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La CREI et le PNF : même combat ? Par Emmanuel Desfourneaux

Ces deux juridictions d’exception de lutte contre la corruption – la première sénégalaise, la deuxième française – sont actuellement sous le feu des critiques. Celles-ci sont soupçonnées d’entretenir des liaisons dangereuses avec l’exécutif. En conséquence de quoi, des personnalités politiques ou issues de la société civile en demandent leur suppression.

Toutes les deux se sont vu assigner le même objectif salvateur par les législateurs des deux pays respectifs : la volonté d’en finir avec l’impunité des cols blancs.

L’affaire Cahuzac (ancien ministre du budget inflexible avec les fraudeurs fiscaux lui-même escroc !) a été le déclencheur du Parquet National Français (PNF). En 2013, le désenchantement envers le monde politique est alors grandissant en France. Le président Hollande se devait de réagir contre la délinquance financière de certains politiques. En 2012, la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) est réactivée pour répondre à une demande sociale très forte, la reddition des comptes publics par le régime Wade.

En dépit des objectifs et une genèse assez similaires, des différences notables sont à relever :

Avec la CREI, le mobile politique est plus évident et ce dès sa création. A son arrivée au pouvoir, Abdou Diouf doit s’imposer face aux barrons socialistes senghoristes récalcitrants. La CREI s’avère un instrument très dissuasif contre leurs velléités. Le président Macky Sall, accompagné par de nombreux anciens socialistes de l’époque de Diouf revanchards, n’ont pas oublié les pouvoirs extraordinaires de cette juridiction et la crainte qu’elle faisait susciter chez les adversaires du pouvoir.

Le législateur français parait plus sincère que celui du Sénégal dans sa politique de lutte contre la corruption. En France, c’est tout un arsenal juridique qui a été conçu pour une politique judiciaire efficace dans ce domaine : en plus d’un parquetier spécial, ont été instituées une chambre correctionnelle spécialement compétente pour juger les affaires financières et une instruction spécialisée. Au Sénégal, seule la CREI détient des pouvoirs extraordinaires, rien de particulier au niveau du parquet, non plus au niveau de l’instruction.

Cette sincérité politique et judiciaire se traduit au niveau des affaires traitées par les deux juridictions en question. La CREI a surtout jugé Karim Wade et quelques quidams. Malgré des affaires retentissantes sous le régime de Macky Sall, la CREI joue la belle endormie (au détriment du contribuable sénégalais qui continue de prendre en charge le fonctionnement de cette juridiction) !

Le PNF, entre 2014 et 2017, a ouvert plus de 401 affaires. Excusez du peu ! Le parquet français a épinglé Google, la Société générale, Airbus entre autres (avec des amendes à la clé record) et de très nombreux hommes politiques dont Nicolas Sarkozy qui connaîtra un jugement pour corruption.

Depuis quelques semaines, le PNF est touché par trois affaires politiques qui ternissent son image et surtout sa supposée indépendance : la consultation de fadettes de très nombreux ténors du barreau de Paris (au-delà semble-t-il de son champ d’action), les déclarations surprenantes de l’ancienne « superprocureure » prétendant qu’elle aurait subi des pressions pour accélérer la procédure contre François Fillon alors candidat et favori à la présidentielle de 2017, et la lenteur – voire classement sans suite, de dossiers compromettants contre le pouvoir en place.

La CREI et le PFF, sur ce point, essuient les mêmes critiques. Un parquet politique placé sous les ordres de l’exécutif pour éliminer des adversaires à la course présidentielle. Au Sénégal, les socialistes avaient une dent contre l’alternance ; ils n’ont jamais encaissé leur défaite de 2000. Il leur fallait coûte que coûte avoir la peau du fils prodigue de Wade. Macky Sall trouva lui-aussi son intérêt politique dans cette traque.

En France, comme au Sénégal, le parquet n’est pas indépendant. Dans un arrêt de novembre 2019, il a même été jugé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme que le Parquet ne saurait être assimilé à une autorité judiciaire. La raison principale ? Puisque ces magistrats ne sont pas indépendants ! C’est important car cela implique un contrôle renforcé lors des enquêtes préliminaires que le Parquet français semble tant affectionner.

Pour le Sénégal, le problème de l’autorité judiciaire (pouvoir judiciaire selon la Constitution sénégalaise) ne se pose pas dans les mêmes termes. Si la CREI relève incontestablement du pouvoir judiciaire, son indépendance avec les nominations par le Conseil Supérieur de la Magistrature reste posée. Par ailleurs, le renversement de la charge de la preuve et l’absence d’une juridiction d’appel entrainent d’autres insatisfactions juridiques.

En somme, c’est bien le système juridique français dont a hérité le Sénégal qui est en cause. Les liens entre l’exécutif et le parquet semblent insolubles tant que les deux ne seront pas séparés, et finalement tant que le parquet ne deviendra pas une vraie autorité judiciaire à part entière.

A la question, faut-il supprimer les deux juridictions actuellement sur la sellette ? Pour la CREI, j’ai déjà répondu oui pour la remplacer par un parquet totalement indépendant (cela implique un changement des mentalités juridiques; c’est pas gagné !). Pour le PNF, il suffirait déjà d’arrêter les nominations des procureurs par le Garde des sceaux. Il y a incontestablement pour le PNF de nombreuses réussites qu’il convient de ne pas occulter.

Un responsable politique proche de Nicolas Sarkozy s’est engagé à déposer une proposition de loi concernant la suppression du PNF. C’est de bonne guerre ! Même si ces politiques au pouvoir n’ont jamais entrepris de réformes en faveur de l’indépendance de la magistrature debout. Même si ces politiques sont de mauvaise foi car leur dossier judiciaire n’a pas été créé de toutes pièces.

Au Sénégal, le PDS, visé clairement par la CREI, n’a, à ma connaissance, jamais déposé de telles propositions de lois pour imposer au minimum un débat à l’hémicycle sénégalais ; il en fût de même lors de la dernière déconvenue à Genève : aucune question parlementaire autour du cafouillage de la diplomatie sénégalaise. Il semblerait que la bataille juridique a été menée surtout sur le front international. Dommage car, pour convaincre l’opinion publique sénégalaise, inciter des débats au parlement sénégalais et prôner la résistance politique, cela aurait pu avoir des effets inattendus.

Emmanuel Desfourneaux

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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