DiasporaPoint de vue

Faire famille sans-papiers

La loi reconnaît la vie familiale comme un signe de stabilité et un argument positif vers la régularisation pour les sans-papiers. Mais c’est un long parcours (1).

« Si la loi reconnaît la vie familiale comme un signe de stabilité et un argument positif vers la régularisation pour les sans-papiers, cette reconnaissance nécessite un long parcours et de nombreux documents.

En situation administrative irrégulière, l’étranger est sommé de vivre normalement en surmontant toutes les difficultés dues à l’absence de papiers : travailler et déclarer ses revenus, scolariser ses enfants, payer son loyer, etc., chaque acte produisant des papiers administratifs qui constitueront autant de « preuves de présence » et d’« intégration ». Ces documents, qui montrent que l’on a vécu « normalement » plusieurs années, soutiennent une demande d’« accès au séjour » pour obtenir le droit de vivre normalement, avec le seul papier manquant : le Titre de Séjour.

Dans ce contexte, faire famille, la constituer ou la reconstituer, est difficile face aux contraintes juridiques, politiques, administratives et financières. Parce que les critères du regroupement familial sont souvent inaccessibles et que l’absence de papiers bloque toute démarche, beaucoup d’immigrés sont contraints à vivre une vie familiale précaire.

Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit certaines régularisations en fonction des liens de parenté, filiation et conjugalité. Mais son application est limitée par des circulaires et des pratiques au guichet. Si la loi reconnaît la vie familiale comme un motif de stabilité et un argument positif vers la régularisation, cette reconnaissance peut être entravée par certaines situations.

C’est le cas d’Agathe et Yvan, tous deux sénégalais, qui se sont rencontrés en France où ils ont fondé leur famille. Venue pour faire des études et travailler pour aider sa famille, Agathe se retrouve sans papiers à l’expiration de son visa de tourisme de trois mois. Père de deux enfants restés avec leur mère au Sénégal, Yvan n’est pas marié et vit sans papiers. Tous deux travaillent mais, du fait de leur situation, Agathe stagne dans sa carrière et Yvan enchaîne les contrats précaires dans la sécurité.

Diagnostiquée pour une maladie chronique, Agathe a obtenu une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » pour raison médicale valable un an et renouvelable selon l’évolution de la maladie. Dans la pratique, cette situation est un frein à l’obtention de la carte de résident, bien que la loi ne l’exclue pas. Agathe veut donc sortir de cette catégorie et être reconnue en tant que femme vivant en couple, mère de famille et salariée.

En mesure de rassembler des preuves de présence sur cinq années (salaires, santé, avis d’imposition) et de vie commune (factures d’électricité), le couple décide donc de déposer une demande au motif des « liens personnels et familiaux » (article L. 313-11 7° du Ceseda). Mais, six mois plus tard, l’examen de leur situation administrative à la préfecture ne retient que la situation médicale d’Agathe au détriment du dossier prouvant leur vie familiale, ce que le couple conteste.

Un fonctionnaire se montre finalement sensible à leur demande de dignité et fait basculer la décision du motif médical au motif familial, dans le strict cadre de la loi. Ils sont enfin reconnus dans la réalité de leur vie. Le cas d’Agathe et Yvan nous rappelle qu’émigrer pour aider sa famille de naissance, créer en migration sa nouvelle parenté proche comme choisir avec qui vivre et faire des enfants font partie des droits humains fondamentaux, trop rarement respectés. »

1) Article publié avec la revue De facto portée par l’Institut Convergences Migrations, à l’occasion de la parution du numéro 14 intitulé « En attendant les papiers ».

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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