Editorial

Xi Jinping propose à Paris et Berlin un contournement de l’Amérique par l’Afrique

Le 5 juillet, assisté de Yang Jiechi, responsable des affaires stratégiques, membre du Bureau Politique, de Wang Yi, le MAE et de He Lifeng, président de la Commission Nationale pour la réforme & le développement, le Président Xi a, au cours d’une visio-conférence, proposé à E. Macron et A. Merkel de rejoindre les projets africains de la Chine.

La manœuvre qui ne manque pas d’habileté, vise à désolidariser la France et l’Allemagne des stratégies antichinoises de Washington. Elle a eu lieu alors que Pékin prépare le 9e Forum Chine – Afrique (FOCAC) qui, pour la première fois depuis sa création en 2000, se tiendra hors de Chine, au Sénégal. Des informations circulent laissant entendre qu’à cette occasion Pékin pourrait débloquer 60 Mds de $ pour le Continent.

A l’occasion d’une visioconférence tenue le 5 juillet dernier entre Emmanuel Macron, Angela Merkel et Xi Jinping dont le but initial était la préparation des prochaines échéances internationales pour le climat et la planète [1], le président chinois, faisant un pas de côté, a proposé à ses deux interlocuteurs européens une coopération à quatre en Afrique.

Dans ce qui était son premier échange international après les cérémonies du Centenaire du 1er juillet, au milieu de sévères tensions avec Washington, ses alliés japonais et australien en Asie, mais aussi d’importantes frictions avec les Européens empêtrés avec Pékin dans des allers-retours de sanctions à propos du traitement des Ouïghours au Xinjiang, le n°1 chinois a proposé au Président français et à la Chancelière de se joindre au « partenariat pour le développement de l’Afrique » lancé en mai dernier par Pékin et ses partenaires africains.

L’initiative était d’autant plus remarquable que, jusqu’à présent, l’impression dominait que Pékin tentait un « cavalier seul » en Afrique. Le régime n’avait en effet pas ou peu réagi aux offres de coopérations notamment de la France ancienne puissance coloniale dont les traces en Afrique restées vivaces sont aujourd’hui disputées par la bourrasque des « Nouvelles routes de la soie ».

Lire à ce sujet nos articles :
1) Sur l’élan et l’évolution des stratégies africaines de la Chine : Chine – Afrique : De la quête des matières premières à la coopération. Sur fond de manœuvre géopolitique
2) sur la visite du n°1 chinois au président sénégalais Macky Sall : L’Afrique, la Chine et l’Europe à qui l’Assemblée nationale a, le 11 janvier dernier, accordé les pleins pouvoirs, au milieu des mises en garde du FMI.

Celui-ci ciblait le dérapage des créances publiques, associant le Sénégal aux autres pays en partie endettés à la Chine comme le Kenya, l’Angola, l’Éthiopie, la Zambie, la République du Congo, le Soudan et le Tchad.

Pékin ajuste ses stratégies africaines et prend le couple franco-allemand à témoin.
Pékin aide financièrement l’Afrique par des dons et l’annulation des dettes aux plus pauvres et par le rééchelonnement des échéances de remboursement. Ici, en septembre 2020, un don d’un million de « Rands » sud-africains (75 000 $) au ministère de l’éducation d’Afrique du sud. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres pour réduire les dettes des plus en difficultés comme la Zambie, le Tchad, l’Éthiopie, l’Angola, le Kenya ou le Soudan. Il faut cependant se garder de croire que l’accumulation des dettes africaines est uniquement due aux prêts chinois. Lire : Qu’en est-il du « piège » chinois de la dette ?

Depuis 2020, Pékin sensible aux critiques qui l’accusent de piéger par ses créances ses partenaires africains, a multiplié les initiatives pour alléger leurs dettes ou même effacer celles des plus pauvres.

S’inscrivant dans les efforts du FMI, du G.20 et de la coopération Chine–Afrique elle-même (– Forum Chine-Afrique – FOCAC -), les quatre grands prêteurs chinois – Exim Bank, Chine Development Bank, Industrial & Commercial Bank, China International Development Cooperation Agency (CIDCA) – ont, au total contribué pour plus de 15 Mds de $ d’aide, entre autres à la Zambie au Kenya, à l’Angola, au Botswana, au Burundi, au Rwanda, au Cameroun, à la République Démocratique du Congo, et au Mozambique. Lire : A Johannesburg, Xi Jinping parie sur l’Afrique

La relation n’a cependant pas été exempte de toute tension.

Exemple, début juillet la Chine a stoppé ses financements au Kenya après avoir rejeté une demande de Nairobi de rééchelonner les échéances de remboursement.

Entre temps, le Tchad qui bénéficiait déjà des mesures de suspension des dettes adoptées par le G.20 pour tenir compte des revers économiques de la pandémie, demandait l’aide du FMI et une restructuration complète de sa dette. Après le Tchad, le Soudan, la Zambie et l’Éthiopie pourraient également se déclarer en cessation de paiement.

La proposition chinoise à la France et à l’Allemagne plutôt qu’au Royaume Uni en froid avec Pékin dans le sillage de Washington et à propos de Hong Kong, n’est pas anodine.

Le commerce de Paris et Berlin avec la Chine dont ils sont parmi les plus anciens partenaires occidentaux, a enregistré un bond spectaculaire au cours des cinq premiers mois de 2021 à hauteur de +44% pour la France et +34% pour l’Allemagne atteignant respectivement 33 et 93 Mds de $.

Des réalités que Xi Jinping, au fait des exigences de redressement des deux économies pour l’après Covid, compte bien utiliser à son avantage ; de même qu’il spécule déjà sur leurs priorités écologiques et climatiques pour attirer leurs investissements en Chine.

A côté de l’objectif de contribuer au redressement des pays africains, l’intention est à l’évidence de construire un contrepoids destiné à contourner le cul-de-sac des tensions stratégiques avec Washington. Tout le monde aura relevé le mimétisme formel de la riposte. A l’attelage du « Quad » – États-Unis, Inde, Japon, Australie -, Pékin souhaite opposer un autre « carré », composé de la Chine, des deux pays européens et de l’Afrique.

La pertinence des rapprochements encore plus hétéroclites que ceux du concept « Indopacifique » déjà assimilé par certains à un « OTAN asiatique », importe peu. L’essentiel est le discours destiné d’abord à l’audience politique interne.

Note(s) :

[1] Le Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) début septembre à Marseille, la COP 15 de Kunming en octobre, la COP26 de Glasgow en novembre et, dans la foulée, le sommet du G20, début décembre à Rome.

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