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Le lourd tribut payé par les immigrés en France

Plusieurs éléments tendent à expliquer la surexposition des populations immigrées au virus. La précarité économique et sociale ne semble pas être le seul facteur en cause.

Sont-elles les invisibles de la mortalité liée au Covid-19 en France ? En juillet 2020, l’INSEE publiait une étude concluant que, chez les personnes nées à l’étranger, la hausse des décès était deux fois plus forte pour que chez celles nées en France.

L’accès au fichier des personnes décédées, ouvert au public, nous permet maintenant de confirmer ce triste constat sur l’ensemble de l’année 2020. Le phénomène est particulièrement important en Ile-de-France, fortement touchée par l’épidémie et où la proportion de populations issues de l’immigration est importante. Chercheurs et spécialistes de la santé nous donnent des clés pour l’expliquer.

Surtout lors de la première vague
En 2020, en France, 674 623 personnes ont été inscrites au fichier des personnes décédées, rendu public par l’Insee. C’est 53 109 personnes de plus que l’année précédente, selon les chiffres publiés en février 2021. Soit une surmortalité de 8,5 %. Parmi les personnes nées en France, elle est de 7,7 %, tandis qu’elle grimpe à 14,9 % chez celles nées à l’étranger. Soit près du double.

« Cette surmortalité n’est pas seulement liée au Covid-19 » nous précise d’emblée Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales de l’INSEE. Elle peut être liée à d’autres pathologies non traitées. Inversement, « l’effet protecteur du confinement – accidents, réduction des autres infections – a aussi sauvé des vies », précise-t-elle. Cela dit, « la surmortalité des personnes nées à l’étranger est réelle, et particulièrement forte en Ile-de-France ».

Touchée de plein fouet par la première vague, la région capitale est aussi une importante terre d’immigration. C’est aussi une région très densément peuplée, où la prévalence de logements exigus et sur-occupés favorise les contaminations. Comme l’a confirmé une étude EpiCov, publiée par l’INSERM et la DREES en octobre 2020, vivre dans une commune densément peuplée vous expose deux fois plus. De même dans un quartier dit « prioritaire ».

« Les personnes nées à l’étranger habitent dans des logements plus exigus et elles occupent davantage que les autres des emplois essentiels. Elles ne peuvent donc pas télétravailler et se sont retrouvées plus exposées au cours de la première vague, et donc sans doute durant les différentes vagues de l’épidémie et les périodes de confinement », complète Sylvie Le Minez, de l’Insee.

Comorbidités et parcours de soins souvent plus compliqués
Auteur d’une étude dédiée à la surmortalité observée en Seine-Saint-Denis, Patrick Simon, socio-démographe à l’INED, nous trace d’autres pistes d’explication, notamment sanitaires. « À âge identique, l’état de santé des immigrés est globalement plus mauvais. Le diabète, aggravant en cas de Covid-19, est plus courant », observe le chercheur.

La désertification médicale des quartiers prioritaires et la faible couverture sociale des populations les plus pauvres semblent aussi avoir un impact sur le recours au système de soin. « Certains ont moins le réflexe d’aller consulter rapidement », précise Patrick Simon.

Dans un long témoignage publié sur le site du CNRS dès le mois de mai 2020, des médecins de l’hôpital Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis) observaient déjà cette tendance. Habitués à accueillir de nombreux patients d’origine africaine, ils ont été frappés par leur absence au début de l’épidémie. « Nous avons accueilli essentiellement dans le service des patients d’origine caucasienne – blancs – âgés de plus de 60 ans », se souviennent-ils. « En résultent des arrivées trop tardives dans le parcours de soins, et donc des cas plus difficiles à soigner. Beaucoup sont morts faute de prise en charge suffisamment anticipée », en déduit Patrick Simon.

Communiquer avant et pendant le parcours de soins
« La barrière de la langue, totale ou partielle, joue un rôle avant et pendant les consultations », ajoute le chercheur. Face à l’urgence de la première vague, les médecins d’Avicenne, rompus à l’accueil de publics de toutes origines, ont mis de côté les traductions normalement mises en place pour parler à leurs patients. « Nous étions concentrés sur la prise en charge médicale pure », avaient-ils raconté.

Un rythme de croisière a été trouvé, les praticiens ont pu améliorer leur capacité de dialogue avec l’ensemble de leurs patients. « Nous nous sommes aidés d’interprètes téléphoniques pour donner des explications aux patients en bengali ou en bambara », racontaient-ils encore à l’époque.

Avant la case hôpital, la question de l’information, de la sensibilisation et de la prise en compte des messages se pose. « Les personnes nées à l’étranger, surreprésentées dans mon département, sont éloignées des canaux d’information et ont moins de facilités à prendre connaissance des consignes sanitaires, avec en plus les difficultés liées à la langue », pointe Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. « L’exposition à l’information, officielle, comme journalistique, est un sujet fondamental », rappelle de son côté Patrick Simon.

La précarité professionnelle en question
Au printemps, toute la France ne s’est pas arrêtée et tous les actifs n’ont pas eu la possibilité de poursuivre leur activité derrière un écran. Bouchers, chauffeurs, maçons… de nombreux professionnels, engagés dans des activités dites « essentielles », ont poursuivi le travail comme avant, malgré la circulation du virus. Or, en Seine-Saint-Denis, « les immigrés sont largement surreprésentés parmi les ouvriers et les employés du département (respectivement 57 % et 39 %, par rapport à une moyenne nationale de 20 % et 27 %) », rappelle l’INED, ajoutant que les transports en commun y sont aussi davantage utilisés qu’ailleurs.

Une hypothèse toutefois nuancée par l’étude EpiCov, parue au mois d’octobre, et montrant que le personnel soignant est la seule catégorie professionnelle réellement surexposée au virus, très loin devant les professionnels dits « essentiels » ou « non essentiels ».

Dans d’autres pays, plusieurs médias ont aussi rapporté que les travailleurs pauvres, souvent immigrés, s’étaient retrouvés en première ligne face au virus. Aux Etats-Unis, des travaux ont montré que la communauté afro-américaine était surreprésentée parmi les victimes du Covid-19. De l’avis des médecins, cela s’explique essentiellement par les inégalités sociales et sanitaires.

Le Parisien avec Stanislas de Livonnière, Victor Alexandre et Nicolas Berrod

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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