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COVID19 : Le Sénégal pourra t’il relever le défi ?

Depuis la fin de l’année dernière, le monde vit au rythme des coronaviroses. Mis en évidence dans un marché « humide » de Wuhan, en Chine, depuis le 12 décembre 2019, le COVID19 est le dernier né d’une série d’agents pathogènes, à l’origine de pathologies émergentes et ré-émergentes, dont nous faisons, ci-dessous, un bref rappel.

RENOUVEAU DES MALADIES INFECTIEUSES ÉMERGENTES
Depuis 1981, l’infection à VIH/Sida signait le renouveau des maladies infectieuses, marqué par l’émergence de nouvelles maladies transmissibles, mais aussi par la réémergence de maladies anciennes. Les progrès techniques en biologie moléculaire (clonage, PCR, RT-PCR) ont facilité leur découverte et/ou identification.

On a assisté à la réémergence de vieilles maladies comme la peste en Inde, au Madagascar, le typhus, la trypanosomiase humaine africaine en RDC. Certaines maladies anciennes connues comme le paludisme ont commencé à apparaître dans des zones inhabituelles (plateaux du Burundi). D’autres maladies ont dominé l’actualité comme l’infection à virus Chikungunya, la fièvre hémorragique à virus Marburg, qui s’est échappé des laboratoires allemands et surtout la maladie à virus Ebola, qui a quitté la RDC pour se propager en Afrique de l’Ouest, en 2014-2015.

Mais depuis une vingtaine d’années, on remarque l’apparition de maladies infectieuses émergentes trouvant leur origine dans le monde animal, y compris dans la faune sauvage : le SRAS, la grippe aviaire à A/H5N1, la maladie à virus Zika, la grippe A/H1N1, MERS-CoV identifié en septembre 2012 en Arabie Saoudite, la grippe aviaire A/H7N9, identifiée en Chine en 2013 et le COVID19. Ces infections humaines acquises à partir des animaux (zoonoses) deviennent des sources majeures de risque infectieux pour la santé publique.

Pour faire face à ces nouveaux défis, la santé globale s’est fixée, comme objectif, entre autres, de coordonner les efforts pour prévenir et répondre aux maladies infectieuses émergentes et ré-émergentes et à la résistance antimicrobienne, dont les causes sont multiples.

Nous vivons dans un monde caractérisé par une explosion démographique avec l’allongement général de l’espérance de vie et de forts taux de natalité dans certaines parties du monde. Cela pousse de plus en plus de personnes à vivre dans des lieux auparavant inhabités, qui sont alors soumis à des pressions environnementales exacerbées.

C’est dire que la démographie, les comportements humains, le niveau de proximité entre hommes et animaux peuvent favoriser ou non le développement de maladies émergentes.

Il y a aussi que notre monde devient de plus en plus global avec circulation accrue des personnes mais aussi des aliments et des animaux, le développement du tourisme.

Les guerres si nombreuses et la famine, qui ont des effets néfastes sur la vie des gens et sur leur environnement, contribuent également à l’émergence et à la réémergence des maladies infectieuses.

C’est pour tout cela que la prévention et la lutte contre les maladies émergentes constitue un important pilier parmi les cinq de l’agenda sanitaire Mondial:
• Mener à terme l’agenda inachevé relatif à la santé maternelle et infantile, la malnutrition et les maladies transmissibles,
• Adresser le fardeau croissant des maladies non transmissibles,
• Mutualiser les efforts pour le développement de médicaments, de moyens diagnostiques, de vaccins nécessaires pour faire face à l’agenda inachevé et à celui des maladies émergentes…
• Rendre le système de santé plus fort, plus efficace et plus accessible aux couches démunies.

Malheureusement, l’expérience d’Ebola nous a montré toutes les difficultés rencontrées par nos systèmes sanitaires, victimes d’un sous-financement chronique, qui les empêche de disposer des ressources nécessaires pour une médecine de qualité, à répondre efficacement à ce genre de défis.

QUELLE EST LA SITUATION AU SÉNÉGAL ?
Selon les autorités gouvernementales, le COVID19 serait, depuis quelques jours, présent sur le territoire national sénégalais. Cela a servi de prétexte aux autorités de notre pays, d’organiser, tout au long de la journée du 02 mars 2020, toute une série de manifestations qui ont été l’occasion communiquer sur ce qu’il faut bien considérer comme une nouvelle pandémie.

