qu’une simple planche de bois comme c’était le cas avant », relate Fatou, Linguère de 36 ans positionnée sur le quai de pêche de Ngaparou depuis 3 ans et membre du réseau Mburu depuis quelque temps.

« Au départ, certains clients ne voulaient pas acheter les produits, car ils ne les connaissaient pas. Mais maintenant, ils sont tous convaincus ! Et je fais plus de ventes grâce à Mburu », appuie-t-elle encore. Les emplacements ont été choisis de manière stratégique : il s’agit de lieux de passage, comme les écoles, les garages ou encore le port. Ayant débuté avec 11 points de vente en 2020, Mburu espère en compter 35 d’ici à 2022.

Au-delà du réseau, faire communauté…
Entre 60 et 45 femmes constituent le réseau Mburu. On y compte des vendeuses, des transformatrices et d’autres profils de la chaîne de valeur. « Intégrer ce réseau, c’est faire partie d’une communauté. Grâce au groupe WhatsApp qu’elles ont constitué, les Linguères s’entraident, échangent des conseils, parlent de leur vie… Ça crée un lien fort », rapporte Astou Thiam, responsable des Linguères. « L’idée est que ces femmes prennent un engagement les unes envers les autres, qu’elles soient partie prenante de cette aventure et de l’entreprise », ajoute Isseu Diop Sakho.

… et aller vers la formalisation par l’inclusion digitale
Pour autonomiser les femmes, Mburu formalise leur activité de vente. En d’autres termes s’emploie à sortir les femmes du secteur informel. Grâce à la formation, elle leur fait bénéficier d’un accompagnement continu dans les métiers de la boulangerie-pâtisserie dans les domaines de la vente, en technique de communication, ou encore dans la familiarisation aux outils numériques.

Miser sur le digital est en effet un autre point sur lequel le réseau Mburu s’appuie pour pérenniser les retombées positives nées de cette initiative qui tient à valoriser le local. Afin de mieux développer le réseau et de maîtriser leur activité, 12 Linguères ont été équipées en smartphones et formées pour apprendre à utiliser ces outils digitaux.

La digitalisation de la chaîne de valeur et de production est une innovation dans le commerce de proximité. Son but ? Mieux gérer les stocks, éviter les pertes, suivre les factures, gérer son chiffre d’affaires… Une formation de WhatsApp Business a d’abord permis de travailler sur la relation client.

Les Linguères peuvent ainsi désormais échanger avec les clients, leur proposer des produits ou leur faire des offres, par exemple. Mburu a aussi développé une application mobile, facile d’utilisation y compris pour les analphabètes, pour mieux maîtriser les commandes et donc la production. « Nous sommes dans une ère du digital, c’est extrêmement important de maîtriser ces outils », note Isseu Diop Sakho.

Et maintenant la franchise ?
« Pourquoi ne pas faire passer la marque Mburu en franchise d’ici à 2 ou 3 ans avec des installations dans d’autres lieux au Sénégal et puis à terme en Afrique ! » s’enthousiasme Évelyne Dioh Simpa, directrice exécutive de WIC Capital, premier fonds d’investissement à cibler les entreprises dirigées par les femmes en Afrique de l’Ouest francophone.

Avec We ! Fund (fonds du Fonsis et de l’UNCDF), WIC Capital a réalisé un investissement de 234 millions de francs CFA en mai 2021. En attendant son expansion sur le continent, après la Petite-Côte, une boutique-restaurant vient d’ouvrir au Point E, à Dakar. Une illustration que la route est bien ouverte pour poursuivre les bonnes initiatives impactantes.

https://mburu-boulangerie.com/

Clémence Cluzel

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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