Kenya

William Ruto, le « débrouillard en chef » au sommet de l’Etat

William Ruto est investi mardi président du Kenya, sacre d’un ambitieux stratège qui s’est employé à polir sa réputation sulfureuse en se proclamant porte-parole des « débrouillards » du petit peuple.

La Cour suprême a confirmé la semaine dernière la victoire du vice-président sortant, en conflit ouvert depuis plusieurs années avec le chef de l’Etat Uhuru Kenyatta qui a préféré soutenir son rival Raila Odinga.

A 55 ans, William Ruto avait fait de cette élection un combat face aux « dynasties » incarnées par l’alliance Odinga-Kenyatta, héritiers de deux familles au coeur de la politique kényane depuis l’indépendance en 1963.

Bien qu’à la tête d’une des plus grandes fortunes du pays, lui s’était proclamé « hustler in chief » (« débrouillard en chef »), leader de la « hustler nation » (« nation des débrouillards ») formée des millions de travailleurs pauvres qui tentent de survivre dans un pays en proie aux difficultés économiques.

« En devenant le cinquième président de la République du Kenya, William Ruto symbolise la détermination à surmonter les obstacles », écrivait lundi l’historien Macharia Munene dans le quotidien The Standard.

Son accession à la fonction suprême vient parachever la légende de « self made man » construite par cet enfant d’une famille modeste de la vallée du Rift (ouest).

Vendeur de poulets
Diplômé en sciences, professeur avant de se lancer en politique dans les années 1990 au sein des jeunesses du parti de l’autocrate Daniel arap Moi, William Ruto aime à rappeler qu’il n’a eu ses premières chaussures qu’à 15 ans et qu’il vendait des poulets en bord de route.

Il est aujourd’hui à la tête d’une grande entreprise de volailles, un des piliers de sa fortune qui comprendrait également des hôtels, des milliers d’hectares de terres…

L’étendue de ses actifs a fait l’objet en septembre 2021 d’une vive controverse avec le ministère de l’Intérieur, le vice-président accusant le pouvoir de vouloir le discréditer à moins d’un an de l’élection présidentielle.

Sa rupture avec le président Kenyatta, aux côtés duquel il avait été élu en 2013 et 2017, est consommée depuis plusieurs années.

Le chef de l’Etat l’avait initialement adoubé pour lui succéder, l’assurant du soutien du parti présidentiel pour l’élection de 2022, n’ayant pas lui-même le droit de briguer un troisième mandat.

Mais après sa réélection en 2017, suivie de violences qui avaient causé des dizaines de morts, M. Kenyatta s’est rapproché de son opposant historique Raila Odinga, à qui il a finalement accordé son soutien.

Pour beaucoup d’observateurs, une des raisons de ce revirement est l’incontrôlable ambition de M. Ruto.

« Ce qui rend Ruto singulier, c’est la rapidité de son ascension, son ambition », souligne l’analyste politique kényane Nerima Wako-Ojiwa. « Il est allé à contre-courant (des pratiques). Il est passé devant beaucoup de gens sans demander l’autorisation », ajoute-t-elle.

« Coalition des accusés »
En août 2021, Uhuru Kenyatta avait mis son vice-président au défi de démissionner « s’il n’est pas content ».

« Désolé, mais je suis en mission », avait répondu celui qui prône une économie « du bas vers le haut (…) afin de sortir des millions de personnes du désespoir ».

Uhuru Kenyatta le Kikuyu – la première ethnie du pays – et William Ruto le Kalenjin – la troisième en nombre – s’étaient alliés en 2012 pour conquérir le pouvoir, dans ce qui avait été surnommé la « coalition des accusés ».

Ils étaient tous deux poursuivis pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) pour leur rôle dans les violences post-électorales de 2007-2008, les pires depuis l’indépendance (plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés).

Les deux hommes étaient à l’époque dans des camps opposés, et William Ruto alors allié à Raila Odinga.

La CPI avait décrit M. Ruto comme le principal planificateur des violences contre la communauté kikuyu dans son fief kalenjin de la vallée du Rift, avant d’abandonner les poursuites en 2016 après ce qu’elle avait dénoncé comme une campagne d’intimidation de témoins.

Stratège
Celui qui était l’un des hommes les plus craints du pays s’est employé à faire oublier sa réputation sulfureuse qui mêlait accusations de violences, de corruption, d’appropriation de terres et de détournement de fonds, qu’il n’a cessé de démentir.

« Il est considéré comme un des stratèges les plus efficaces de la politique kényane », souligne Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham (Royaume-Uni).

Dès les prémisses du rapprochement Odinga-Kenyatta, M. Ruto est parti en campagne, sillonnant le pays en casquette et polo, s’affichant sur les réseaux sociaux.

Ce quinquagénaire, chrétien « born again » revendiqué et père de six enfants, se montre souvent affable.

Il a été l’un des plus virulents opposants à un projet de révision constitutionnelle défendu par le duo Kenyatta-Odinga, invalidé par la Cour suprême au terme d’une féroce bataille judiciaire.

Sa rhétorique des « débrouillards », misant sur un clivage social plus qu’ethnique, a notamment trouvé un écho chez les jeunes.

Ce discours n’est « pas nouveau », estime Nerima Wako-Ojiwa, mais « c’était le timing parfait ».

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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