On ne peut, donc, que se féliciter de ce fort engagement, aussi bien au plus haut niveau de l’État qu’à celui des autorités en charge de la santé.
Il faut dire, que depuis la chaude alerte d’Ebola, les techniciens du Ministère, particulièrement ceux de la Direction de la Prévention et de la Division de la Surveillance Épidémiologique font preuve d’une expertise avérée, édifiée graduellement, depuis plus d’une décennie. Cela nous vaut, entre autres, un bulletin épidémiologique hebdomadaire de qualité, sans oublier la prise en charge de multiples alertes, tout au long de l’année, qu’il s’agisse de flambées épisodiques de rougeole, d’épidémies de gastroentérites ou de dengue…

Il faut également se féliciter de la mise sur pied du centre des opérations d’urgence sanitaire (COUS) qui, en collaboration avec le CDC d’Atlanta, coordonne les opérations d’urgence sanitaire, parmi lesquelles, les maladies émergentes occupent une place de plus en plus importante.

S’INSPIRER DE LA LUTTE CONTRE ÉBOLA
Cette nouvelle épidémie n’est pas sans rappeler celle de la fièvre à virus Ebola, qui a sévi dans notre sous-région, il y a quelques années. À l’époque, notre pays, qui n’avait notifié qu’un cas importé, était sorti indemne de cette calamité. Loin de sous-estimer ce que les officiels de notre pays persistent à vouloir présenter comme une prouesse de notre système sanitaire, nous pensons humblement, que notre pays avait simplement eu beaucoup de chance.

Si on considère le principe de libre circulation des biens et des personnes dans notre sous-région et la réalité du village planétaire qu’est devenu le monde, il peut paraître suranné, de continuer à considérer que le danger lié à ces nouvelles maladies émergentes vient toujours de l’Étranger, hier de nos frères guinéens et aujourd’hui de nos amis français, qui seraient en train de nous « coroniser »… , des décennies après la fin proclamée de la colonisation. On notera, au passage, que notre capitale semble décidément bien plus proche de Nîmes ou Sarcelles en France, d’où sont originaires nos 2 premiers cas de coronaviroses que de Njala en Sierra-Léone ou Gueckedou, en Guinée, durement éprouvés par la maladie à virus Ebola, en 2014…

Il faudra également cesser de substituer les effets d’annonce – surtout sur les questions de moyens – à des mesures véritablement efficaces pour faire face à ces menaces d’un genre nouveau. Notre scepticisme se fonde sur les expériences du passé, notamment sur la gestion de l’épidémie d’Ebola, durant laquelle, il n’était pas rare, en effet, de constater un déficit criard de gants, de masques ou d’équipements de protection individuelle, n’épargnant ni les prestataires de soins ni les sapeurs-pompiers, encore moins les agents d’hygiène.

Enfin, dans un pays où la grande majorité de la population est analphabète, les pouvoirs publics gagneraient à miser davantage sur la communication de proximité, à travers les réseaux de soins de proximité (dans le cadre d’une approche multisectorielle) que sur d’onéreuses campagnes publicitaires dans les médias nationaux. Il s’agit de décentraliser les fonds destinés à la lutte contre le COVID19, en finançant tout ou partie des activités prévues dans les microplans locaux, autour des districts sanitaires.

Il faudra également tenir compte des particularités de la coronavirose due au COVID19, moins meurtrière que le SARS et surtout que la maladie à virus Ebola, (abstraction des possibilités de mutation), mais se propageant beaucoup plus rapidement, avec le risque de dépassement des capacités de prise en charge de nos modestes structures sanitaires.

A titre d’exemple, au moment où notre pays a prévu 3 ou 4 hôpitaux pour la prise en charge des cas, un pays comme la France en a prévu 38, avec possibilité d’en ajouter 70 autres, au cas où l’épidémie prendrait plus d’ampleur.

Enfin, on ne peut que déplorer les lenteurs de nos gouvernants dans le processus de mise en place d’une couverture sanitaire universelle digne de ce nom, qui est le plus sûr garant d’un système de santé résilient et pérenne.

Cette nouvelle épidémie comme celle due au virus Ebola, il y a six ans, risque de constituer un révélateur de l’impuissance des systèmes de santé en Afrique subsaharienne. Victimes des diktats des nouveaux prophètes du « global health », ils sont confrontés à un double échec :
– inaptitude à adopter une approche holistique de la santé publique handicapée par le surinvestissement sur certaines pathologies spécifiques (sida, paludisme, polio) et
– incapacité à faire face à la transnationalisation accrue des menaces sanitaires.

Dr Mohamed Lamine LY – Secrétaire général de la Coalition pour la Santé et l’Action sociale (C.O.S.A.S)

Digital Manager - Chef de projet chez Alixcom Dakar | E-mail: saliou@dakar-echo.com | +221 77 962 92 15

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