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Massacre des oryx : symbole vivant d’une mauvaise gouvernance du milieu naturel au Sénégal – Par Ibrahima Gassama

La gestion adéquate de l’environnement est le parent pauvre des politiques publiques en Afrique. Au Sénégal en particulier, la biodiversité est tellement malmenée qu’elle nécessite désormais un regard bienveillant du peuple et de la communauté internationale afin d’éviter la disparition permanente des espèces sensibles, précaires et menacées.

La situation est d’autant plus préoccupante que la biodiversité, de manière générale, est mise à rude épreuve par les autorités qui sont censées la protéger. Ainsi, il me semble opportun de jeter un regard critique sur la volonté du Ministre de l’environnement de se doter d’un ranch privé dans lequel une espèce menacée et rare du Sénégal devrait être le décor. Cette situation, aussi invraisemblable que teintée d’un conflit d’intérêt flagrant, a engendré la mort de deux gazelles oryx dans des conditions de transport encore peu élucidées.

Disparition du bois de Venne
Déjà en mars 2020, un reportage de la BBC montrait qu’au cours de ces six dernières années, plus de 600.000 tonnes de bois de rose (bois de Venne), récoltés en forêt de la Casamance, étaient acheminés en Gambie et exportés par ce pays voisin vers la Chine. Cette exploitation intense d’une espèce de bois menacée perdure, du pouvoir de Yaya Diamé à celui d’Adama Barro, sans aucun répit.

La situation ne s’inversera pas aussi facilement si rien n’est fait car la Gambie en a tiré au moins 300 millions de $US. Les chiffres documentés par la BBC (Africa Eye) montrent que la Gambie a exporté plus de 300 000 tonnes de bois de Venne vers la Chine depuis l’arrivée au pouvoir d’Adama Barrow en 2017. Il est important de rappeler que cette manne financière représente plus 18% du PIB de la Gambie. Si rien n’est fait pour arrêter l’hémorragie, d’ici quelques années, cette espèce de ressource ligneuse, déjà épuisée au Madagascar par l’intensité de son exploitation, sera un conte de fée à raconter à nos enfants. C’est d’ailleurs le cas des éléphants qui ont disparu du parc de Niokoloba depuis plus d’une décennie maintenant, en raison d’une mauvaise gestion publiques des ressources naturelles, doublée de l’amplification du braconnage.

Nécessité de maintenir l’oryx dans son milieu naturel
Maintenant, revenons à la situation des oryx prélevés par le Ministre de l’environnement et du développement durable. Quand toute la population l’attendait sur la situation des six gazelles oryx prélevées de la réserve de Ranerou pour orner sa réserve personnelle, la seule explication qu’il a donnée réside dans l’évitement de la consanguinité, une échappatoire toute trouvée pour donner une raison à son geste. C’est comme si la consanguinité des animaux était quelque chose de très grave, et que leur transfert sur un nouveau site éviterait de facto cette consanguinité qui serait définitivement résolue. C’est une explication assez légère, dont lui seul connaît certainement la profonde explication scientifique.

Dans les faits, rappelons que l’article 8d de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies dispose que la conservation in situ « favorise la préservation des écosystèmes et des habitats naturels, ainsi que le maintien de populations viables d’espèces dans leur milieu naturel ». Également, dans son article 9c, la convention souligne que la conservation ex situ « adopte des mesures en vue d’assurer la reconstitution et la régénération des espèces menacées et la réintroduction de ces espèces dans leur habitat naturel dans de bonnes conditions ».

Donc, on peut bien voir que quel que soit l’approche de conservation utilisée, c’est le fait d’avoir les espèces dans leur milieu naturel qui est la finalité visée, afin de permettre leur régénération. Ainsi, le fait d’ôter des espèces menacées de leur milieu naturel et les amener dans d’autres milieux où la qualité de leur habitat n’est pas assurée, les menace d’une mortalité certaine. Donc, au-delà du conflit d’intérêt que soulève le prélèvement des gazelles oryx, c’est sur l’ensemble de ces mesures de conservation de la biodiversité que le Ministre était attendu, en sa qualité de responsable national de préservation de la biodiversité.

Conclusion
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de dire que la biodiversité est lourdement menacée au Sénégal et c’est un devoir collectif de tous les sénégalais de demander un changement radical sur la gouvernance des milieux naturels du pays. C’est une question d’équité intergénérationnelle, car la disparition croissante de plusieurs espèces fauniques, floristiques et la forêt qui les abrite risque d’installer le désert de plusieurs formes de vie dans le pays, avec des pertes considérables de services écologiques pour le bien-être des populations.

Ibrahima Gassama, économiste du développement durable, Ph.D.

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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